Agricultrices
Entre la loi et les faits

Le think tank Agridées a organisé, une projection-débat autour du documentaire « Moi agricultrice », qui analyse la manière dont les femmes d’agriculteurs sont, petit à petit, parvenues à devenir (presque) les égaux de leurs homologues masculins. Derrière les avancées juridiques, la réalité semble plus complexe. 

Entre la loi et les faits

Les jeunes générations d’agricultrices disent merci à leurs aînées pour avoir déblayé le terrain et faire avancer quelques dossiers sur la cause des agricultrices dans le milieu agricole et au sein de la société. Elles sont reconnaissantes envers celles qui « ont été la voix des gens sans voix », selon la formule de Michou Marcusse, l’une des pionnières qui a dédié sa vie à la cause des agricultrices, puisant son engagement auprès de la Jeunesse agricole catholique (J.A.C), qu’elle rejoint dès l’âge de 14 ans. Elles se reconnaissent aussi dans ce combat qui n’est pas terminé « car il reste encore beaucoup à faire », témoigne Delphine Prunault, la réalisatrice du documentaire. Revenant sur l’adoption en 2019 de la loi qui a accordé aux agricultrices un nombre de jours de congé maternité égal à celui des travailleuses indépendantes et des salariées, elle relate l’exemple d’une jeune agricultrice qui a dû reprendre le travail après seulement deux semaines d’arrêt « parce que le service de remplacement était défaillant […] Il y a la loi et les faits », insiste-t-elle. De même, Muriel Penon, viticultrice et productrice de viande bovine en Charente-Maritime, explique-t-elle avoir peiné « pendant plus de trois ans » avant de trouver sa place dans l’entreprise, alors même « que je suis coexploitante ». La faute « au poids des traditions et à un relent de patriarcat », soutient-elle. On était alors au début des années 2000. Vingt ans après, celle qui est devenue vice-présidente de la Chambre d’agriculture de son département, ne décolère pas contre certaines attitudes toujours tenaces. Ainsi, restée seule sur l’exploitation, elle doit faire face à un vêlage compliqué. Son beau-père vient à son secours. À deux, ils ne parviennent pas à faire sortir le veau. Elle propose d’appeler le voisin. Son beau-père refuse. Muriel s’absente quelques instants et quand elle revient, le voisin était là. Il avait été appelé par son beau-père… « J’étais furieuse », grogne-t-elle, précisant que la scène s’est passée il y a « 15 jours ».

Entre féminisme et sororité

Parmi les nombreux chantiers qui restent à conquérir, les agricultrices entendent avoir plus de visibilité (lire encadré) et de responsabilité au sein des instances dirigeantes : syndicalisme, coopératives, Chambres d’agriculture, etc. Il faut faire comprendre aux dirigeants que laisser sa place aux femmes doit être naturel pour éviter que le couperet législatif ne tombe et n’impose des quotas stricts. Une nouvelle directive européenne de juin 2022 impose d’ailleurs aux entreprises cotées en Bourse d’avoir 33 % de femmes au conseil d’administration ou 40 % parmi les membres non-exécutifs du conseil avant mi-2026. « On essaie de prendre les devants, mais on se heurte parfois à des réflexions parfois désagréables : “On ne trouve pas de femmes” ; “Elles ne sont pas disponibles”. Ce qui est très étonnant quand on sait que 25 % des femmes sont cheffes d’exploitation », remarque fort justement Muriel Penon. Entre féminisme et sororité (l’équivalent féminin de fraternité signifiant solidarité entre femmes, N.D.L.R.), les agricultrices « s’appuient aussi sur le collectif pour s’émanciper », remarque Christophe Leschiera, responsable de la communication de Trame qui cite notamment les Groupes de développement agricole (GDA). « Ils leur ont permis de donner confiance en elles », insiste-t-il.

Pour Delphine Prunault, il est primordial pour les jeunes générations de « lutter contre les stéréotypes et les caricatures » selon lesquelles les femmes sont « plus douées avec les animaux, qu’elles feront mieux de la vente directe, etc. » D’autant plus important que si le nombre de jeunes femmes n’a jamais été aussi élevé dans les établissements scolaires et universitaires agricoles, « le nombre d’installations de femmes chef d’exploitation stagne depuis vingt », s’inquiète-t-elle sans déterminer les causes du phénomène. Cependant, certaines, à l’image de Géraldine Maréchal, 40 ans, installée en volailles depuis seulement deux ans après une reconversion, ne trouvent pas le milieu « si misogyne que ça. Je n’ai pas subi le plafond de verre. Sur mon exploitation, je prends mes décisions toutes seules », soutient-elle. Comme le souligne ce documentaire tout en pudeur et en justesse, « l’avancée des droits des agricultrices est une longue marche gagnée à tout petits pas ».

En quête de visibilité

Les agricultrices restent encore peu visibles dans la société française et au sein du milieu agricole. Pour preuve, sur les visuels publicitaires, « on trouve toujours plus d’hommes que de femmes », remarque Anne Dumonnet-Leca, vice-présidente du Syndicat des Rédacteurs de la Presse Agricole (Syrpa) une communauté de près de 400 communicants et communicantes passionnés d’agriculture, d’environnement et d’alimentation. Selon une récente étude, environ une publicité sur dix montre une femme seule montrant un produit spécifiquement agricole, en machinisme, engrais, phytosanitaire, etc. « Mais on trouve de plus en plus de couple pour valoriser les produits commerciaux », ajoute-t-elle. Surtout, « les universitaires commencent à s’intéresser aux agricultrices et à travailler sur leur représentation. C’est un signe », conclut-elle.