Agriculteur et pompier
Le service à la population comme motivation

Françoise Thomas
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Avec une surface record partie en fumée au niveau national (plus de 62.000 ha contre moins de 9.000 ha en moyenne !), les incendies restent l’un des phénomènes marquants de cet été 2022. Combattants de la première ligne, les pompiers ont forcé l’admiration de tous face à ces "mégafeux". Pourtant, pour la plupart d’entre eux, ce ne sont pas des pompiers professionnels. Ainsi, comme à Mervans, de très nombreuses casernes ne sont gérées que par les pompiers volontaires. Rencontre avec le chef de centre Franck Michaudet, à la fois soldat du feu et agriculteur à temps plein.

Le service à la population comme motivation

Dans la famille Michaudet, le dévouement en tant que sapeur-pompier se transmet de père en fils. Ainsi, suivant les traces de son père, Franck Michaudet s’est engagé comme volontaire en 1990, deux ans après s’être installé en Gaec avec son oncle. Depuis, ses deux fils ont également franchi le cap, comme pompiers professionnels.
Un engagement naturel car « finalement le monde agricole et celui des sapeurs-pompiers ne sont pas si loin, ils ont les mêmes mentalités, les mêmes ambitions », les uns nourrissant les gens et préservant les paysages, les autres œuvrant pour sauver les gens et la nature.
Aussi, celui qui est en plus, depuis 10 ans, chef de brigade a depuis longtemps appris à mener de front ces deux activités très prenantes.

Agriculteur passionné

Franck Michaudet s’est d’abord installé en Gaec avec son oncle, en production laitière, en 1988. Puis à la retraite de celui-ci, il s’associe avec deux frères, des voisins agriculteurs. C’est alors l’occasion de regrouper les deux fermes respectives. L’exploitation ainsi créée est en élevage laitier jusqu’en 2011. Depuis, les agriculteurs se sont orientés sur l’élevage de génisses laitières. 150 montbéliardes partent ainsi régulièrement à l’exportation. En parallèle, 350 ha de céréales sont produits : blé, soja, maïs.

Ce sont là des productions qui permettent finalement une plus grande latitude en termes d’impératifs sur l’année et d’emplois du temps au quotidien. « Je me mets en disponibilité pour les pompiers tous les jours, sauf pendant les périodes de moisson et de semis », explique Franck Michaudet. L’équipement actuel des sapeurs-pompiers volontaires leur offre une souplesse appréciable : via un serveur, ils peuvent mettre à jour en permanence leurs disponibilités ce qui fait que « dès que je descends du tracteur je me signale comme disponible », poursuit l’agriculteur. À l’inverse, selon les aléas et les besoins de la ferme, il n’est plus mobilisable.

Pompier convaincu

Affichant environ 450 interventions par an, la caserne de Mervans où officie Franck Michaudet ne fonctionne qu’avec des sapeurs-pompiers volontaires : « 40 en tout, de toutes professions. Ce qui fait que nous sommes très complémentaires entre ceux qui sont facilement mobilisables et ceux qui ont des compétences très utiles aux autres ». Ainsi, les connaissances, par exemple, de l’artisan électricien sont appréciables, rassurantes en intervention et sollicitées lors des formations.
Et forcément, la double casquette pompier et agriculteur de Franck Michaudet est aussi très utile.
« Beaucoup de sapeurs-pompiers ne savent pas comment aborder les animaux par exemple… ». Et cela lui permet aussi d’avoir une vision préventive sur de nombreux aspects de la vie d’une exploitation (voir encadré)...

En colère et admiratif

À l’issue de l’été ravageur que l’on vient de connaître, il se dit déjà « soulagé qu’il n’y ait eu aucun mort compte tenu des surfaces brûlées et de la violence des feux, c’est un miracle ! ».
En tant que sapeur-pompier, il se dit complètement écœuré lorsque ces incendies sont provoqués par d’autres pompiers. « C’est intolérable ! C’est la nature qui en subit les conséquences et c’est directement la mise en danger de la vie des gens et des pompiers. Ce ne sont en plus que quelques personnes mais elles salissent l’image de toute une profession ! »

En revanche, en tant qu’agriculteur, il tient à souligner « la solidarité que l’on a pu constater cet été du monde agricole envers les sapeurs-pompiers », lorsque les agriculteurs sont venus prêter main-forte avec leurs tonnes à eau et autres. Que ce soit en Gironde, dans le Jura ou ailleurs, « c’est venu spontanément et ça a représenté un appui très important pour les pompiers ».
Une mobilisation des agriculteurs témoignant pour lui, une fois de plus, de leur implication dans leur territoire !

Regards du pompier agriculteur

Regards du pompier agriculteur

La très grande majorité des interventions de la caserne de Mervans concerne le secours à personne. Très peu les incendies. Il n’empêche que Franck Michaudet a malgré tout des conseils à redonner à ses collègues agriculteurs.

« Dans les secours à personne qui concernent le monde agricole, ce que l’on voit surtout ce sont les glissades dans les bâtiments et les chutes d’échelle. Il faut donc être particulièrement vigilant aux sols glissants et à bien assurer la stabilité de son échelle. Très grande prudence également aux enfants lorsque l’habitation est sur le même lieu que l’exploitation ». Concernant les incendies, il rappelle « que les plus gros risques de départ de feu viennent de la fermentation du fourrage », à surveiller donc de près, quitte à récupérer une sonde pour vérifier la température à l’intérieur des bottes.

D’où l’intérêt de « distancer "au maximum" les bâtiments d’élevage de ceux où l’on stocke le fourrage », et de savoir où il faudrait évacuer rapidement les animaux en cas de feu. Il le rappelle, le premier objectif des pompiers « est toujours de sauver les vies, celles des personnes et des animaux, avant d’attaquer le feu ». Que le bâtiment soit ou pas équipé de panneaux photovoltaïques, « la priorité sera de sécuriser les alentours pour empêcher la propagation de l’incendie ».

Beaucoup de prévention

Dans les bâtiments, « il faut des extincteurs bien placés et à poudre pour pouvoir être utilisé sur le maximum de type de feu ». S’il n’est pas nécessaire d’en avoir à tous les coins des bâtiments, il ne faut cependant pas oublier de les renouveler régulièrement.
L’autre grande période à risque de départs de feu reste bien évidemment les moissons. « Pour limiter ces risques, pas de secret : il faut une moissonneuse (machine et barre de coupe) bien entretenue, nettoyée et vérifiée avant de commencer la campagne puis tous les matins ». Il faut également un ou plusieurs extincteurs sur la machine pour intervenir tout de suite sur feu naissant.

Franck Michaudet conçoit qu’il est très délicat "d’interdire" à des agriculteurs de moissonner en cas de fortes chaleurs + vent. Il n’empêche que des équipements peuvent être emmenés sur place : il est ainsi plus que judicieux « de prévoir un déchaumeur attelé prêt à partir, permettant de créer rapidement des lignes coupe-feu et une tonne à lisier remplie d’eau ». En attendant l’arrivée des pompiers, les déchaumeurs ont plus d’une fois prouvé leur efficacité « et nous en voyons de plus en plus souvent au bord des champs au moment des moissons ».