Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire
La règle des quatre "con"

Cédric MICHELIN
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Pour sa conférence de rentrée, habituelle après sa session de septembre, la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire a fait appel à un intervenant extérieur à l’agriculture, choisi pour « ouvrir la réflexion » de tous. Ainsi, le général des armées Pierre de Villiers a fait une analyse froide et réaliste de notre époque puis donné des conseils valables autant pour l’agriculture que dans la vie de tout citoyen.

La règle des quatre "con"

Pour un général d’armée, dite la grande muette, c’est un général de Villiers volontiers bavard, érudit et littéraire – avec citations et anecdotes – qui a visiblement apprécié venir au Creusot ce 14 septembre. Devant environ 200 personnes à la Halle des Sports, Pierre de Villiers a alterné entre l’analyse froide de notre monde et de nos sociétés modernes, et un ton détendu avec des anecdotes pertinentes, pour lui le « fan de football ». Inviter un général pour parler aux agriculteurs, « il fallait oser », débutait-il en direction de Bernard Lacour, le président de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire qui était déjà à l’origine de la venue de Pierre Rabhi pour parler d’agroécologie à l’occasion des 70 ans de votre journal. « Il nous faut prendre du recul, nous asseoir sur le bord de la route pour réfléchir à des idées et des stratégies nouvelles », expliquait-il pour justifier ce choix devant un parterre d’élus du département – citons André Accary, Jean-François Farenc, David Marti… - et du préfet de Saône-et-Loire.

La règle des quatre "con"

Franc et détendu, le général de Villiers se permettait même quelques incartades sémantiques venant de l’armée. Pour conduire à bien une mission, il faut « concevoir, convaincre, conduire et enfin contrôler le tout. C’est la règle des quatre "con", ce qui faisait dire à un de mes officiers quand j’étais son lieutenant : "On est commandé par des cons, patience votre tour viendra" ». Preuve avec humour qu’il faut savoir rester humble, insistait-il à plusieurs reprises. Idem pour l’importance de trouver un « bon équilibre entre vie professionnelle, vie personnelle, soin physique, culture générale, liens affectifs et sens transcendantal ou religion », lui qui - à la fin de sa carrière -  prenait parfois le temps de regarder « un match de foot les mardis pour mieux préparer sa réunion hebdomadaire avec le président de la République du mercredi matin avant le Conseil des ministres ». Presque une obligation vitale pour cet homme profondément investi, engagé « pour la France » et qui parle avec douleur de « l’humiliation en Afghanistan ». « On a gagné les guerres mais on a perdu les paix. La France vit depuis 75 ans en paix et est pourtant pleine de fractures. Il faut revenir à une vraie paix » intérieure, appelait-il de ses vœux, sans jamais vouloir faire de politique.

Même s’il ne faisait pas le lien directement avec l’agribashing de certains, médias notamment, et de la défiance se creusant entre monde urbain, rural et agricole, il rappelait que « les mots ont un sens et la violence débute parfois par la violence verbale. Les militaires savent que seule la force peut faire reculer la vraie violence et en connaissent les dégâts ».

« Double conflictualité »

Sa vision du monde n’est pas des plus joyeuses voire, est inquiétante. « Le monde est sous tension car sous le coup d’une double conflictualité : le terrorisme islamiste de masse depuis le 11 septembre 2001, dont l’objectif est la barbarie, pas le moyen mais l’objectif, qui veut l’imposer et ne s’arrêtera pas ; et la fin du monde bipolaire depuis la chute du mur de Berlin qui n’a pas retrouvé d’équilibre. Un monde dangereux, instable, auquel il faut rajouter les dérèglements climatiques et les migrations massives », dressait-il le portrait. Là encore, il ne faisait pas le parallèle mais avait analysé un peu plus tôt que « votre métier d’agriculteur est en complète transformation sous le coup de nombreux facteurs », dont le climat et la société, et que « vous ne pesez plus que 3 % des actifs alors qu’il n’y a encore que 50 ans, vous étiez l’épine dorsale de certaines régions ».

Réconcilier notre société avec courage

Que prône-t-il dès lors pour faire face à ces défis ? « On doit réconcilier notre société avec équilibre et courage », lui qui a sillonné le monde et maintenant la France et les entreprises. D’ailleurs, il voit partout de nombreuses similarités. « Il y a urgence à remettre de la stratégie à long terme au cœur de toutes nos préoccupations ». Et de comprendre pourquoi le monde agricole - et rural - semble ne plus se comprendre - et réciproquement – avec la « France urbaine et des cités », « vous, les agriculteurs, vous avez encore la notion du temps, entre les semis et la récolte. Pourtant, vous aussi vous courez de tracteur en tracteur », observe-t-il fréquemment chez lui en Vendée. Alors pour reprendre la maîtrise de son agenda et ne plus se laisser happer par l’information, les technologies (réseaux sociaux…), la « performance immédiate »… son premier conseil est simple : revenir à plus de proximité sinon « c’est la déshumanisation de notre société » et « l’éloignement entre celui qui décide et celui qui exécute, où qui se perçoit comme tel, créant une crise de l’autorité (…) et les gens ne se comprennent plus ».

Technostructure brouette

Il reconnaissait que la mondialisation ou le Covid ne permettent pas d’aller dans ce sens. Au passage, il taclait « la technostructure », parisienne dans son esprit, « qui nous emmène dans le mur ». Pour lui, filant la métaphore, « on ne discute pas avec une brouette, on la pousse », laissant sous-entendre qu’il faut passer outre, critiquant la gangrène d’une société paralysée par la peur du moindre risque « depuis le principe de précaution ». Il préfèrerait voir « la maîtrise des risques ». Et de conclure sur ce point : « Tout chef est un visionnaire, un serviteur des autres, qui assume ses décisions et ses conséquences ».

De la défiance vers la confiance

Mais attention à toujours rester « humble ». Il invitait chacun à ne pas être individualiste et ne pas oublier le collectif : « La France a gagné la coupe du Monde car Deschamps avait emmené la meilleure équipe, sans prendre certains des meilleurs joueurs », taclait-il. Pierre de Villiers attire donc l’attention de tous face à la « rupture sociétale des Gilets Jaunes ou des retraités » qui guette et aussi face au « manque de confiance, à la défiance » gagnant la France et toutes nos démocraties européennes. « Nos sociétés sont très dures pour les faibles, il faut partir ensemble et arriver ensemble. On a tous à la naissance des qualités et des défauts ».
Sa solution, l’entraide et encore une fois, « le bon sens paysan », le « sol ». La « France est un pays génial qui peut entrainer l’Europe » vers une nouvelle voie plus équilibrée. À la question "y-a-t-il encore un pilote dans l’avion ?", il ne répondait pas. « La confiance est le carburant de l’autorité. Toute autorité est un service, une cohésion. Pas l’autoritarisme, caricature du militaire alors qu’il faut de l’adhésion pour aller à la guerre pour son pays. Ni une dureté froide, ni une mollesse tiède. La vraie autorité se moque de l’autorité. Cela passera donc par les territoires, la décentralisation, la proximité… par la confiance ».
Dernier conseil si l’on veut être un bon chef : être exemplaire et authentique. « Tout agriculteur est authentique car la terre ne ment pas et voit la vie avec modestie ». Et en guise de conclusion à double sens : « courage. L’équilibre est un courage. Il est temps de revenir au vrai courage de dire la vérité droit dans les yeux. Les solutions sont là où sont les problèmes ». Objectif atteint en ce jour au Creusot. De quoi permettre aux viticulteurs, agriculteurs et élus – notamment de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire – de « repartir gonflés à bloc » prêts à « réfléchir collectivement sur des objectifs à long terme », concluait Bernard Lacour.