FNP
Les éleveurs de porcs entre le marteau et l’enclume

Pris entre le marteau d’une augmentation sans précédent des coûts de l’aliment et l’enclume des marges de la grande distribution et de l’application qui se fait toujours attendre de la loi Egalim 2, les éleveurs de porc alertent sur les difficultés à maintenir la filière à l’équilibre. Retour sur l’assemblée générale de la Fédération nationale porcine qui s’est déroulée dans l’Ain le 10 juin dernier.

Les éleveurs de porcs entre le marteau et l’enclume
François Valy, président de la Fédéraion nationale porcine (FNP).

Après deux années de perturbations liées à la Covid-19, la Fédération nationale porcine (FNP) a pu enfin tenir son assemblée générale en présentiel. Le 10 juin dernier, c’est à Bourg-en-Bresse dans l’Ain que son président, François Valy, a présenté les faits marquants de l’année 2021 et de début 2022, avec une invitée de marque en la personne de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Une assemblée générale sur le thème de « la résilience de l’élevage de porc français face aux enjeux de la souveraineté alimentaire ». Les éleveurs de porcs sont confrontés à une situation critique avec un effondrement des cours dès l’été 2021 suivi par l’explosion des coûts alimentaires depuis mars dernier et la guerre en Ukraine. « Au premier effet ciseaux des prix fin 2021, qui sera atténué en partie par le plan d’urgence et la hausse du cadran en mars, succède un second effet ciseaux depuis avril qui a motivé le plan de résilience ouvert le 30 mai. Le ministre a été réactif avec un soutien exceptionnel et inédit de 350 millions d’euros (M€) pour l’élevage de porc français. Du jamais vu ! Avec l’expertise de l’Ifip, d’Inaporc, des banques et des centres de gestion (CER), la FNP a négocié ces soutiens temporaires de l’État pour permettre à un maximum d’éleveurs de passer le cap », se félicite François Valy. Une aide qui ne doit pas masquer le cœur du problème : « Il n’y a pas d’autre choix pour la filière que l’aval et bien sûr les GMS passent des hausses de prix. Pour rémunérer le travail et les capitaux, ce prix payé devrait être de plus de 2 €/kg, or il reste bloqué depuis deux mois à 1,85 € ». Carole Joliff, secrétaire générale de la FNP, éleveuse dans les Côtes-d’Armor, témoigne : « J’ai 170 truies en label rouge. En année correcte, j’ai environ 280 000 € en charge alimentaire. Début mai, il me fallait, pour le même stock, 150 000 € supplémentaires. Ça ne peut plus durer. Aujourd’hui les éleveurs perdent jusqu’à 40 € par porc. C’est un gouffre financier. On va perdre énormément d’éleveurs si ça continue ».

Dialogue de sourds

Pour enfoncer le clou, sur le volet des relations commerciales, la loi Egalim 2 n’est toujours pas appliquée par les opérateurs. « Il est pourtant légitime et nécessaire que le coût de production soit pris en compte dans la chaîne de valeur. Le travail de l’éleveur ne doit plus être la variable d’ajustement », martèle François Valy. Une situation d’autant plus inacceptable que, toujours selon le président de la FNP, les chiffres de l’Observatoire de la formation des prix et des marges indiquent que les marges brutes de l’aval, et en particulier des GMS en charcuterie, « peuvent permettre cette hausse nécessaire de la matière première, sans même modifier le prix au consommateur ». À la question « où est passée la marge ? » Philippe Duriez, directeur général du groupe Aoste, se défend : « Depuis 25 ou 30 ans, un maillon n’a jamais perdu, c’est la distribution. Moi je revendique la transparence. Nous avons mis en place depuis quelques années dans nos groupes des contrats, avec un système d’indexation sur le prix du porc. On s’engage sur un nombre de camions par semaine, indexés sur le cours du porc. On ne spécule pas ». Et Carole Joliff d’insister : « Quand on perd une filière, il faut pouvoir savoir un peu s’asseoir sur ses marges ». Sans oublier le coût de la castration. À ce sujet, le président de la FNP se veut sans concession : « On maintient une demande claire : la qualité, ça se paie. Si l’aval demande une qualité particulière dans l’équilibre gras-maigre de mâles castrés ou immun castrés, le surcoût doit être pris en compte ». Une expertise de l’Ifip indique un surcoût de 13 centimes par kg. Or, la grande majorité des abatteurs sont pour l’heure très loin du compte… Des propos confirmés par François-Régis Huet, secrétaire général de la FNP : « Le texte est sorti. Le surcoût ne devra pas être à la charge du producteur. Mais les négociations n’avancent pas. Certains grands noms de l’abattage font des propositions à deux ou cinq centimes, pour d’autres c’est silence radio, alors que ce surcoût aurait dû être payé à partir du 1er juin. Syndicalement, il va falloir que l’on intervienne rapidement ».

Retrouver de la rentabilité

Retrouver de la rentabilité est l’urgence absolue, faute de quoi les arrêts de production, déjà enclenchés dans certaines régions, risquent de s’accélérer et de mettre en danger l’équilibre de toute la filière (fabricants d’aliments, centres d’insémination, abattoirs et salaisonneries…). Sur le sujet de l’alimentation animale, la FNP travaille activement, en lien avec la FNSEA et l’AGPB (Association générale des producteurs de blé), à la sécurisation de l’approvisionnement des élevages « pour lisser, au moins pour une partie des volumes, l’extrême volatilité des prix ». À la clé : pouvoir continuer à moderniser les bâtiments d’élevage, améliorer les conditions sanitaires et la biosécurité, progresser sur le bien-être animal ou encore relever le défi de l’air alors que l’élevage porcin est un modèle d’économie circulaire. C’est aussi conforter la consommation intérieure qui, selon François Valy, « doit rester le socle de notre filière derrière la bannière du Porc Français. Et pour nos produits d’excellence en charcuterie, peut-être faut-il s’inspirer des réussites de nos concurrents espagnols ou italiens sur le marché européen en particulier… Nous sommes aujourd’hui en France à 106 % d’autosuffisance en viandes de porc, mais l’arrêt de production risque de se dégrader rapidement avec, à terme, un recours massif à l’import qui serait un énorme gâchis pour une filière d’excellence ! » Une dimension européenne qui conforte l’implication de la FNP au sein du groupe porc du Copa-Cogeca.

Patricia Flochon