Burgundy School of Business
Les hausses de prix sont-elles tenables ?

Cédric Michelin
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Le 29 novembre à Beaune, l’école supérieure de commerce de Dijon - nommée BSB – a organisé sa cinquième Wine Business. L’événement traitait de l’actualité autour du thème "Nouveaux défis pour les vins de Bourgogne : comment faire perdurer notre modèle ?" À commencer par savoir si avec la hausse des prix des vins, "comment le vignoble de Bourgogne peut-il maîtriser son destin ?"

Les hausses de prix sont-elles tenables ?

L’amphithéâtre du Palais des Congrès était plein, et pas que d’étudiants. Preuve que le thème était central de la "maîtrise de son destin" intéressait vignerons, négociants et acteurs de la filière, tout comme les partenaires Crédit Agricole, Medef Côte-d’Or, Autajon Étiquettes Bourgogne, André Le Groupe, la School of Wine et Spirits Business, Hillebrand Gori, Saica Pack et la Tonnellerie Cadus.
Sur la scène, la table ronde - animée par le journaliste Patrice Bouillot - réunissait trois intervenants, deux présents, Émilie Rognon de Canovia et Mathieu Woillez pour le BIVB, ainsi que Cécilia Ekfeldt en visioconférence depuis Stockholm.
Le vigneron de Vézelay et président du pôle Marché au BIVB, Mathieu Woillez rassurait d’emblée : « On ne peut pas nier les hausses, ni les classements, les reventes qui battent des records… mais il ne faut pas voir que les chiffres chocs marquants les esprits. La Bourgogne, c’est 50 % d’appellations régionales qui ne sont pas dans des tarifs stratosphériques ». Ce rappel générique fait, le temps était venu de rentrer dans les détails sur les différents segments, « s’il y a perte de clientèle, si les hausses sont justifiées ou s’il y a spéculation ». Car, certains grands crus ou domaines ont maintenant l’image, pour une majorité de clients, de vins « intouchables », si ce n’est introuvables.
Restant sur sa position, Mathieu Woillez prenait l’autre versant, rappelant que la « production coûte cher – densité de plantation, main-d’œuvre, matières premières… -, c’est pourquoi on ne trouve pas de bouteilles à 1 € comme dans d’autres régions », en écho à la crise qui sévit à Bordeaux, Côte du Rhône… « Alors que la Bourgogne reste une petite (en volumes, N.D.L.R.) région, très demandée » et recherchée sur les marchés des vins dans le monde. Pour lui, vigneron à Vézelay, pas question néanmoins de simplement profiter. « Avec des prix en hausse, on doit être conscient des responsabilités que cela induit : une montée en gamme », qui a été générale la décennie passée, portée par l’Interprofession des vins de Bourgogne et ses deux familles, voire les trois, si l’on compte les caves coopératives qui ont également misé dessus.

LES raretés font les montées en gamme

Mais comment expliquer cette « notoriété inversement proportionnelle aux quantités » disponibles ? Une des raisons pourrait être que la Bourgogne garde une image « d’exploitations paysannes », bien que des milliardaires viennent investir.
Reste qu’à mots couverts, Mathieu Woillez admettait un changement de clientèle. « Tant qu’on trouvera des clients français, c’est important de ne pas avoir que des vins accessibles à des millionnaires à l’autre bout du monde ».

Qui dit montée en gamme, dit rajout donc de « valeurs intrinsèques, de valeurs environnementales… à bien expliquer aux consommateurs ». Faisant partie du groupe André, cabinet d’expertise comptable basé à Dijon, Émilie Rognon accompagne les entreprises dans leur développement de marché, avec des conseils RSE notamment. Même discours pour elle, la vraie « premiumisation » va de pair avec la notion de rareté, de typicité forte et de « l’exigence absolue de la qualité gustative ». C’est à ces conditions qu’apparaît la « désirabilité » sur les marchés, « où la demande dépasse l’offre ». La hiérarchie des vins de Bourgogne permet aussi de créer de la rareté sur chacune des cent appellations, communales, 1ers crus et grands crus.

Durable, RSE… déjà standards

La Bourgogne a su anticiper la demande de vins « durables », que les clients, distributeurs et marchés « intègrent aujourd’hui dans leurs critères de sélection », tout comme la RSE futurs standards néanmoins. Depuis la crise Covid, « 67 % des clients finaux sont prêts à payer plus cher si ce sont des vins bio ou avec un label durable, c’est 30 % de plus en deux ans ». Émilie Rognon faisait également un parallèle avec le secteur du « luxe » ou plutôt de la « haute-couture » pour expliquer les « notions d’héritage ou de préservation des éléments structurels forts, comme les moines- abbayes. L’Histoire est un atout à faire-valoir », en plus du côté « attachement à la terre », avec ou sans majuscule. Mais si les Grands-Crus créent un « phénomène de traction rayonnant », la premiumisation des autres niveaux de la hiérarchie, induit encore plus de « relation client forte » pour « partager une expérience ».
Attention néanmoins, la clientèle « premium » ne veut pas la même « expérience » que d’autres. « Le créateur de tendance, LVMH mise sur le bas-carbone par exemple », pouvant aussi rebattre les cartes sur les marchés des vins. Bouteilles, exports… pèsent pour 52 % des émissions de gaz à effet de serre, selon le BIVB. « Donc, jouer sur ses bouteilles, l’emballage, la logistique… ouvre énormément d’opportunités de positionnement pour être singulier et attirer de nouveaux consommateurs ou nouveaux modes de consommation ».

Les revers de médaille

Si des opportunités apparaissent sur les marchés, des dangers y sont inhérents en retour ? « Vendre plus cher permet de certes financer plus de choses, mais c’est aussi un cercle vicieux, avec plus de choses à justifier et à valoriser, qu’on n’avait pas l’habitude avant », soulignait Mathieu Woillez, qui pensait alors « aux investissements, projets, conversion, tourisme… et même enjeux de société », comme la Bio ou RSE qui tendent à être standards à ces niveaux. Idem demain pour le bas-carbone. Sachant qu’un « retournement de marché » n’est jamais exclu, plus haute sera la chute… « avec des Millenials pour l’heure pas intéressés par le vin ».
C’est donc important de segmenter aussi côté charges. Pour le producteur de Vézelay, « le niveau de production AOC village doit être plutôt corrélé aux coûts de production » ou à la « notoriété » de l’appellation, lui qui a constaté « le coup de projecteur » et la hausse des demandes et des prix, après la Saint-Vincent-tournante 2019. Et Mathieu Woillez de rappeler que le passage de régionales à communales AOC, « n’est pas pour augmenter les prix mais l’INAO constate que les prix ont déjà augmenté » avant.

Foncier intransmissible

Attirant forcément les regards, des arnaques apparaissent aussi avec notamment des contrefaçons. La traçabilité des bouteilles devient un gage d’authenticité.
Si les vins deviennent rares, l’autre « rareté » derrière est celle du foncier, éminemment convoité. La « spéculation » foncière menace les transmissions familiales. En cinq ans, les prix des vignes ont été « multipliés entre 2 et 6 », selon les AOC. Et même parfois, il n’y a plus de prix à l’image du milliard d’€, qui se murmure, pour l’acquisition de la Maison Bouchard, William Fèvre à Chablis et champagne Henriot par Artemis Vignobles de François Pinault. Aucune solution n’a été trouvée pour l’heure face à cette tendance de fond…
Le responsable du pôle Marché au BIVB se voulait optimiste, « les fourchettes des prix en Bourgogne restent tenues et serrées, d’un facteur 1 à 4 dans une même appellation, alors que dans d’autres régions, cela va de 1 à 20. Et après, il y a la hiérarchie et des vins stars ».
Après une heure de débat, bien des questions restaient en suspens et restent sans réponse certaines. Inflation, vague de départs en retraite, hausse du vrac, sortie des caves coopératives, hausse des cartes de négoces, monté du marché des bières et spiritueux, monté des vignobles du monde… aucun marché n’a de certitude gravée dans le marbre. 

Suède, Norvège : de forts pouvoirs d’achat

Accompagnant les entreprises cherchant à se développer sur les marchés de la Suède et Norvège, Cécilia Ekfeldt à Business France accompagne nombre d’entreprises viticoles de Bourgogne, notamment à trouver un importateur, faire les démarches auprès des Monopoles d’État ou les... contourner. À la question si elle trouve les vins de Bourgogne chers, Cécilia Ekfeldt semblait plutôt penser le contraire. « On boit plus de vins et ce, avec des prix corrects pour nos consommateurs », car tout est relatif en fonction du pouvoir d’achat du pays… Car ces pays sont des « marchés matures », tous deux dans le Top 10 export en volume et en valeur pour les vins de Bourgogne. Ces « grands amateurs » de vins ont « tendance à rechercher des vins artisanaux de terroirs », donc favorable aux Bourgognes. Si les vins italiens sont leaders sur les vins d’entrées de gamme (9 €/col), la restauration, les sommeliers et les cavistes ont une « clientèle qui a les moyens ». D’où l’importance des « wine tours » conjoints entre le BIVB et Business France pour convaincre ces « prescripteurs » et journalistes pour avoir bonne presse et de « belles cartes des vins de Bourgogne ».