Élevage biologique
Dédramatiser la question de la santé

L’utilisation de médecines dites alternatives pour la santé des vaches séduit de plus en plus d’éleveurs, au-delà de la bio. Mais l’équilibre sanitaire d’un troupeau repose sur un faisceau de pratiques d’élevage qui va bien au-delà du recours à telle ou telle méthode thérapeutique.

À l’occasion du Salon Tech&Bio BFC à Viller-Pater (Haute-Saône), une table-ronde intitulée « les clés pour gérer la santé en Agriculture biologique » réunissait techniciens, experts et éleveurs. L’occasion pour Christian Faivre, de la chambre d’agriculture du Doubs-Territoire de Belfort, de rappeler le cadre réglementaire qui régit la santé animale en élevage biologique. « Le traitement systématique est interdit avec des médicaments allopathiques de synthèse. Ces médicaments s’utilisent "sous la responsabilité d’un médecin vétérinaire". Les organismes de contrôle vous demanderont de justifier vos traitements, surtout s’il s’agit d’antiparasitaires à large spectre ou à action prolongée comme les bolus ou l’ivermectine, qui ne sont pas dans l’éthique du cahier des charges ». Ces limites à l’utilisation des molécules de synthèse, antibiotiques ou vermifuges, apparaissent bien souvent comme un frein à la conversion à l’agriculture biologique. À moins de changer de point de vue sur la question de la santé… comme l’a suggéré Camille Petit, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, en rappelant les grands principes de la stratégie sanitaire en bio : « si les traitements antibiotiques au tarissement résolvaient les problèmes de mammites, ça fait longtemps qu’il n’y aurait plus de mammites », lance-t-elle en guise de boutade. « La gestion de la santé des animaux est basée sur la prévention, c’est-à-dire sur les conditions d’élevage (accès à l’extérieur, densité d’occupation du bâtiment, qualité de l’alimentation…), mais aussi sur la sélection génétique d’animaux plus robustes et plus résilients, moins sensibles aux maladies, etc. L’utilisation de techniques alternatives en amont des problèmes de santé permet de renforcer l’immunité, ce qui permet aux animaux d’être mieux armés, en meilleure condition pour lutter contre les infections ou le parasitisme. Enfin, il reste une place pour les traitements allopathiques, car l’éleveur bio a une obligation de soin ».

Enregistrement des pratiques

L’occasion de préciser un des points critiques des élevages bio : celui du respect des délais d’attente pour commercialiser les produits animaux (lait, viande) après un traitement allopathique : la durée est doublée par rapport aux élevages conventionnels. « On a souvent un problème de report dans l’agenda de ce fameux délai d’attente. Le traitement est bien documenté, mais l’information n’est pas accessible facilement par l’éleveur, qui reçoit par exemple une alerte de Synest une fois que l’animal a déjà quitté l’exploitation… La fiche individuelle, en élevage laitier, reste le meilleur outil, bien sûr on ouvre quand même l’armoire à pharmacie pour vérifier la cohérence avec le carnet sanitaire ! »
En matière de déparasitage, les pratiques sont globalement conformes au cahier des charges de l’AB, même si on peut observer ça ou là des dérives concernant par exemple l’emploi d’antiparasitaires à spectre large, type ivermectine. « S’il n’y a qu’un souci de strongle intestinaux, mieux vaudrait utiliser un produit plus spécifique, détaille Christian Faivre : une bouse à l’ivermectine se dégradera bien plus lentement, ça ne répond pas aux objectifs de l’AB ». Le technicien déplore le faible recours aux analyses coprologiques qui permettraient d’orienter plus précisément les traitements antiparasitaires. « Attention aussi aux bolus antiparasitaires posés au printemps, de même que les boucles antimouches à l’oreille, c’est considéré comme préventif ! »

Une santé globalement bien maîtrisée

Reste qu’un état des lieux national, présenté par Camille Petit, à travers les résultats d’une étude comparative entre les élevages bio et conventionnels, met en évidence une bonne maîtrise sanitaire des élevages biologiques. « Pour des indicateurs tels que la mortalité des veaux et des adultes, ou l’intervalle vélage-vélage, les résultats sont similaires dans les deux types de conduite. En bio, les performances de lactation sont inférieures, et on a un peu plus de 5 % de cellules supplémentaires, tandis que l’indice de traitement est trois fois moindre en lait bio. Les plus fortes différences sont relatives aux traitements en première intention : 75 traitements pour 100 têtes sont alternatifs en bio, contre seulement huit en conventionnel ». D’ailleurs, en bio, les dépenses de santé sont 35 % inférieures à celles des élevages conventionnels.

Tout part de l’observation

Caroline Bouissel, directrice du GDS de Haute-Saône, est revenue pour sa part sur l’importance des compétences de l’éleveur dans le diagnostic des pathologies de son élevage : « c’est déterminant pour utiliser le médicament à bon escient, et ça passe par la formation des éleveurs. Nous organisons régulièrement des journées d’examen sur le terrain, à partir des questions d’éleveurs : pour apprendre à observer l’animal, à dresser un tableau clinique, le plus précocement possible et intégrer un arbre décisionnel, pour faire appel au vétérinaire ou prodiguer soi-même les soins selon les cas ». Ainsi, dans un exemple choisi, sur un troupeau de 75 vaches laitières, 35 traitements antibiotiques ont été utilisés sur des problèmes de boiteries… dont des céphalosporines de troisième génération, « d’après intervention du pareur, seul un cas l’aurait mérité (un panaris) ». Autant d’éléments qui démontre l’intérêt technique, sanitaire et économique du raisonnement global, basé sur la prévention, avec des mesures de biosécurité externes (protéger le cheptel de l’introduction de nouvelles pathologies) et interne, en améliorant les conditions d’élevage.
Christian Faivre conclut « la prévention c’est avant tout des gestes. Et des situations favorables, où l’on fait tout pour éviter les sources de stress, qu’elles soient alimentaires, de logement, de situation. On fait tout pour atténuer les stress ponctuels… d’ailleurs on devrait faire des Duer pour les animaux ! »
Alexandre Coronel

Boiterie : savoir quand lever le pied

La boiterie, même légère, est une urgence sanitaire ! Une détection précoce et une prise en charge rapide sont indispensables pour gérer efficacement les boiteries et limiter leurs répercussions économiques.


Marie-Sophie Prétot, de l’association nationale des pédicures bovins, intervenait à l’occasion du salon Tech&Bio, début septembre, dans un atelier intitulé « parage : quand lever le pied ? » Pour la praticienne, basée à Mollans en Haute-Saône, la question des boiteries en élevage bovin mérite d’être davantage prise en compte. « Il y a encore trop de méconnaissances et de préjugés sur les boiteries, affirme-t-elle. Avec un nombre insuffisant de pédicures sur le terrain, cela se traduit malheureusement par beaucoup de retard dans la maîtrise des boiteries ». Or les enjeux sont importants : les coûts et les pertes économiques, déjà, sont évalués en moyenne de 250 à 500 € par boiterie, selon différentes études, qui prennent en compte les frais vétérinaires, les baisses de production, la dégradation de la fertilité et les réformes subies. « La question du bien-être animal est aussi en jeu, car la boiterie est synonyme d’inconfort à la marche et de souffrance pour la vache », complète Marie-Sophie Prétot. Enfin, un bon diagnostic permet d’éviter d’utiliser des antibiotiques à mauvais escient, et permet de préserver leur efficacité. « Les antibiotiques ne sont utiles en première intention que sur panaris ».

La détection doit devenir un réflexe

En matière de boiteries, il n’existe pas de remède miracle. « C’est un sujet complexe, avec des origines multifactorielles : l’habitat, l’alimentation, la génétique et la gestion des boiteries ! » Une gestion efficace passe par une détection précoce de toutes les vaches boiteuses. En effet, des boiteries légères peuvent cacher des lésions graves telles que l’ulcère de la sole, qui doit être pris en charge sans attendre. Le pareur se retrouve encore trop souvent à intervenir quand la gravité de la lésion est trop avancée pour que l’état de santé du pied s’améliore facilement. Aussi, il est essentiel que la détection des boiteries devienne un réflexe quotidien pour les éleveurs. Actuellement le délai moyen entre l’apparition de boiteries et l’intervention est de 40 jours ! « Une boiterie même légère est une urgence : le pied doit être levé tout de suite ! Tout de suite, ça veut dire dans les 10 minutes, maximum, en sécurité », insiste la pédicure. Tout élevage de bovins devrait donc avoir un système de levage des pieds adapté, et un éleveur formé à son utilisation... À l’image du suivi de reproduction, pratique désormais courante, un suivi régulier des pieds doit être la règle au fil de l’année. Le cornadis, le passage en salle de traite, sont des moments d’observation propice pour détecter les problèmes de locomotion. « Dans un lot, il y a les vaches boiteuses et des vaches auxquelles il faut être plus particulièrement attentifs : ce sont celles qui présentent des signes d’inconfort, celles qu’on s’apprête à tarir, et les vaches à risque, primipares ou multipares ayant eu des problèmes autour du vêlage ou subi un autre stress ».