Loi ÉGAlim 2
La peur de s’imposer ?

Cédric MICHELIN
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Le 7 décembre à Écuisses, la FDSEA de Saône-et-Loire et les JA71 s’attaquaient au noyau dur de la loi ÉGAlim 2 : la contractualisation obligatoire en viande bovine. À quelques jours de son application au 1er janvier, la section bovine et la FNB ont expliqué « concrètement » le contrat type. La balle est maintenant dans le camp des éleveurs qui doivent négocier avec leurs acheteurs avec pour la première fois, la possibilité d’imposer leurs coûts de production. Ce qui ferait mécaniquement remonter les cours actuels puisqu’actuellement toujours en dessous des coûts de production.

La peur de s’imposer ?

« La filière viande est vraiment une filière de m... », se serait emporté le ministre de l’Agriculture, à la sortie d’une énième réunion avec les industriels de la viande et les grandes enseignes de distribution, relatent plusieurs éleveurs présents qui, eux aussi, s’impatientent de voir appliquer la loi Besson-Moreau, dite loi ÉGAlim 2. Le compte à rebours est enclenché : au 1er janvier, les premières catégories de bovins devront être contractualisées et le ministre, Julien Denormandie a d’ores et déjà prévenu : « il y aura des contrôles ». Et ces derniers devraient donc frapper les plus réticents à la contractualisation ÉGAlim 2 cités au-dessus.

Des marchés qui tirent fort

Mais là n’était pas la question le 7 décembre à Écuisses. Élu FNB et président de la section bovine de la FDSEA, Guillaume Gauthier rappelait l’objectif de la contractualisation : « ramener de la rémunération » aux éleveurs. Guillaume Gauthier tordait ensuite le cou aux rumeurs et autres désinformations qui courent. « Le constat est partagé par tout le monde au national : les cheptels bovins allaitants baissent dans tous les territoires français et même en Europe. On a perdu 500.000 vaches en quatre ans, idem en laitières. Cela va continuer car il n’y a pas assez de valeur qui revient dans les fermes ». L’éleveur du Bourbonnais constate que ce déséquilibre des marchés se voit dans les cours à la hausse depuis plusieurs semaines. Pour son collègue, Cédric Mandin, secrétaire général de la FNB, ces hausses ne sont toutefois pas à la hauteur de la tension sur les marchés européens : « la viande polonaise est à notre niveau de prix », s’étrangle-t-il. « Comme chaque semaine, mes acheteurs en ferme me prédisaient une consommation de viande en baisse avec le Black Friday alors qu’on a eu 67.000 animaux abattus cette même semaine, contre 62.000 habituellement », critique ce Vendéen qui ne veut plus de ces discours défaitistes. Car la consommation est en effet soutenue et progresse, ne serait-ce qu’avec la démographie. À Paris, certains distributeurs sont même inquiets des « risques de manque de pièces nobles » pour les fêtes de fin d’année. Les cours du JB à Modène ont passé la barre des 5 € !

Négocier en confiance

Voici quelques raisons pourquoi le ministre s’est emporté lui qui veut croire en une contractualisation avec une juste « transparence des prix ». Si les industriels et GMS crient au scandale, les éleveurs eux avaient au départ réclamé l’obligation d’un prix minimum, refusé par les règles de la concurrence françaises, européennes et OMC. « C’est pourquoi on ne crie pas cocorico », nuance Cédric Mandin qui insiste sur le fait que « la contractualisation obligatoire n’est pas autre chose que de la négociation, du commerce mais la loi nous donne la chance de proposer notre prix ». Une « révolution » pour certains éleveurs qui ont toujours fonctionné « avec une poignée de main » en confiance avec leurs acheteurs. La FNB ne souhaite pas la fin de cette confiance réciproque, bien au contraire.
Pour autant, « un contrat ne voudra toujours pas dire prix rémunérateur », met en garde Guillaume Gauthier pour qui « la base de la négociation va être autour de votre indicateur de coût de production devant figurer dans le premier contrat que vous proposerez à votre acheteur. À lui de faire une contre-proposition sinon, mais il devra en tenir compte ». C’est pourquoi il est important de négocier au préalable. La FNB donne des arguments pour avancer : « Il y a une multitude de grilles possibles. Les contrats sont évolutifs. Et sur la durée de trois ans minimum, vos acheteurs vont pouvoir sécuriser vos super JB charolais aux poids voulus », plaident Guillaume Gauthier et Cédric Mandin, répondant aux questions.

Avoir sa stratégie de bien préparée

Dans la salle d’Écuisses, la trentaine d’éleveurs a en effet exprimé des « craintes » de ne pouvoir convaincre leurs acheteurs et de se retrouver avec leurs animaux « sur les bras ». D’où la présentation de la réalité des marchés « qui tirent » tellement la demande est forte et l’offre en bêtes devient faible. Dans la salle, le 1er janvier 2022 semblait aussi être « demain et personne ne sera prêt ». Là encore, pas de stress, « il faut en discuter au préalable avec vos acheteurs », qui sont encore moins prêts que vous malgré les débats entre les familles de la filière depuis des mois… Pour autant, « si les contrats n’arrangent pas certains, c’est trop facile de dire qu’ils n’étaient pas au courant », ne veut pas entendre la FNB.
Ce qu’est plutôt prête à croire la FNB, ce sont les « opérateurs inquiets pour leurs approvisionnements au printemps 2022 ». Cédric Mandin ne cache pas que de nouvelles stratégies de vente vont apparaître : « si vous contractualisez avec un autre acheteur, son concurrent n’aura pas vos animaux ». De quoi créer une tension dans les outils d’abattage qui ont besoin de saturer leurs outils pour écraser leurs charges. « Vous êtes des chefs d’entreprise avec votre logique comme pour vos achats de céréales, avec votre propre positionnement », faisait le parallèle Cédric Mandin. Et de préciser : « rien ne vous empêche d’avoir plusieurs contrats, avec des indicateurs différents, sur une même catégorie d’animaux ou avec un même acheteur ».

Prendre les bons indicateurs

La FNB met à disposition des éleveurs les indicateurs officiels de l’Idele selon les races, les catégories, les coûts de production (Ipampa), selon la qualité (label, notamment)… « Chacun sera libre de ses choix mais comprenez que l’indicateur coût de production est celui qui fait le lien avec votre exploitation. Le prix déterminé ou le prix cotation non ».
« Si on arrive tous à faire ces "bons" contrats, les cotations remonteront et on se rapprochera enfin de nos coûts de production pour obtenir deux Smic et installer derrière », ne démord pas Guillaume Gauthier. Le plus gros risque aujourd’hui pour les éleveurs est que rien ne change, « que la décapitalisation continue, que les éleveurs disparaissent ». Cédric Mandin va même plus loin : « il faut arrêter de dire qu’en France les énergies (essence, électricité, etc.) ont le droit d’augmenter mais pas les cours des viandes pour les éleveurs ! »
La FNB s’attend également à ce que des contrats « privés » surgissent avec des indicateurs de coûts de production qui ne seraient pas ceux officiels. « Proposez l’indicateur officiel car il n’est pas opposable » par la suite.

Ni trop bas, ni trop haut

Le secrétaire général des JA71, Thibault Renaud, coupait court aux discussions : « vos acheteurs, les industriels et les GMS vont être forcés de faire des contrats même si ça ne leur plaît pas » sinon les amendes grimpent à 2 % de leur chiffre d’affaires ! Et comme disait un éleveur dans la salle : « n’ayez pas peur pour eux, quand les cours étaient à 3,5 €, vous croyez qu’ils s’en faisaient pour nous ? »
Le rapport pourrait donc bien avoir enfin tourné. Reste à saisir cette chance sans « décrocher de la réalité des marchés » avals, semblait dire néanmoins le bon sens paysan dans la salle.
C’est justement tout l’intérêt de l’article du contrat qui définit un tunnel de prix, avec un prix mini et un maxi. « N’ayez pas peur de déterminer ce prix mini en dessous duquel vous ne voulez pas vendre car les acheteurs qui veulent s’assurer réellement une production de qualité mettront le prix ». Alors, à vos marques (indicateurs), prêts (stratégie), partez (négociez) pour des contrats rémunérateurs.

Des commerçants entre le marteau (de la loi) et l’enclume

Le président du Syndicat des commerçants en bestiaux de Saône-et-Loire ne cachait pas son inquiétude. « Nous sommes une quarantaine de commerçants en Saône-et-Loire et avec cette contractualisation, on va certainement en voir disparaître ! », alertait-il. Pour eux, la principale difficulté est que justement, « on ne sait pas acheter avec des coûts de production. On ne sait pas faire des contrats sur toutes les catégories », citant les vaches de réforme ou le maigre. Voyant plus de possibilités de contractualiser sur les JB, Cédric Mandin lui répondait « ne pas connaître de marchands qui ne savent pas les volumes à livrer, surtout en ce moment avec les flux tendus ». Paul Pacaud pointait donc du doigt le vrai problème selon lui : « nous avons des réunions depuis juin et nous avons posé la question à l’Interprofession et Bigard ne dit rien ». Là, Cédric Mandin admettait « que le premier transformateur Bigard donne le "la". S’il lance des contrats sur certaines catégories, les autres abatteurs vont se dépêcher » de sécuriser leurs approvisionnements. Pour l’heure néanmoins, « l’aval a les pieds sur les freins » et « tout le monde est en train de s’attendre », ce qui a le don d’énerver Guillaume Gauthier qui ne supporte plus « ce double discours » : « la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) a ses indicateurs, dit qu’il n’y a pas d’indicateurs officiels et surtout ne veut pas les voir publiés ». Cédric Mandin calmait le jeu : « un contrat reste de la négociation, de la discussion et si les gens sont intelligents, chacun comprendra qu’un contrat ne se fait pas en claquant des doigts la veille du départ des animaux ou que de l’autre côté cela peut compliquer les marges abatteur une fois l’animal découpé ». Si beaucoup de commerçants vont certainement chercher à négocier des « prix déterminés », fixés à l’avance donc, Guillaume Gauthier le déconseille avec les hausses des intrants (engrais, alimentation animale, essence, etc.) actuelles et à venir. Dernier avantage du prix indéterminé suivant les coûts de production et de cotation, ce « prix sera non opposable » jusqu’à la grande distribution. À eux de faire les efforts désormais.

Une nouvelle culture du commerce

Pour le président de la FDSEA de Saône-et-Loire, Christian Bajard, cette contractualisation obligatoire inscrite dans la loi ÉGAlim2 va permettre de « cranter les prix » à la hausse côté producteurs. Et « si les volumes de contrats sont nombreux, on pourra tendre vers nos coûts de production », ce qui était l’objectif premier de la loi ÉGAlim1. Certes, « on s’attaque à une nouvelle culture » et approche du commerce. « On sait qu’au 1er janvier, on n’aura pas 100 % de contrats signés dans les cours de ferme mais c’est maintenant aux éleveurs d’envoyer les contrats à leur(s) acheteur(s) car il serait étonnant qu’il(s) accepte (nt) du premier coup ». Et de rappeler que le but « n’est surtout pas de fiche en l’air nos opérateurs et entreprises mais de cranter les prix et réfléchir à notre capacité de négociation ensemble vis-à-vis des gros transformateurs et grandes centrales d’achat des GMS », précisait-il bien. Pour lui, le frein à lever est clair : « il n’y a plus que les GMS qui parlent de prix bas. Plus personne d’autre ne devrait dire que c’est à la viande bovine d’être la moins chère des viandes ». Au contraire même. Une façon aussi de dire qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi et que ce dernier ne met jamais les pieds dans les cours de ferme malheureusement. Et encore, « avec la crise Covid, il se consomme plus de viandes françaises et locales ». Pour les plus opposés, il retournait la question : « on n’a pas de plan B. On a augmenté les vaches et les hectares et on n’a pas plus de revenu. Alors qu’elle est votre solution pour ramener plus de valeur ajoutée par animal et dégager du revenu ? Moi, je ne vois pas ».