Elevage
Lutter contre la désertification vétérinaire

Ariane Tilve
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Réformer le dispositif du suivi sanitaire permanent (SSP) suffira-t-il à lutter contre la détérioration du maillage vétérinaire territorial ? Rien n’est moins sûr à en croire l’Atlas démographique de la profession qui confirme le recul des spécialistes en animaux de rente. Aides à l’installation, stages tutorés, hausse du nombre de vétérinaires formés, les pouvoirs publics ont tenté différentes approches pour séduire les étudiants mais, au-delà des freins humains à l’installation, le manque d’attractivité économique, au regard des contraintes, pousse les vétérinaires à se désengager de l’élevage.

Lutter contre la désertification vétérinaire

La médecine vétérinaire rurale est plus contraignante et généralement moins rémunératrice que l’exercice auprès des animaux de compagnie. De plus en plus de vétérinaires arrêtent leur activité auprès des animaux de rente, et les jeunes diplômés sont peu enclins à se lancer en rural. Moins de 17 % des vétérinaires ont déclaré une activité pour les animaux de rente en 2022. Ce nombre est en constante baisse, ce qui dégrade les conditions de travail des éleveurs et des vétérinaires ruraux eux-mêmes. Pour maintenir un maillage suffisant, plusieurs actions ont été mises en place par le gouvernement depuis 2017. Dernière annonce en date : la taille des promotions des quatre écoles nationales vétérinaires sera portée à 180 étudiants à compter de 2025. Pour inciter les jeunes diplômés à s’installer en milieu rural, les collectivités territoriales ont désormais la possibilité de délivrer des aides financières et matérielles aux vétérinaires et aux étudiants. En parallèle, les stages tutorés - permettant à un cabinet exerçant en milieu rural d’accueillir un étudiant de 6e année pour un stage de longue durée - se développent. Plus d’une centaine de stages tutorés sont effectués chaque année, contre sept en 2013. Reste le problème de l’attractivité économique avec une rémunération qui ne semble pas à la hauteur des contraintes. Alors que le chiffre d’affaires des spécialistes en animaux de compagnie a progressé de 113 % entre 2000 et 2016, il n’a augmenté que de 31 % pour les animaux de rente, selon l’Insee.

Le décret encadrant la vente de médicament en cause ?

La vente de médicaments représente 80 % du chiffre d’affaires des vétérinaires ruraux, d’après l’Insee. Or, les praticiens intervenant au quotidien dans les élevages voient une partie des ventes leur échapper. En cause, le décret de 2007 relatif au suivi sanitaire permanent (SSP) qui permet à au moins un vétérinaire auquel l’éleveur a confié le suivi sanitaire de délivrer des médicaments sans examen clinique. La réalisation du SSP comprend normalement l’établissement d’un bilan sanitaire, la mise en œuvre d’un protocole de soin, des visites régulières et la dispensation régulière de soins aux animaux. Mais grâce, ou à cause de ce décret, des médicaments sont aujourd’hui prescrits par des vétérinaires installés loin des exploitations qui viennent faire une visite d’élevage a posteriori, sans assumer les contraintes du SSP. Certains n’y mettraient même jamais les pieds. Les professionnels qui assurent gardes, urgences et déplacements s’agacent de cette situation. D’autant que le prix des actes vétérinaires ne représente qu’une partie mineure du chiffre d’affaires. « Le prix des actes n’est peut-être pas à la hauteur. Les vétérinaires se rattrapent sur la vente de médicaments », analyse Joël Limouzin, en charge du dossier pour la FNSEA. Pour contrer ces dérives, les pouvoirs publics planchent sur un nouveau décret instituant un vétérinaire traitant, à l’image du médecin traitant, pour assurer le SSP. « Cela ne ferme pas la porte à l’intervention d’autres vétérinaires sur place en élevage », précise Laurent Perrin, président du Syndicat des vétérinaires libéraux (SNVEL). En contrepartie, les éleveurs pourraient bénéficier d’un assouplissement de la réglementation en matière de médicaments. Ils pourraient notamment détenir certains médicaments dans leur pharmacie, sous la supervision du vétérinaire traitant. « En élevage bovin, cela aurait du sens d’avoir un anti-inflammatoire à disposition pour les urgences », donne comme exemple Joël Limouzin.

Le modèle du vétérinaire sanitaire est-il obsolète ?

La tarification des prestations de prophylaxie fait chaque année l’objet de débats entre les vétérinaires, qui demandent une revalorisation, et les éleveurs, qui ont la charge financière de ces actes obligatoires. En l’absence d’accord, la décision finale revient au préfet. « Ce qui augmente les tensions, ce sont les allègements de prophylaxie (décidés en raison de l’amélioration de l’état sanitaire du cheptel français, N.D.L.R.). Au lieu de faire 100 % des bovins dans un élevage, on va, par exemple, nous demander de n’en faire que 40 % », explique Laurent Perrin du SNVEL. Or, les vétérinaires sanitaires sont rémunérés à l’acte. Ramené au prorata du temps passé sur l’exploitation, sans revalorisation du tarif, ils sont perdants. « L’amélioration de l’état sanitaire des troupeaux induit de facto une diminution fondée, techniquement, et légitime des actes liés à l’habilitation sanitaire. Aussi, le modèle de rémunération des vétérinaires basé sur les actes réalisés dans le cadre de l’habilitation sanitaire nécessite une évolution pour en tenir compte », ont plaidé conjointement cinq organisations professionnelles agricoles (Chambres d’agriculture, FNSEA) et vétérinaires (Ordre, SNVEL et groupements techniques vétérinaires) dans un courrier adressé au ministre de l’Agriculture en octobre. Ils demandent à l’État d’engager un travail pour « créer un modèle de rémunération du vétérinaire sanitaire décorrélé de l’acte ».

La contractualisation en réponse à la désertification vétérinaire

Une contractualisation libre entre éleveur et vétérinaire permettrait d’offrir de la visibilité à l’éleveur sur ses charges et des garanties, et au vétérinaire sur son volume d’activité. La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, estime que c’est un « outil indispensable de lutte contre la désertification vétérinaire ». Avec les chambres d’agriculture, le SNVEL et l’Ordre national vétérinaire, la FNSEA planche sur un accord-cadre pour faciliter la mise en place d’un tel contrat, qui suscite tout de même quelques réticences. La contractualisation est une pratique répandue pour certains actes en troupeaux laitiers comme le suivi de la reproduction, de l’alimentation ou de la qualité du lait. « Ces suivis sont récurrents, c’est facilement modélisable », souligne Jacques Guérin, le président de l’Ordre national des vétérinaires. Cependant, toute la relation éleveur vétérinaire ne pourra pas être contractualisée. « Il est plus compliqué de contractualiser ce qu’on n’anticipe pas : la maladie, l’urgence, la césarienne… », poursuit-il.

Les vétérinaires en chiffres

20.197 vétérinaires étaient inscrits au tableau de l’Ordre au 31 décembre 2021, soit 667 inscrits de plus qu’en 2020. Le nombre d’entre eux déclarant un exercice exclusif au profit des animaux de rente (AR), comme le nombre de vétérinaires en activité mixte à prédominance animaux de rente, continue de régresser avec 67 diplômes de moins en un an. Ceux déclarant une activité exclusive au profit des animaux de rente ont diminué de 444 diplômes ces cinq dernières années. En Saône-et-Loire, le nombre de vétérinaires AR inscrits entre 2017 et 2020 a reculé de 5 % pour plus de 600.000 bovins, 63.000 ovins et près de 30.000 cochons recensés par l’Agreste en 2019.