Vignerons coopérateurs de France
70 caves coopératives pourraient disparaitre

Cédric Michelin
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Pour bien prendre conscience de la crise viticole qui secoue le reste des vignobles de France, la cave de Lugny avait invité la directrice adjointe des Vignerons coopérateurs de France, Anne Haller qui, tel l’oignon, couche après couche, fait pleurer, à force d'expliquer l’avenir sombre des caves coopératives dans les toutes prochaines années. 

70 caves coopératives pourraient disparaitre

Avec 560 coopératives et unions adhérents à Coop de France, section viticole, les caves sont un poids lourd, pesant pour 5 milliards de chiffre d’affaires, 3.500 exploitations majoritairement « petites et modestes » en taille ou revenus et représentant au final 40 % de la production des vins en France, hors Cognac.

Le premier graphique qu’elle projetait était celui de la consommation d’alcool, spiritueux et bières depuis les années 1960, baissant radicalement de 20 litres d’alcool pur par Français et par an à 6 l. « Une tendance de long terme. La baisse vient en totalité du vin et tous les indicateurs disent qu’il n’y aura pas de reprise de la consommation », avec des générations se détournant des vins. Les derniers chiffres des ventes en grande distribution sont encore plus nets, passant de 9,55 millions d’hectolitres à 7,75 Mhl en 2022, avant inflation donc. Une baisse « notable et régulière » depuis 2017. Les vins rouges « absorbent » la quasi-totalité des baisses, et ce, depuis 2010 en réalité, ce qui explique les crises actuelles des vignobles du Bordelais et des Côtes-du-Rhône notamment. Mais ce ne sont pas les seules régions ni couleurs impactées.

Des flexitariens buvant moins de rouges

Si tous les experts ne sont pas d’accord sur les causes, Anne Haller donnait son explication d’une consommation alimentaire qui a « fondamentalement changé ». Plus d’apéritifs favorables aux effervescents, blancs et rosés, mais des repas « simplifiés », voire du snacking le midi et autres fast-foods, peu propice aux vins, rouges en particulier. Avec 80 % d’urbains, la santé est devenue un critère alimentaire, tout comme le sport, et ils ne font pas bon ménage avec l’alcool, selon les hygiénistes. Mais la tendance du flexitarisme qui cherche à réduire la consommation de viandes, pour sa santé et pour la planète (à nuancer pourtant), concerne désormais un quart des Français, faisant que les repas sans bœuf ou poulet sont plus nombreux, à l’inverse des verres de vins rouges les accompagnants. Et les repas avec viande sont de plus en plus avec des steaks hachés, kebab, tacos… Seul repas traditionnel conservé, celui du dimanche en famille. Enfin pas partout puisque la taille des ménages s’est réduite, avec de plus en plus de personnes âgées ou vivant seules, et des familles monoparentales avec enfants, donc sans bouteille à ouvrir.

NoLow : Marginal ou future tendance ?

Dans ce grand brassage culturel et générationnel, les frontières se brouillent. Ainsi, 15 % des Français de plus de 18 ans disent ne pas boire d’alcool. 25 % des 18-34 ans sont abstinents, soit 6 points de plus en l’espace de seulement un an ! 29 % des Français ont testé les vins à faible teneur ou sans alcool (NoLow). Ce « signal faible » est porté par la bière. Les brasseurs ayant comblé les défauts des premiers produits. Et comme les jeunes de 18-25 ans ne sont pas une contradiction prête, ces NoLow les séduisent à 44 % pour des raisons de santé, de goût et qu’ils associent à de faibles boissons en calorie, alors qu’il y a plus de sucre dedans et sont des produits beaucoup plus transformés. Pourtant, pour Anne Haller, c’est une « tendance forte qui va se développer avec des vins qui vont arriver dans les trois ans », prédit-elle. La centaine de vignerons de Lugny semblait surprise par ces mots, à commencer par le terme même de vin, qui ne va pas sans alcool pour beaucoup. Va-t-on avoir les mêmes polémiques que pour les produits végétaux se nommant comme les produits carnés ? Pas impossible.

La Méditerranée sans vigne ?

Deuxième effet majeur qui attend la viticulture, après la « déconsommation » mondiale (alors que la production augmente), le dérèglement climatique, enchaînait sans ménagement Anne Haller. « Il y aura des gagnants et des perdants » du côté des vignobles. La Bourgogne ayant plutôt profité ces dernières années côté maturités, avec moins de chaptalisations. Mais la bascule peut aller vite. « Tout le Sud de l’Europe et de la France est en difficulté majeure et ça remonte », avec une hausse des températures plus rapide sur le continent et attendue à +4 °C d’ici à 2050. Dans 25 ans, soit l’âge d’une jeune vigne en Bourgogne encore. « À +4 °C, on ne sait pas s’adapter et des vignobles vont disparaître ». Personne ne sera épargné puisqu’il faut rajouter les autres aléas, y compris inondation et crues éclair comme ces dernières semaines, qui ont inondé des caves de Chablis par exemple. Le vignoble des Pyrénées-Atlantiques est à l’avant-poste et après deux ans de sécheresse, « les vignes ne pourront même pas faire de bourgeons ». Les vignerons irrigants restants se trouveront confrontés à une baisse des volumes produits et donc une hausse des charges à l’hectolitre. La désertification avance, dans tous les sens du terme…

Export : « on va s’entretuer »

Ce qui amenait à la troisième lame du rasoir, celui de la hausse des charges liées à l’inflation depuis le Covid et la guerre en Ukraine. « Même si les prix se tassent, ils restent élevés autour de +2 % ». Côté ménage, la précarité alimentaire frappe 16 % des Français, soit 7 millions de Français qui se retrouvent dans une situation de difficulté pour manger. 45 % de la population se retrouve à faire des arbitrages, y compris les CSP +. « On baisse en gamme : du Bio vers le HVE ; du HVE vers les MDD ; des MDD vers les 1ers prix et des 1ers prix à la précarité », schématisait-elle à grands traits. Le logement et les énergies, ainsi que les dépenses contraintes, ne laissant pas d’autres choix en bas de la pyramide des revenus. « Même le marché florissant des bières est en berne. Tous les vins, toutes les couleurs sont en baisse », même si cela ne se voit pas trop encore en raison des hausses de prix. Seuls les effervescents résistent encore.

Et à l’export aussi les nuages approchent. Positionnés sur le seul haut de gamme, les vins Français premium voient leurs parts de marché contestées et baisser. Avec la crise, « on va s’entretuer » pour capter les mêmes clients rentables. « Et on ne va pas revenir à un monde stable », entre les guerres et le retour probable de Trump adepte du protectionnisme.

Pour finir d’enfoncer le clou, Anne Haller listait une série de points noirs : « les clients veulent des produits durables, mais ne les achètent pas » ; « la main-d’œuvre est introuvable » ; « les cahiers des charges n’évoluent pas par rapport aux attentes clients ou au climat » … Résultat, en 2024, 100.000 ha « potentiels », au bas mot, sont à arracher ou feront l’objet de distillation sur un total de 750.000 ha plantés. Bordeaux et les Côtes-du-Rhône verront 30 % de leurs surfaces rayées de la carte. « Au national, les débats sur les plantations partaient à zéro pour se discipliner en Europe et éviter que d’autres pays plantent. On a ramené à 0,2 % de droits ».

Dans ce marasme généralisé, les caves coopératives ont « fait tampon » et réussissent tant bien que mal à « maintenir les rémunérations des adhérents » depuis 2020. Mais la directrice adjointe prévient : « 23 caves sont concernées par la distillation. 24 caves n’ont plus de trésorerie et ont divisé déjà par deux les acomptes ». Et comme l’avait expliqué la cave de Lugny, une cave est un outil qui se doit d’être optimisé pour le saturer en volume pour rester compétitif. « Des caves vont disparaître. Une centaine est en difficulté, 150 peut-être à terme, car aucune vente, ni rouge, ni blanc, rosés et effervescents se tendent. Avec les fusions, on a espoir d’en récupérer 80 ». L’urgence est là. « Le rythme s’accélère ». Vignerons coopérateurs de France va les accompagner toutes et tous au mieux. « Vous êtes épargné et c’est tant mieux mais… », prenait-elle le temps de peser ses mots pour marquer la gravité du moment : « les vignobles se restructurent et se réorganisent, alors ne restez pas en position de subir. Vous êtes obligés de bouger pendant que c’est faisable et moins douloureux », conseillait-elle, invitant tous les vignerons de Lugny à « se projeter et prendre les décisions pour être encore là demain ».