Cive
Un entre-deux intéressant

Françoise Thomas
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Alors que les projets de méthaniseurs agricoles tendent à se développer et représentent une diversification à étudier pour les agriculteurs, il convient d’en savoir plus sur les Cive, ces Cultures intermédiaires à vocation énergétique qui viennent en partie alimenter ces méthaniseurs. L’entreprise associative Solagro, spécialisée dans le conseil et l’accompagnement des projets de méthanisation, proposait il y a quelques semaines une série de webinaires ayant pour thème "la méthanisation de A à Z". Le point sur les connaissances actuelles sur les Cive était le sujet de l’un d’eux.

Un entre-deux intéressant
Qu’elles soient en place tout l’hiver ou tout l’été, les Cive accumulent au passage d’autres fonctions, notamment environnementales.

Les cultures intermédiaires ne sont pas une technique innovante, mais depuis quelques années, avec le développement des unités de méthanisation et de différentes approches environnementales conduisant à différentes pratiques culturales, plusieurs études ont porté sur ces cultures. Ainsi celles-ci, implantées entre deux cultures principales s’il y a suffisamment de temps, changeront de nom en fonction de leur destination. Elles seront cultures dérobées pour apporter du fourrage au bétail, engrais vert pour amender le sol, Cipan pour piéger le nitrate, ou Cive pour alimenter un méthaniseur.

Le bilan sur l’ensemble des connaissances pratiques sur les Cive était au cœur de l’un des webinaires proposés par l’entreprise associative Solagro, en juin, tout à la fois pour en optimiser l’itinéraire technique que pour combattre certaines idées reçues.

Plusieurs services rendus

En France, la règlementation qui entoure les cultures utilisées pour la méthanisation est stricte. Notamment, « les cultures principales, à vocation alimentaire, ne peuvent représenter que 15 % maximum du volume entrant dans un méthaniseur », rappelle Céline Laboubée la chargée de projet bioénergie chez Solagro.

La culture principale demeure la culture qui représente la plus importante valeur ajoutée, ou celle qui est en place du 15 juin au 15 septembre, ou celle dont le cycle est le plus long, « c’est en tout cas celle qui est déclarée au titre de la Pac », souligne l’intervenante.

D’où le recours au Cive, les cultures intermédiaires à vocation énergétique, qui peuvent être d’été ou d’hiver, selon la place qu’elles occupent dans la rotation, et qui remplissent au passage d’autres fonctions environnementales.

Leur présence permet en effet tout d’abord « de ne pas laisser le sol nu, de limiter les érosions hydrique et éolienne, de contribuer à l’amélioration ou au maintien de la structure du sol grâce à leur système racinaire, de limiter le développement des adventices et de lutter contre les ravageurs grâce à la rotation », énumère Céline Laboubée. Leur présence permet de stocker le carbone du sol et limite également, l’hiver, la perte d’azote minéral.

Et donc tout ceci lorsqu’elles sont en place dans la parcelle. Une fois coupée et méthanisée, elles participent à la création de bioénergie.

Le digestat, ce qui reste à l’issue de la méthanisation, est quant à lui une source intéressante d’azote (qui plus est disponible sous une forme rapidement assimilable par les plantes), de phosphore et de potassium.

Les plantes réputées au fort potentiel méthanogène sont traditionnellement le maïs, la betterave, le sorgho. Cependant, souligne l’intervenante, « une étude d’Arvalis montre qu’il n’y a finalement pas de différence significative de potentiel méthanogène entre les espèces ».

Mais cette étude révèle aussi que plus la date de récolte est tardive, plus ce potentiel méthanogène diminue… en même temps qu’augmente la biomasse. Et cette augmentation de biomasse compense au final largement la baisse de potentiel méthanogène. En conclusion, pour Céline Laboubée, « il convient donc de rechercher au maximum de la biomasse pour optimiser la culture intermédiaire ».

Deux saisons, selon la rotation

Pour ce qui est des Cive d’hiver, elles sont semées en fin d’été début d’automne pour une récolte début printemps. Si elles arrivent derrière un maïs, du sorgho, du tournesol, on privilégie alors les graminées, avec des variétés précoces et robustes de triticale, avoine, orge, blé, seigle, etc., en pur ou en mélange. Ces cultures peu sensibles au stress hydrique ne seront pas irriguées.

Cependant, selon le contexte pédoclimatique, en fonction de la nature du sol et des réserves hydriques, « il sera sans doute nécessaire d’observer un délai de quelques semaines entre la récolte de la Cive et le semis suivant pour laisser le temps au sol de régénérer ses réserves utiles ».

Enfin, leur rendement moyen, attendu entre 6 à 9 tonnes de matière sèche par hectare sera fonction de la fertilisation apportée.

Pour ces Cive d’hiver, si la levée est quasiment garantie, c’est la bonne estimation de la date de récolte qui fera toute la différence : « les études montrent que 20 à 40 % du rendement se fait dans les 15 derniers jours de la culture ». Il convient donc de récolter le plus tard possible, mais sans porter préjudice à la culture suivante.

Du côté des Cive d’été, semées au printemps et récoltées à l’automne, on est là avec des plantes au cycle plus court, d’une moyenne de 90 jours. Forcément implanté avant le 10 juillet, ce sera du maïs, sorgho, tournesol, moha, millet, etc. Sans impact pour la culture suivante, ces plantes seront cependant sensibles au stress hydrique et leur rendement dépendra du recours ou non à l’irrigation, et, sans irrigation, de l’importance de la pluviométrie. Ainsi, les rendements pourront aller de 0 à 10 tonnes de matière sèche par hectare sans irrigation, entre 12 et 15 t de MS/ha avec irrigation…

« La rentabilité des Cive d’été est donc directement liée à l’apport hydrique » (irrigation ou pluviométrie), et, si c’est un pari qui peut être risqué en absence d’irrigation, il peut aussi se révéler très payant en conditions favorables.

Impact pour le sol

Pour ce qui est de la fertilisation, là encore plusieurs enseignements à tirer des études réalisées.

Comme pour toute culture, le niveau d’apport d’azote est « fonction du rendement visé et du reliquat d’azote de la culture précédente et est nécessaire si on veut prendre de la biomasse », rapporte la chargée de projets. Cet apport sera de l’ordre de 60 à 100 unités d’azote maximum. Il sera plus placé en sortie d’hiver et, pour limiter les apports, il est intéressant d’associer les graminées et les légumineuses (de l’ordre de 20 à 40 % maximum pour ces dernières). Il s’agit la plupart du temps du digestat qu’on retourne au sol, donc pas d’achat complémentaire nécessaire d’azote minéral ou de phosphore pour effectuer cette fertilisation.

L’apport de fertilisation est également intéressant pour le sol, et « les études montrent qu’une Cive poussée grâce à la fertilisation apporte plus de matière organique au sol qu’une Cipan, de l’ordre de 40 % de MO supplémentaire ». Cela s’explique car la biomasse restituée au sol par les chaumes correspond à celle apportée par une Cipan, à cela s’ajoute le système racinaire des Cive bien plus développé que celui des Cipan, et à cela s’ajoute enfin le retour du digestat. D’où une production de matière organique supérieure pour les Cive fertilisées par rapport aux Cipan.

Ainsi, l’ajout d’une Cive dans la rotation n’est pas un facteur d’appauvrissement du sol en matière organique, « au contraire, si la gestion de la matière organique est bien maîtrisée », insiste Céline Laboubée.

À noter que la filière méthanisation pourrait avoir à l’avenir des positions bien trancher en matière d’irrigation et de fertilisation des Cive et rendre ces pratiques incompatibles avec l’octroi d’une subvention.

Quid de la rentabilité

L’argument premier pour avoir recours aux Cive n’est pas celui d’une rentabilité assurée. Désormais les coûts de productions sont relativement bien connus et sont estimés en moyenne entre 80 et 120 € la tonne de matière sèche pour les Cive d’hiver, et un peu au-dessus de cette moyenne pour les Cive d’été. Pour limiter ces charges, « on peut avoir recours aux semences fermières ou opter pour des techniques culturales simplifiées », suggère Céline Laboubée.

Le prix d’achat des produits par les unités de méthanisation varie entre 25 à 35 € la tonne de matière brute, « ce qui permet juste de couvrir les coûts de production », conclut la chargée de projet de Solagro.

En quelques chiffres

En quelques chiffres

Au 1er janvier 2020, 804 unités de méthanisation étaient opérationnelles en France, dont 607 étaient à la ferme. Pour rappel, elles étaient environ 300 en 2017. L’objectif du millier d’installations en 2020 n’est donc pas tout à fait atteint, mais la dynamique est malgré tout amorcée. Ces plus de 800 méthaniseurs fournissent 1,08 TWh de production annuelle d’électricité (le nucléaire à titre de comparaison c’est 335,4 TWh – 67,1 % de la production ; les éoliennes 39,7 TWh – 7,9 %) et 1,34 TWh de biométhane injecté dans le réseau de gaz naturel (produit par 129 sites).