Forum de l'agriculture
La diversification, rempart contre les aléas climatiques ?

Ariane Tilve
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À l’occasion du Forum de l’agriculture sur le changement climatique, organisé du lundi 28 novembre au vendredi 2 décembre, le Département et la chambre d'Agriculture ont mis à l’honneur plusieurs exploitants dont les démarches sont particulièrement encourageantes. Parmi ces structures qui font figure d’exemple, l’indétrônable Copex de Taizé et son modèle unique de diversification et de transformation.

Clotilde Lacroix, Pierre-Yves Décours et Christophe Para de la Copex.
Clotilde Lacroix, Pierre-Yves Décours et Christophe Para de la Copex.

Mercredi 30 novembre, à Taizé, nous attendent trois membres de la Copex pour nous parler de ce GAEC fondé en 1962. Diversification et transformation sont les maîtres mots des cinq associés de cette exploitation de 260 hectares, qui n’a pas grandi depuis ses débuts. Christophe Para, Luc Baumont, Fabien Clément, Kévin Guillermin et Pierre-Yves Décours produisent des petits fruits, des céréales en transition bio, du raisin issu de leurs vignes et des légumes, avec l’aide de 3,5 ETP. « Nous avons deux structures : le Gaec et la SARL Parfums de terroirs pour faire de l’achat - vente, notamment en photovoltaïque », explique Christophe Para. Ensemble, ils réfléchissent en permanence aux productions qui seront adaptées demain. Le Gaec dispose également sur place d’un atelier de transformation pour la préparation de coulis, compotes, sorbets, jus, purées de légumes, etc. afin de capter la valeur ajoutée des produits en sortie de champs. La diversification a des intérêts agronomiques et climatiques. Elle permet à l’exploitation d’être résiliente économiquement, même si ce modèle n’est pas de tout repos. Mais avant d’aller plus loin, et pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore, petit retour sur l’histoire de ce Gaec pas comme les autres.

Le fonctionnement de la Copex

Ce Gaec entre tiers était, à l’origine, un regroupement de cinq exploitations entre Taizé et Cluny. La seconde génération compte toujours cinq associés et leurs salariés, dont Clotilde Lacroix, responsable de la transformation. À ses côtés Pierre-Yves Décours, en charge des petits fruits. Personne n’habite sur place, ce qui permet de différencier vie professionnelle et vie privée. « Le personnel nous aide notamment pour la récolte des petits fruits et la transformation, activités gourmandes en main-d’œuvre. 18 à 20.000 heures de travail annuel », expliquent Pierre-Yves. Pour ce qui est de la répartition du temps de travail, « nous avons une comptabilité analytique, ce qui n’est pas courant en agriculture. Nous savons exactement combien de temps passé sur chaque atelier. Ce qui permet de s’organiser », souligne Christophe Para. Tous les lundis matin une réunion permet d’organiser le travail hebdomadaire. En théorie du moins, puisque les aléas, qu’ils soient climatiques ou autres, impliquent un ajustement permanent. A posteriori, cette comptabilité analytique permet pourtant d’avoir une vision sur les secteurs plus ou moins gourmands en main-d’œuvre, mais aussi en termes de rentabilité. « Avec la diversification, le chiffrage est important. L’impression de ce qui fonctionne ou pas ne se traduit pas forcément dans les chiffres, il faut donc ce recul. C’est une aide à la gestion », insiste Christophe Para.

Diversification

Les grandes cultures représentent 200 des 260 hectares de l’exploitation et sont, pour l’heure, absentes des ventes directes. Il n’y a plus ici de colza mais du blé, de l’orge, du tournesol, du soja, de l’avoine, un mélange triticale et pois en conversion bio et une réintroduction d’espèces fourragères pour allonger la rotation. Ces espèces fourragères (surtout de la luzerne) occupent environ 20 % de la surface et sont écoulées en vente sur pieds auprès d’agriculteurs locaux et/ou bio. « Nous souhaitons mettre en place progressivement une petite gamme de farine, avec la récolte de nos premiers blés durs l’an prochain. Nous essayons les lentilles et avons testé le sarrasin cette année, nous sommes en phase de test. La valorisation passe, en petit volume, par la SARL, puis éventuellement par la collectivité pour élargir. Nous commençons à réorienter nos débouchés de masse en bio via les agriculteurs et les éleveurs pour les mélanges bio », détaille Pierre-Yves Décours.
Pour ce qui est des vignes, la production est livrée à la cave coopérative de Buxy. C’est un atelier très touché par les aléas climatiques. Tous les ans, depuis cinq ans, grêle, sécheresse, gel et canicule se succèdent. « Quand je me suis installé, nous avions des aléas climatiques tous les cinq ans. À présent c’est environ deux fois par an », se désole Christophe Para. « On pourrait penser que la vigne est une culture résiliente, par un enracinement profond, renchérit Pierre-Yves Décours. Elle l’est sûrement dans certaines conditions, selon le type de sol, les porte-greffes choisis, etc. Mais nos sous-sols ici sont limités. Nous sommes plus gélifs. Le même impact se fait jour sur d’autres ateliers, tels que le cassis qui a, de surcroît, un enracinement superficiel ». En ce qui concerne les petits fruits, fraises et framboises sont produites sur substrat. L’objectif est de produire tout ce qui est vendu en l’état : fraise en frais et framboises en frais ou congelé, non transformé.


Une SARL pour la transformation et la commercialisation

Le Gaec propose des produits frais et des premières transformations en vente directe en fruits, telles que les purées et les compotes destinées à des professionnels. La demande est telle que la Copex doit faire appel à des producteurs extérieurs pour satisfaire sa clientèle. « Nous ne sommes pas autonomes sur ces productions, reconnaît Pierre-Yves Décours, d’autant plus que pour la transformation, s’ajoute le coût de la matière première. La framboise nous revient à 12 € le kilo, c’est donc délicat de sortir un sorbet ou une confiture à un prix raisonnable. Par le biais de la SARL nous achetons donc des framboises de deuxième choix à un agriculteur lyonnais, que l’on transforme ». Les associés se sont ensuite lancés dans la seconde transformation avec une augmentation de l’activité de 12 à 14 % par an depuis 18 ans. « Aujourd’hui nous arrivons aux limites de production de notre atelier en 2010 avec l’achat de matériel pour supporter la diversification » estime Clotilde Lacroix. Au 30 novembre, le laboratoire comptait déjà 250 jours d’utilisation, avec des conditions de travail qui ne sont pas optimales. « Nous menons actuellement une réflexion sur la qualité du travail et les normes d’hygiène à respecter pour un éventuel agrandissement du labo », ajoute-t-elle. Faut-il poursuivre cette croissance ou la limiter au bâtiment et au matériel existant ? La question est encore débattue. Quid de l’ancrage du territoire, cher à l’exploitation, et des interrogations des consommateurs sur l’origine des produits ? L’achat de matière première n’est donc pas une solution à tout. Il faudrait alors revenir à une meilleure valorisation de l’existant, encore faut-il maîtriser la production, dans toute sa diversité. « La logique voudrait que l’on maîtrise les volumes de production, de transformation et de commercialisation en diversifiant nos gammes, en nous lançant sur le légume, avec les légumes d’été faits l’année dernière (tomates, courgettes, aubergine) que l’on peut transformer en sauce tomate en tartinade de légume ». Cette année, le Gaec a notamment arrêté une partie des purées de cassis et groseilles aux professionnels en raison du coup de gel qui a entamé ses récoltes.


La diversification et changement climatique ?

La diversification implique une différence de traitement, et notamment d’irrigation, propre à chaque atelier. La Copex en a fait les frais avec le cassis qui, avant d’avoir subi le gel, a souffert de la sécheresse. Les exploitants ont donc voulu mettre à profit leur étang pour mieux irriguer. « Nous avons travaillé avec la DDT et la chambre en ce qui concerne notre petit étang pour le remettre aux normes du moment, ce qui nous permettrait d’irriguer les cassis. Il existe donc des solutions pour améliorer l’irrigation en période de chaleur, ou tout autre aléa climatique avec les filets et le système paragrêle. Mais, quel que soit l’investissement, il ne ferait que limiter les impacts sans nous en protéger et ne nous permettrait de faire un rendement plein que trois ans sur dix pour, au final, avoir un cassis qui va nous revenir à 4 ou 5 € le kilo », se désole Pierre-Yves Décours. Autre difficulté soulevée par Christophe Para, les difficultés administratives. Selon lui, la législation change sans cesse et n’encourage pas à l’investissement. Ajoutée aux aléas climatiques, elle risque d’avoir raison de nombreux ateliers, comme celui du cassis ici. Ou peut-être tout simplement que certains types de culture ne seraient plus cultivables à certains endroits. Avec ses différentes productions, ses recherches permanentes, la Copex sait mieux que personne que l’agriculture n’est plus d’un microsecteur à un autre. « Il faut que l’on accepte de passer du statut d’agriculteur, qui maîtrise le vivant, à passer certaines années au statut de chasseur-cueilleur. C’est aussi passionnant de vivre cette période pleine de défis, mais à la fin de l’année nous ne serons pas sûrs d’avoir du résultat, malgré la diversification et la transformation. La pérennité est remise en jeu tous les jours », insiste Pierre-Yves Décours. Alors ils testent à nouveau, sur des produits exotiques comme la patate douce cette année. Mais avec quels choix variétaux ? Quelle conservation Comment les écouler ? Est-ce rentable ? La réponse en termes de transformation et de commercialisation est toujours la même, il faut étoffer la gamme. S’il est vrai que la diversification et la flexibilité, l’agilité de se dire que l’on change de production lorsque les aléas climatiques deviennent de véritables changements climatiques, il est en revanche impossible de perdre de vue que le temps de l’agriculture n’est pas celui de n’importe quelle autre production. Changer implique une année, minimum, de bascule et donc de perte de production. D’autre part, il ne s’agit pas seulement de changer, mais plutôt de faire évoluer les pratiques, de chercher de voir ce qui marche sur une même production, plusieurs années durant, avant de se tourner vers autre chose. « Nous congelons, nous transformons, c’est une force. Si vous calibrez vos productions, vous avez une chance, au moins en produits transformés, d’avoir ce qu’il vous faut pour deux ans. Il y a 20 ans il fallait trois à six mois de stock de fourrage d’avance, aujourd’hui il faudrait un an. Mais ça ne se décrète pas. Certaines années il y aura des tomates, d’autres pas, certaines années il y aura du cassis et d’autres non. Tout cela nécessite une quantification des moyens et la congélation, des hangars aménagés, des surinvestissements », conclut conclu Pierre-Yves Décours.