En matière de libre-échange avec le Mercosur, Bruxelles fait preuve d'un « certain angélisme » selon l'eurodéputé Michel Dantin
De retour du Brésil où il menait un audit sur le volet sanitaire, l’eurodéputé Michel Dantin préoccupé par le potentiel de production de viande du Brésil. Lui qu’il n’hésite pas à dénoncer un « certain angélisme » dont fait preuve Bruxelles dans les négociations avec le Mercosur.

Certes, il y a « un vrai problème sanitaire » dans le secteur de la viande au Brésil, mais le plus préoccupant, c’est bien son potentiel de production. Telles sont les toutes premières conclusions que tire l’eurodéputé français Michel Dantin, membre d’une mission parlementaire, qui a effectué un audit sur place du 2 au 6 avril. Et, selon lui, la Commission européenne fait preuve, en la matière, « d’un certain angélisme » alors que se poursuivent les négociations de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Interview.
Quels sont les principaux constats de la mission parlementaire au Brésil, tant en ce qui concerne le système de contrôle de la viande exportée vers l’UE que le potentiel de production du pays ?
Michel Dantin : aux termes d’un déplacement de cinq jours, les constats sont nombreux, tout comme les craintes.
Sur les aspects sanitaires qui étaient le but de la mission, ce qui est frappant, c’est la volonté des Brésiliens de s’adapter à la demande du client. À demi-mot, ils mettent certes en doute le fondement scientifique de certaines normes sanitaires européennes, notamment pour la viande de volaille, allant jusqu’à les qualifier de mesures protectionnistes.
Il y a en outre de vrais problèmes structurels notamment sur l’identification de la viande bovine ou des problèmes de corruption mis en avant par les différents scandales récents, mais j’ai la conviction que si l’Union européenne impose un strict respect de ses normes sanitaires dans ses échanges avec le Brésil, ils surmonteront ces difficultés et s’adapteront.
Quant au potentiel de production à l’export, je suis plus inquiet, car il y a une volonté farouche des Brésiliens de le développer, et ce qui existe aujourd’hui est déjà impressionnant. Il convient de rappeler qu’au Brésil, il y a deux types d’agriculture : les exploitations agricoles brésiliennes qui exportent ne reçoivent aucune aide publique et seule la massification leur permet des gains et des économies d’échelle, par opposition à une agriculture familiale, à destination du marché national et subventionnée via un revenu minimum.
En résumé, il y a un vrai problème sanitaire au Brésil dans la production de viande, mais c’est un problème de court terme, ma vraie source d’inquiétude est le potentiel de production brésilien.
Aussi, lorsque Emmanuel Macron ne focalise son discours dans le cadre de l’accord avec le Mercosur que sur le respect des normes sanitaires, c’est l’arbre qui cache la forêt.
Ces constats correspondent-ils aux informations que vous avez obtenues jusqu’à maintenant de la Commission et aux dispositions prises par celle-ci ?
M. D. : la Commission européenne fait preuve d’un certain angélisme sur la question de l’ouverture du marché aux pays du Mercosur, dont le Brésil, mais également en matière sanitaire. Ce constat est confirmé par cette mission. La Commission européenne a mené plusieurs audits au Brésil, dont le premier - déclenché suite au scandale "Carne Fraca" en mars 2017 - a fait le constat de dysfonctionnements systémiques, portant notamment sur la qualité, la confiance et la validité de l’inspection et de la certification des produits brésiliens et sur le dimensionnement du système de contrôle sanitaire brésilien et son indépendance. En effet, 1.460 vétérinaires et 13.500 auxiliaires ont la charge d’inspecter 4.670 établissements, ce qui est très peu par rapport à la taille des exploitations.
Force est de constater que les recommandations formulées durant les années antérieures par la Commission n’ont pas été vraiment mises en application.
Nous avons eu à Brasilia la confirmation qu’il y a eu en outre des malversations à grande échelle pour lesquelles les enquêtes judiciaires ne sont pas encore abouties. Pour autant, nous n’avons pas obtenu d’informations sur les mesures administratives prises à l’égard des fonctionnaires ou les laboratoires d’analyse en cause.
Enfin, nous avons eu la preuve formelle lors d’une de nos visites d’abattoirs que la traçabilité de la viande bovine n’est pas assurée, avec une rupture au niveau des frigos d’abattoirs. Le "lot" d’animaux en amont du frigo n’a rien à voir avec le "lot" de viande découpée en aval de ce même frigo.
Quelles sont les conséquences qui pourraient être tirées de cette mission tant au niveau parlementaire que sur les négociations commerciales avec le Mercosur ?
M. D. : cette mission fera l’objet d’un rapport qui sera présenté en commission de l’agriculture et donnera lieu à un débat public. Je pense que la commission de l’agriculture devra faire entendre ses réserves dans l’intérêt du consommateur européen, d’autant plus que les négociations avec les pays du Mercosur sont toujours en cours.