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Certaines entreprises n'arriveront pas à passer le cap

Face aux pénuries de composants et délais de livraison à rallonge, les fabricants de matériel agricole de la région ont été forcés de s'adapter.

Certaines entreprises n'arriveront pas à passer le cap
L'entreprise Morgnieux a dû chercher de nouveaux fournisseurs pour pouvoir continuer à produire. ©Morgnieux

« Depuis 2020, on fait face à des pénuries. On nous annonce parfois jusqu'à deux ans d'attente pour être livré. Des fournisseurs nous annoncent même maintenant qu'ils ne pourront finalement pas nous approvisionner. Je crains que certains mettent la clé sous la porte. » Comme beaucoup de ses collègues, Renaud Rousset, dirigeant d'AMB Rousset, fabricant de vibreurs, ramasseuses, engins de lavage, calibrage, séchage et cassage, implanté en Isère, fait face à une crise d'approvisionnement en composants sans précédent. Dans ce contexte, nombre de fabricants ont dû faire preuve d'imagination pour tenter de trouver des solutions.

Diversifier les fournisseurs

Société familiale implantée dans le Rhône depuis 1923, spécialisée dans la fabrication de broyeurs de branches, d'aspirateurs de feuilles, d'outils pour tondeuses frontales mais aussi d'outils pour tracteurs, Morgnieux a connu des difficultés d'approvisionnement dès début 2022, avec une accélération au printemps. « On a surtout de gros retards sur les moteurs, précise le responsable des achats Philippe Fougerat. Certains nous annoncent même jusqu'à deux ans d'attente. Notamment parce que certains composants viennent de Chine, pays où l'activité s'arrête dès qu'il y a un cas de Covid. » Alors l'entreprise a dû chercher de nouveaux fournisseurs. Et à l'échelle supérieure, certains de leurs fournisseurs habituels cherchent dorénavant des composants électroniques ailleurs qu'en Chine. Comme d'autres, au lieu de commander au fil de la production, Morgnieux a gonflé ses stocks de composants, chaque fois que c'était possible. Or, face à ces fortes demandes, les pénuries se sont logiquement accompagnées de hausses de prix. « Pour la tôle par exemple, on est passé de 600 euros la tonne en 2021 à un pic de 2000 euros en 2022. Aujourd'hui, le prix est redevenu plus raisonnable. Mais les prix de l'énergie le font à nouveau grimper », s'inquiète le responsable des achats. La conséquence pour le fabricant est simple : « Nos marges se sont effondrées. Si certains clients ont accepté de jouer le jeu et de payer un peu plus cher, ça n'a pas été le cas de tous. Alors il a fallu tirer sur les marges ».

Réduire la production

Du côté d'AMB Rousset, en Isère, les effets ont aussi été manifestes. « Il a fallu par exemple trouver d'autres fournisseurs de moteurs et sortir à nouveau de la trésorerie, adapter ces nouveaux moteurs, prévenir les clients qu'ils n'auront pas ce qu'ils ont commandé. Récemment, notre fournisseur de cabine nous a annoncé qu'il ne pourrait nous livrer qu'une partie des commandes pour 2023, explique Renaud Rousset. Alors nous avons choisi de réduire notre production et nous concentrer sur la fabrication de machines essentielles, notamment pour nos clients qui commencent leur activité et qui ont besoin de machines, sans quoi leur récolte sera perdue. » À l’inverse, l'entreprise explique à ses clients historiques qu'il faudra attendre pour renouveler leurs machines et se concentre sur la réparation de celles-ci. « Cela nous aide aujourd'hui à donner du travail à nos techniciens et à conserver un chiffre d'affaires. » L'entreprise, qui compte actuellement quatre-vingt-dix salariés, en a vu partir quelques-uns attirés par un changement de vie lors de la première crise Covid. Ce qui soulage aujourd'hui les comptes du dirigeant, qui reste malgré tout pessimiste : « Je pense que cela va aller en s'aggravant, notamment parce qu'il y aura des entreprises qui n'arriveront pas à passer le cap. On le voit déjà en Allemagne, et ailleurs en Europe : il y a des établissements qui ont dû fermer ».

Gonfler ses stocks

En Saône-et-Loire, à l'inverse, le constructeur d'épandeurs agricoles et d'abris déplaçables, Buchet, a traversé la crise sans trop d'encombre. Après avoir fait face à une crise économique importante en 2008, son dirigeant Philippe Buchet a « pris conscience qu'avec de la trésorerie, on passait toutes les crises ». « Quand les premières mesures économiques de la crise Covid ont été prises, on avait une belle trésorerie. J'ai passé une semaine à passer des commandes », se souvient-il. Lui aussi a été confronté à des fournisseurs lui annonçant plus d'un an d'attente mais son stock était tellement important qu'il a pu continuer à produire. « On a persisté à faire de grosses commandes périodiques, en anticipant, ce qui permet également d'avoir de meilleurs prix. » Alors, Philippe Buchet ne se plaint pas : « Dans des périodes comme celle-là, il y a toujours des entreprises qui s'en sortent bien. Nous, on a fait deux belles années ». Ce qui ne l'empêche pas d'être plus pessimiste pour l'avenir : « On s'attend à une crise dans le secteur agricole, notamment à cause de l'augmentation des coûts des matériaux et de l'énergie et de la hausse des taux d’intérêt ».

Leïla Piazza 

Chez AMB Rousset, on a dû concentrer la production sur des machines essentielles. © AMB Rousset