Sélection génétique et biotechnologies
« La réglementation doit évoluer avec les technologies disponibles »

Cédric MICHELIN
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La chercheuse française, Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de chimie 2020 pour l’invention de Crispr-Cas9 participait le 8 décembre à sa remise de ce prestigieux prix organisée par l’Académie royale suédoise. L’occasion de comprendre en quoi les ciseaux moléculaires pourraient accompagner la transition du secteur agricole.

« La réglementation doit évoluer avec les technologies disponibles »
« La communauté scientifique n’a toujours pas compris cette décision de ne pas différencier les plantes obtenues par Crispr de celles obtenues par les autres techniques

Pour l’Europe, depuis 2018, les organismes créés par les nouveaux outils de mutagenèse, dont Crispr-Cas9, sont considérés comme des OMG. Comprenez-vous cette position ?

Emmanuelle Charpentier : Qu’est-ce qu’un OGM ? Les humains, ou les plantes sont tous des organismes génétiquement modifiés, dont le code évolue à chaque minute. Au fond, la communauté scientifique n’a toujours pas compris cette décision de ne pas différencier les plantes obtenues par Crispr de celles obtenues par les autres techniques. Il est aujourd’hui important d’avoir une réglementation plus adaptée. Les technologies évoluent très rapidement, et le législateur doit reconsidérer ses positions par rapport à ces avancées.

La Cour de Justice européenne s’était référée dans sa décision à la protection de la santé et de l’environnement. Les organismes issus de vos ciseaux présentent-ils des risques ?

E.C. : Je crois que les produits phytosanitaires sont plus beaucoup plus néfastes que Crispr, qui est en l’occurrence une approche propre. Elle permet de modifier une plante de façon très spécifique, sans introduire d’ADN étranger dans le génome. Selon le gène ciblé et la mutation désirée, les changements peuvent même être indétectables, en ressemblant à ce qui aurait pu survenir naturellement.

Ce qui est important de comprendre aussi, c’est que Crispr est arrivé à un moment où les technologies de séquençage se sont améliorées, permettant de vérifier que la plante a été modifiée uniquement là où on le désirait. Il n’y a donc pas que Crispr : l’ensemble des avancées récentes garantissent qu’aucun autre gène que le gène cible ne change. Alors que les sélectionneurs hybrident depuis des siècles, il n’y a eu durant tout ce temps aucune vérification sur l’ADN qu’ils pouvaient ajouter sans le savoir.

Quelles sont selon vous les applications les plus intéressantes de Crispr dans le domaine agricole ?

E.C. : Beaucoup de recherches sont menées pour anticiper comment les plantes réagiront aux conditions environnementales qu’entraînera le changement climatique. Savoir comment les plantes résistent, et connaître les évolutions naturelles que leur génome a subies pour traverser ces conditions, nous permettra de nous inspirer de cette sélection naturelle, en la reproduisant dans des plantes qui seront plus adaptées localement.

Quelles avancées attendez-vous dans le futur en biologie moléculaire ?

E.C. : De la résistance aux antibiotiques en passant par les mécanismes de défense immunitaire, toute ma carrière a été tournée vers la compréhension de la manière dont les bactéries et les virus entraînent des pathologies chez les êtres humains. La pandémie que nous traversons donne encore plus de sens à ces études, qui nous permettront d’être mieux armés, et de réagir plus rapidement lorsque la prochaine épidémie surviendra.

Propos recueillis par Ivan Logvenoff