Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne
Les « zones grises » des bilans carbones

Cédric Michelin
-

Le 15 décembre à Beaune, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) invitait Marie-Catherine Dufour, directrice technique au Comité interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) à venir présenter la stratégie carbone des vins de Bordeaux débutée dès 2007. Une belle expérience riche d’enseignements pour les vins de Bourgogne puisque le BIVB tend à la neutralité carbone des vins de Bourgogne à l’horizon 2035.

Les « zones grises » des bilans carbones
À la question du bilan carbone des caisses en bois des vins de Bordeaux, Marie-Catherine Dufour répondait que « le bois n’est pas incohérent avec les Landes proches mais là, on passe au marketing donc au choix de l'entreprise viticole ».  Reste à savoir surtout si tous les clients y sont attachés ou non.

Et c’est un langage de « vérité » et avec « franchise » qu’elle présentait les réussites et échecs de la filière Bordeaux à diminuer son empreinte carbone. « C’est un sujet mondial qui dépasse la Bourgogne ou le Bordelais, donc on doit collaborer », remerciait-elle pour l’invitation et le travail qui se renforce avec son collègue du BIVB, Jean-Philippe Gervais.
D’emblée, elle mettait la barre haute. Lorsqu’on parle de bilan Carbone, « beaucoup d’entreprises parlent de leur ensemble d’activités (scope en anglais) amont et de production, à l’image de celui de la France qui oublie que beaucoup de produits viennent de Chine et qu’on surconsomme », invitait-elle donc à bien calculer avec les activités aval de consommation, allant des déplacements de clients à la fin de vie des produits vendus. Preuve que cette notion n’est pas un réflexe, le premier bilan carbone de la filière des vins de Bordeaux et encore le dernier ne prennent pas en compte l’activité œnotourisme. « Car les touristes viennent pour plein d’autres raisons », expliquait-elle. Rien n’est parfait, mais il faut s’améliorer au fil du temps, semble-t-elle avoir pour seul leitmotiv.

Facile au début puis…

Le périmètre du bilan carbone du CIVB comprend donc la partie énergie, hors énergie, fret, déplacements, matériaux entrants, services, déchets, eaux usées, immobilisations… Alors quelles évolutions depuis 2007 ? Les émissions absolues atteignaient 967 ktCO2 en 2007 pour arriver au deuxième bilan en 2012 à 775 ktCO2 (-19 %). « C’était en fait facile, car on a joué sur le gros poste, le verre, en diminuant le poids des bouteilles, ce qui a donné des résultats immédiats ». Par contre, la suite a été « moins évidente » pour passer à 587 ktCO2 en 2019 (-24 %). Et de reconnaître alors que le CIVB avait posé l’objectif « mais on n’a pas piloté grand-chose » ne suivant pas vraiment les changements de pratiques dans les 6.000 entreprises viticoles, s’auto-critiquait-elle visiblement « pas satisfaite ». Car en réalité se cache derrière cette baisse de -24 % une autre réalité, une hausse de 6 %. Comment ? « En rapportant à l’hectolitre vendu », démontrant « qu’on peut faire dire n’importe quoi à un indicateur » s’il n’est pas bien choisi au départ.
Autre difficulté que la filière paye cher aujourd’hui et que le Bordelais a mal expliqué, abaisser sa consommation de fioul, donc de gaz à effet de serre (GES), c’est utiliser contre les maladies, des produits « pas dans l’air du temps à l’inverse des petites doses de cuivre » qui nécessitent pourtant plus de passages et de temps. Des paradoxes que la filière vin connaît trop bien, devant naviguer en « zone grise, ni blanc, ni noir » et risquant à tout instant du vitibashing, couplé d’une crise de réputation et de ventes.

Joujoux énergivores

Pourtant, en reprenant la hauteur de l’amont et l’aval de la filière, comme en Bourgogne, la majorité des émissions du Bordelais se trouve dans le verre/bois (34 %) et le fret (19 % + 8 déplacements domicile-travail). Devant donc les 18 % du fioul en viticulture et 11 % en immobilisations incluant les « tracteurs, ces joujoux sympas pour grands enfants tous les quatre ans », se moquait-elle un peu, prônant plutôt pour des investissements dans des chais moins énergivores.
Pour « réduire, éviter, séquestrer » mieux en 2030, un peu à l’image du slogan de sobriété électrique gouvernemental actuel, le Bordelais veut continuer de réduire l’impact des bouteilles. « Mais face à 3-4 verriers fournisseurs, même Bordeaux ne pèse pas lourd. On a besoin de l’ensemble des vignobles », plaidait-elle. Et de prédire que sinon, « on vend du vent ou plutôt, on vend même du gaz à nos clients », se lâchait-elle. Car elle mesure aussi toute l’étendue du problème. « Notre objectif Climat, c’est comme une pelote de laine, on a toujours besoin de plus d’experts »…

Rentrer dans le dur : le suivi !

Pas de découragement cependant, se reprenait-elle, se remotivant avec les nouveaux objectifs validés par les professionnels lors des ateliers, avec par exemple sur le machinisme en 2030, « 5 % au biogaz, 5 % aux biocarburants, 15 % à l’électricité, 1 % à l’hydrogène, 15 % à la durée de vie augmentée, 10 % mutualisé en plus hors tracteurs… ».
Au final, si Bordeaux arrive à suivre sa nouvelle feuille de route, « le compte est bon » avec -54 % de GES en 2030 par rapport à 2007… en théorie.
« Maintenant, on rentre dans le dur », ne cachait pas Marie-Catherine Dufour qui a mis en place déjà 4-5 indicateurs « simples pour que chacun puisse se comparer par rapport à la filière » mais désormais le besoin d’outils d’évaluation se fait nécessaire : de longs tableurs Excel à remplir ou alors « une prestation de service » pour faire son bilan carbone précisément. Pas sur tous les points néanmoins. L’évaluation du poids des bouteilles peut se faire avec les verriers, l’Adelphe ou un panel. Ce sera déjà plus dur de suivre les emballages écoconçus utilisés selon les domaines et gammes. Etc.

La séquestration pas neutre

Le plan d’action du CIVB a ainsi décliné ses 5 axes stratégiques, en 27 sous-axes, 71 actions et 109 sous-actions, « donc beaucoup de travail ». Surtout pour les domaines viticoles qui ne vont pas avoir, dans leurs vignes, moins de travail bien au contraire : augmentation de l’enherbement « avec des couverts végétaux à ne pas retourner avant dix ans », « planter et cultiver des haies efficaces pour la séquestration du carbone », « arrêt des fertilisants chimique pour la fertilité des sols ». Ceci étant pour la partie stockage de carbone, se rajoute la partie "évitement" en « valorisant les co-produits de la vigne » comme dans 3 ans, les ceps de vigne dans des chaufferies à pyrolyse, ou en « captant et transformant le CO2 issu de la fermentation » en bicarbonate de potassium réutilisé en agroalimentaire ou cosmétique. Et, évidemment, privilégier les énergies renouvelables.

Enfin, tout le monde s’accorde que hormis arrêter de produire, la neutralité ne peut être atteinte qu’en compensant, via notamment des plantations/gestion de forêts. Mais là encore, le diable peut se cacher dans les détails. « Ne faites pas comme n’importe quelle entreprise avec des programmes internationaux », demandait-elle de privilégier « des réserves de terres à l’échelle de votre filière locale », et encore, « si dedans, il y a des élevages (d’animaux, NDLR), c’est moins valorisable ».

En tout cas au final, le président de Vitagora, Pierre Guez se montrait comme le reste de l’assemblée du BIVB, très intéressé. « Nous lançons en 2023, une action similaire avec 750 entreprises, dont la filière céréalière et coopérative Invivo », annonçait-il. Preuve que la tendance de fond est belle est bien lancée : « à Bordeaux, la grande distribution nous dit que le RSE, c’est bien mais que la baisse de CO2, c’est un avantage concurrentiel. Même attente forte déjà du côté de certains monopoles, comme au Québec, mais là, le poids ridiculement bas des bouteilles pose d’autres problèmes », concluait-elle sur ce sujet sans fin.