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« Avec la jeunesse, les mentalités changent »

Au fil des années, elles sont de plus en plus nombreuses à prendre leur place en tant que cheffe d’exploitation ou à la tête de mandats représentatifs. Mais derrière cette avancée, se cachent encore de nombreux stéréotypes.

« Avec la jeunesse, les mentalités changent »
Aurore Paillard (à gauche) et Anaïs Pertuizet (à droite) représentent fièrement la nouvelle génération de cheffe d’exploitation au féminin. ©DR

Des remarques sexistes ? Anaïs Pertuizet considère n’en avoir jamais fait les frais. Depuis 2021, la jeune femme a repris et loue quelques vignes du domaine de Gérard Genty à Lantignié, dans le Beaujolais. Sa première cuvée s’appelait même « Gégé », en hommage à celui qui lui a fait confiance lorsqu’elle s’est lancée en viticulture. Mais cette confiance ne s’est pas installée du jour au lendemain. « Au début, Gérard ne voulait pas me laisser la charrue, se remémore la viticultrice. Mais c’était plutôt de la bienveillance, il me voyait arriver, toute petite, avec l’impression que je n’avais pas de force… » Cette attitude, elle a pu la retrouver lorsqu’elle échangeait avec ses amis, fils de vignerons. « Ils me disaient “ tu es sûre de vouloir te lancer solo ” ? Ce n’était pas du jugement, ils savaient simplement que c’est compliqué de s’installer hors-cadre familial. » Ce qui n’a pourtant pas empêché la jeune femme de rencontrer certains clichés. Notamment lors de sa venue à l’Assemblée nationale en début d’année, dans le cadre d’une dégustation. « On me demandait “ tu es la fille ou la commerciale de qui ? ” » Malgré ces déconvenues, la jeune femme de 28 ans est persuadée : « avec la jeunesse, les mentalités changent ».

« Les femmes osent plus qu’avant »

Marlène Merle est viticultrice et castanéicultrice à Joannas en Ardèche. Selon elle, hors de question de faire de différences entre les femmes et les hommes. Alors, au moment où des élus sont venus la chercher pour rentrer sur une liste de la chambre d’agriculture, ses poils se sont d’abord hérissés. « Il y avait ce quota, qui existe encore, de deux hommes pour une femme, détaille l’agricultrice. Il m’a fallu du temps pour me sentir légitime, car j’avais l’impression d’avoir été élue parce que j’étais une femme, plus que pour mes compétences. » Dorénavant secrétaire général de la chambre d’agriculture de l’Ardèche, la professionnelle de 37 ans a pris en confiance. « J’ai été prise sous l’aile de personnes plus âgées que moi, qui m’ont aidée, surtout lors de mes mandats à la chambre et à la FDSEA. On m’a dit " tu as toute ta place, alors vas-y ”. Rien ne nous empêche… Seulement, il faut oser prendre la place. Et heureusement, les femmes osent plus qu’avant ! » Néanmoins, la viticultrice le clame haut et fort : la présence de ces dernières manque encore dans les mandats. Aurore Paillard fait justement partie de ces femmes qui ont osé. À 33 ans, l’agricultrice installée en grandes cultures à Gergy, en Saône-et-Loire, siège également au conseil d’administration de Jeunes agriculteurs à l’échelle nationale. Mais avec quatre femmes sur trente-deux membres, difficile pour elle de s’estimer totalement satisfaite. « Il y a encore énormément de boulot pour pousser les femmes à sortir du foyer et de l’exploitation pour aller porter leur voix, tranche-t-elle. Il y a aussi le fait de manquer de confiance en soi… Mais on apprend sur le tas avec des formations de prise de parole. » Celle qui arbore fièrement des jantes roses sur ses tracteurs, mais qui s’était un temps détournée du milieu agricole durant ses études, admet avoir essuyé quelques critiques lors de son installation. « Certains se disaient “ mais elle va faire quoi, elle ne connaît pas du tout le métier ”. Alors que j’ai simplement fait comme tout le monde, j’ai appris ! Aujourd’hui encore, c’est fréquent que l’on me demande si je ne suis pas installée avec mon mari, mon frère ou mon père. Finalement, cet amalgame qui veut que la femme soit toujours chapeautée par un homme est encore bien présent et est difficile à faire évoluer. » Bien que de nombreuses portes aient été ouvertes, voire enfoncées, le combat jusqu’à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en agriculture n’est pas encore totalement gagné.

Léa Rochon