Cave de Lugny
Un record sans ivresse ni emballement

Cédric Michelin
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Le 5 avril à Péronne, la cave de Lugny signait un nouveau record. Les ventes ont permis de réaliser un chiffre d’affaires de 46 millions d’€, qui avec la valorisation des stocks, permet d’atteindre une valorisation hypothétique de 51 M€ même. Mais ce record « ne va pas se reproduire » lors du prochain exercice, ont tenu à expliquer les intervenants. Même si les vins du Mâconnais surnagent jusqu’à présent, les nuages s’accumulent en France et à l’export.

Un record sans ivresse ni emballement

« Faisons abstraction de la récolte 2023 », débutait le responsable administratif et financier. Emmanuel Bruno sait que les cours sont justement en cours de négociation. Il se concentrait donc sur la récolte 2022 « faisant suite à 2021 largement déficitaire », comme tout le monde le sait. Le millésime 2022 plus généreux a permis de reconstituer les stocks de la cave (87.192 hl), « permettant de relancer la dynamique des ventes » qui avait été stoppée faute de produits malheureusement. La surprise de cet exercice clos fût « paradoxalement » de ne pas voir les prix baisser « tant que cela », avec des mâcon-villages 2022 à 1.131 € la pièce et des communales mâcon à 1.210 € vendus aux négociants en vrac. Il faut dire que la cave de Lugny a toujours entretenu de bonnes relations avec ses négociants les plus fidèles. « Nous devons garder nos consommateurs et nos négoces forts », mettait dans un même panier « achat », Marc Sangoy dans son rapport moral de président. Car, l’autre force de Lugny sur cet exercice est d’avoir réussi à vendre 6,4 millions de bouteilles, « malgré les augmentations de tarifs ». Le marché export étant plus dynamique que la grande distribution française.

De quoi investir tranquillement (850.000 €) dans un robot déboxeur, une stabilisation tartrique, du photovoltaïque sur le chai de Chardonnay notamment. 2022-23 a également vu un retour à des délais et des tarifs « normaux » pour les matières sèches. Avec ces charges bien maîtrisées, les frais de vinification pour la récolte 2022 semblent « exploser » (3.617.508 €) mais ramené à l’hectolitre, ils sont au contraire optimisés à 41,49 €/hl. L’exercice 2023 établit un « record de quasi 46 millions d’€ de chiffre d’affaires en nette augmentation par le volume, moins par les prix », contre 37 M€ pour l’exercice 2022. « On ne reverra pas ce chiffre en 2024 », douchait gentiment Emmanuel Bruno.

Ce que le conseil d’administration de la cave vise plutôt, c’est de maintenir au mieux les « bons niveaux de rémunération » de ses adhérents. Même si la valorisation à l’hectare redescend après un plus haut en 2021 en chardonnay. Même tendance pour les autres cépages : gamay, pinot, aligoté. À prendre en compte pourtant, la baisse côté production de -28 % en 12 ans !

À tous les niveaux, cave ou exploitations, Marc Sangoy appelait à atteindre ou conserver ce « seuil d’équilibre pour faire tourner nos exploitations avec des rendements suffisants mais sans surproduire ». La qualité des raisins et le rapport qualité-prix des vins étant toujours le leitmotiv à Lugny. Pas facile avec le changement climatique et ses aléas d’un côté et les vicissitudes géopolitiques et économiques de l’autre. « Jamais rien n’est acquis et il ne faut pas se sentir intouchable », redisait-il humblement aux coopérateurs tentés. Représentant 38 % des ventes, le vrac connaît actuellement « une deuxième récolte pleine. Après les pleurs, maintenant il y aurait trop de vins ? », questionnait-il avant d’apporter la réponse : « non, pas de panique, gardons la tête froide », regardait-il son directeur, Stéphane Garrigue, avec qui il négocie « dur » face aux négociants pour sortir « gagnant-gagnant ». Le négoce est aussi producteur en Bourgogne et s’il sait que la récolte 2023 fut « abondante », il sait aussi que les aléas climatiques peuvent ruiner une année de travail. Le président remerciait d’ailleurs les équipes pour leurs efforts, dont les « jeunes » arrivés, à commencer par la nouvelle responsable qualité vigne, Adèle Baldenweck et la nouvelle œnologue au chai, Sophie (lire encadré).

Décorrélation des hausses de prix et de ventes

Car le record est non seulement le fruit du travail dans les vignes, mais aussi des équipes de la cave. Le directeur, Stéphane Garrigue se disait vivre au « Pays des merveilles », celui d’Alice, le comte de Lewis Caroll qui recèle bien des métaphores « sur la réalité pas toujours facile à vivre » toutefois. Certes, « Lugny a surperformé sur les marchés des vins » et même comparativement au reste de la Bourgogne, avec toujours cette « vague déferlante » de 200.000 bouteilles de crémants de Bourgogne. Les commerciaux ont réussi le double exploit de passer pour « 3.5 M€ » de hausses sur les vins tranquilles en bouteilles (60 %) et « 4 M€ » de volumes disponibles supplémentaires de vrac aux négociants. Au final, la croissance du prix de vente à la bouteille passe de 3.75 € en 2020 à 4.79 € en 2024, soit +1€/bouteille en l’espace de seulement 4 ans (+0.75 €/col sur les crémants sur la même période). « Les consommateurs ont accepté, mais la décorrélation des hausses en linéaires GD fait que cela se complique pour les négociants », expliquant les tensions actuelles autour des négociations vracs, alors que les négociants ont refait leurs stocks et savent que la récolte 2023 est à un niveau record en Bourgogne (1.9 million d’hl). L’équation se complique en effet pour tout le monde. L’inflation a fait plonger les ventes de vins dans le monde de -9 %. « Une vraie déconsommation en réalité », même pour les vins de Bourgogne (-4 %), estime-t-il, sans rejeter la faute sur le seul manque de disponibles. La cave fait, elle aussi, face à l’inflation (matières sèches, bouteilles, électricité…) soit +11 centimes/col. Seule petite consolation, les délais de livraison reviennent à la normale et les pénuries s’éloignent. Enfin, la cave doit faire face à de plus en plus d’exigences réglementaires, mais aussi des clients, avec « des audits qui se sévérisent, sont inopinés… » pour obtenir les certifications IFS, BRC… Mais ils restent des points de passage obligés, car la cave de Lugny veut être une « marque rentable, désirable et durable », avec pour perspective 2024 d’être aussi « une marque employeur » forte, pour recruter des talents. Une orientation résolument RSE avec Vignerons Engagés donc allant de pair avec « la décarbonation » des vins.

Mais « finit le rêve au Pays des merveilles », 2024 sera surtout une année marquée par la déconsommation, les difficultés du Bio, des régions viticoles en crise qui vont impacter les marchés faisant un « goulot d’étranglement », avec des négociants qui les « répercuteront sur nous » en raison aussi de la « guerre économique » mondiale et « l’hyper-concentration des GMS ». Pour peu, les « contraintes environnementales » et obligations légales « pressantes » - comme le fait de devoir afficher la liste des ingrédients – paraîtraient presque secondaires. Stéphane Garrigue assure voir tout le monde « courir » comme dans le comte de Caroll, mais nos « concurrents innovent, donc il ne faut pas nous arrêter ». La cave compte donc sur le savoir-faire des coopérateurs pour continuer de séduire les clients sur le « créneau du luxe accessible des vins de Bourgogne ».

« Même objectif top niveau »
Daniel Chevenet à droite présentait également les travaux du groupe Biodiversité avec notamment plus de 800 mètres de haies plantées ou l'achat d'un semoir en commun pour les couverts végétaux au sein du GIEE Biodiv'vigne

« Même objectif top niveau »

Vu de loin, 2023 a semblé être un « millésime facile, avec une récolte abondante, sans pourriture… », pour autant, la réalité a été plus nuancée, ne serait-ce que pour trouver « 500 vendangeurs avec dix jours d’avance » et sans visibilité sur la météo à 15 jours, se souviendra longtemps Sophie Obszynski. « Une fois lancé, difficile de stopper une telle organisation », souligne la nouvelle maître de chai. Pourtant, les maturités ne correspondaient pas au planning initial des parcelles à vendanger. En un instant, les « viticulteurs ont fait le tri de leurs parcelles » pour revenir sur un planning cohérent avec les maturités et vins recherchés. Elle les remerciait chaleureusement. De cette angoisse, il sort du bon puisqu’une réflexion « pour affiner » le réseau maturité est lancé depuis, et notamment pour anticiper les conséquences du dérèglement climatique. Idem, pour continuer d’affiner le travail sur la biodiversité et les bilans carbones débutés l’an dernier, fait part Adèle Baldenweck. Haies, couverts végétaux, restauration du patrimoine, refuges à oiseaux, étude des sols… tout est à (re) faire en permanence. « On va recenser tout ce qu’on test sur nos exploitations et faire des fiches essais à remplir, afin de faire des supports pour trouver des itinéraires techniques alternatifs… applicables concrètement et facilement, pour améliorer notre vignoble, même un peu », lançait Camille Berthaire, responsable du groupe technique.

Et pourquoi pas réfléchir à des vins à faible dose ou sans alcool (No Low), plaisantait Marc Sangoy, qui laissera le groupe Jeune choisir même si à Lugny, des vins sans alcool paraient une idée « saugrenue », concluait-il l’AG, lançant le mâchon.