Elevage allaitant de Saône-et-Loire
Tout va-t-il se jouer au printemps ?

Cédric MICHELIN
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Le 9 février, la section bovine de la FDSEA de Saône-et-Loire organisait une visio-conférence pour mieux comprendre la situation de l’élevage allaitant face au changement climatique. Avec l’expertise de la chambre d’Agriculture, des pistes d’adaptation émergent. Nulle solution toute faite cependant. Une chose est sûre : mettre en commun les informations est nécessaire, comme avec cette réunion-ci.

Tout va-t-il se jouer au printemps ?
Plusieurs éleveurs posaient la question de savoir « combien les "solutions" vont coûter en plus », notamment sur la partie herbe/cultures. « Difficile de prédire les potentiels gains/pertes. Coûts des semences/t matière sèche récoltée », tout dépend de la situation de départ et… lorsque la récolte se fait.

2015, 2018, 2019 et 2020. La Saône-et-Loire a connu quatre sécheresses en six campagnes. Trois années consécutives. Certes la section bovine travaille sur le dossier Calamité sécheresses, certes la FDSEA pousse pour améliorer le volet assurantiel sur les pertes de récoltes mais, comme le rappelait en introduction le président de la section bovine, Guillaume Gauthier, « il nous faut réfléchir aux axes d’adaptation face au changement climatique », avant même de parler des "outils" nécessaires pour tenter de compenser les pertes.
La profession, avec l’appui des collectivités publiques (Département, Région…), a demandé à la chambre d’Agriculture de mener des audits pour mieux comprendre et mieux aider les exploitants.

Les conseillers, Noémie Morin et Thierry Lahémade présentaient leurs études (à partir du réseau Inosys-Réseau d’élevage charolais). Bien que les données 2020 ne soient pas encore toutes « compilées », ils analysaient les différents aspects – technico-économiques – des sécheresses 2018 et 2019, « chez nous dans le Charolais-Brionnais-Autunois » et d’autres départements (Cher, Indre, Loire, Nièvre, Côte d’Or…). Comme toujours, ces études s’appuient sur des fermes représentatives, et ne peuvent donc englober toute la diversité des cas. Ici, les huit « fermes herbagères » suivies ont une forte proportion de prairies naturelles et peu (moins de 20% SAU) de cultures. Sept « naisseurs » produisent des mâles et femelles maigres et/ou finis. Un élevage engraisse tout. La moyenne du groupe se situe à 133 ha de SAU, dont 120 ha d’herbe à 84% en prairies naturelles. Le chargement moyen est 1,14 puisqu’il y a 141 UGB en moyenne et 88 vêlages. Ces derniers chiffres sont relativement « stables » sur la période de référence étudiée ici 2014-2020. Idem pour la productivité mesurée en kg vifs produits par UGB présents. « On constate une légère augmentation des UGB (+5) mais aussi un léger déchargement grâce à l’agrandissement de proximité : 11 ha en plus de moyenne d’herbe », résume Thierry Lahémade. Une façon aussi d’essayer de faire plus de stocks en prévision de l’hiver.

À minima 8.000 € de charges en plus

S’ils considéraient 2017 comme une année « normale » pour les rendements des fauches, 2018 a vu les récoltes diminuées. Néanmoins, 2019 est considérée comme « correcte en ensilages et foins ». Par contre en 2019, la « chute a été brutale » entre première et seconde coupe « car il n’y a pas eu de repousse » avec la sécheresse. Côté ensilage de maïs, sur ces deux années, la baisse a avoisiné -50%. Phénomène aggravant bien connu, la part redistribuée au "pâturage" a augmenté dans le même temps de 50-60 tonnes de matière sèche, « soit environ 20% de la récolte totale » annuelle. L’affourragement estival et automnal est important donc. L’impact économique est immédiat avec +8.000 € de charges (+16% ; 50.000 à 58.000€). 86% de ces 8.000€ sont dus aux postes alimentation (+46€/UGB) et litière. « Il y a eu plus d’achat de concentrés et de fourrages, ces derniers, produits, étant plus pauvres. Les concentrés sont venus équilibrer la ration l’hiver suivant ». Côté charges de structures, ces dernières ont augmenté « toute l’année (eau, carburant…) » de façon constante  dans ce panel « car aucune des 8 fermes n’a été obligée de rouler de l’eau », en 2018-19, nuançait Thierry Lahémade.
Résultat final en terme d’efficacité technico-économique mesurée avec le rapport EBE/produit brut (sans les aides sécheresse), la baisse dès 2018 est « brutale » avec 8 points de perdus. -6 points si l’on incorpore les aides. « Et en 2020, les chiffres seront plus mauvais encore avec les cours en mâles qui se sont dégradés ». Et Thierry Lahémade de préciser : « Inosys est le "haut du panier". Ailleurs l’impact est de plus grande ampleur, surtout si les systèmes fourragers sont fragiles ». Éleveur à Varenne-Saint-Germain, François Nugue rajoutait à cette triste liste « les charges pour remettre à niveau les prairies ou les frais d’implantation d’une luzerne (300€/ha) par exemple qui n’a jamais poussée » qu'il ne faut pas oublier de compter. Idem pour des méteils décevants, etc…

Tout se joue au printemps ?

La conseillère chambre, Noémie Morin rebondissait en expliquant les conséquences du réchauffement climatique (attendu entre +1 et+8°C de hausse moyenne dans 30 ans) chez nous. « Nous aurons autant de pluie à l’année mais répartie différemment, avec de l’eau moins disponible du printemps à l’automne ». La pluie tombera l’hiver majoritairement rendant urgent de réfléchir à sa gestion. La date de franchissement des 800° de somme de température va « nettement avancer », et avec, l’apport d’engrais ou la date de première fauche. Mais attention, le « risque de gelée tardive perdure » pour les cultures même si la date de la dernière gelée devrait avancer du 1er avril au 20 mars. "Bonnes nouvelles", le rendement en herbe au printemps devrait augmenter « avec un pic mi-avril au lieu de mi-mai ». S'ensuivrait par contre une « longue période sans herbe » avant de voir « un rebond en automne » et potentiellement un hiver moins long.
« 65 % de la pousse de l’herbe devrait avoir lieu avant fin juin. Après 2049, jusqu’à 75 % ». Noémie Morin prédisait voir certainement « plus de fauches précoce en ensilage » demain et moins de foin de 1ère ou 2nde coupe. Du côté des ensilages de maïs, difficile de prédire mais « des semis précoces de variétés tardives » pourraient s’imposer. Des dérobées, avec des Ray Gras notamment, aussi. En parallèle, « il faut de plus en plus optimiser votre système fourrager, vos surfaces de fauche, votre gestion du pâturage… ». Et encore et toujours viser à faire plus de stocks, en essayant des espèces pures ou en mélange, en faisant des semis sous-couverts, des sur-semis… « mais cela va engendrer des coûts supplémentaires en semences, matériels, main d’œuvre… », reconnaissait-elle.

Trois étapes à respecter

« Pas de recette miracle » donc mais trois étapes à bien respecter : prendre le temps d’analyser sa conduite pour bien connaître « ses performances », puis choisir une ou deux « pistes » et enfin, vérifier les évolutions sur son système en reprenant l’analyse au début. La chambre d’Agriculture propose pour cela des "outils" (Mon Troupeau, Herbe Hebdo, Agro info…) pour gérer au mieux herbe et cultures, anime des groupes de travail entre agriculteurs, mène des essais (Jalogny, Herbadéquat, Herbexpert…) et propose des formations. Les audits d’exploitation qui ont été menés permettent aussi à tous de se comparer. Des fiches sont disponibles par région, secteurs voire par commune. Autant d’indicateurs qui ouvrent de nombreuses pistes de réflexion.

Canicules : baisse GMQ, baisse des reproductions…

Au-dessus d’une température de 27°C (selon humidité de l’air), bovins et ovins subissent un "stress important" en raison de ces fortes chaleurs. En Saône-et-Loire, le nombre de jours dépassant ce seuil va augmenter. Va aller de pair, le besoin en eau. Autres conséquences fâcheuses, la baisse des GMQ, la baisse de l’efficacité de la reproduction chez les génisses (viabilité de semence quasi-nulle à une température interne de 40°C)… ce qui obligera à conduire différemment son troupeau « en limitant les bêtes improductives, en adaptant la période de vêlage et de reproduction, en revoyant les systèmes et dates de ventes, en surveillant les taux de mortalités… ». « Il faudrait aussi faire les saillies avant les premières chaleurs d’été ». En bref, il faudra donc chercher à favoriser « l’ingestion d’énergie », c’est-à-dire distribuer les aliments aux périodes fraiches, prévoir des points d’eau, de sels… mais également augmenter les points d’ombre avec des haies hautes par exemple. En été, les bâtiments devront avoir un bon flux d’air. Avec des hivers plus courts en durée, les besoins en paille ou litière pourraient baisser. Entre vêlages d’automne ou de printemps, les premières études avec ces météos extrêmes semblent montrer que les veaux en été sont « plus forts que ceux à l’automne car le cheptel est plus résilients en fourrages » à cette époque. A confirmer.

Prairies permanentes : le stockage du carbone contreproductif ?

À la fin de la visio-conférence, un petit débat naissait autour de la question du stockage du carbone via les prairies permanentes. Stockage utile pour atténuer le changement climatique, améliorant le bilan (gaz à effet de serre) de l’élevage et rémunérant potentiellement demain les éleveurs pour. Dès lors, les prairies permanentes sont-elles figées à jamais ? « Non, soyons clair, la réglementation permet encore de labourer certaines surfaces en prairie. C’est une marge de manœuvre pour aller chercher de l’autonomie fourragère », affirmait Luc Jeannin, vice-président de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire. « Une prairie permanente qui a souffert de canicule a aussi besoin d’être rénovée. S’il nous faut intensifier la culture de notre herbe, il faudra retourner et réimplanter, peut-être avec des espèces plus résistantes à la chaleur et à la sécheresse », renchérissait Guillaume Gauthier.
À trop suivre un seul indicateur, on en perd le sens global. « Les calculs se font par kg de viande produit/UGB/ha. Le fait d’extensifier nos élevages, avec plus de surfaces en herbe, ne va paradoxalement pas améliorer notre note ou bilan carbone », critiquait Christian Bajard, président de la FDSEA, qui plaide pour trouver de meilleurs indicateurs et les harmoniser à l’international pour ne pas perdre ou induire en erreur les consommateurs au final. Ces scores "carbone" pourraient en effet finir sur les emballages alimentaires de façon réglementaire ou comme argument commercial.