Changement climatique
Une réalité à prendre en compte

Publié par Cédric Michelin
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Le 7 avril à Davayé, le Vinipôle Sud bourgogne donnait rendez-vous aux vignerons pour parler du “changement climatique : une réalité à prendre en compte”. Le réchauffement actuel soulève des questions concrètes et de nombreux défis à relever. Les experts s’accordent à dire qu’il n’y a pas une recette miracle globale mais des solutions à mettre en œuvre à l’échelle locale. Derrière, c’est toute la stratégie de l’exploitation qu’il faut adapter progressivement.
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« Sans être alarmiste, en une quinzaine d’années, nous avons gagné 2 à 3 semaines d’avance pour les vendanges. Il nous faut être conscients de ce changement et se tenir prêts à s’adapter », campait en introduction, Robert Martin, le président du Vinipôle Sud Bourgogne. Et en réalité, il n’y aura pas un mais des changements pour la vigne. Du pôle technique du BIVB, Christine Monamy mettait en évidence la « rupture climatique » qui s’est produite en 1987. Une rupture qui s’accélère depuis et qui se ressent notamment tant sur « les températures minimales que maximales ». En revanche, l’impact n’est pas forcément tout négatif ou tout positif pour la Bourgogne. « Depuis 1987, en résumé, les hivers sont globalement plus doux et moins pluvieux ; les printemps ainsi que les étés plus chauds et plus secs (pour les étés) et les automnes plus pluvieux, avec des pluies plus fréquentes et en plus grandes quantités », résumait-elle. Alors, quels impacts sur le cycle de la vigne ?

De coup de gel à coup de chaud



Toujours depuis cette « rupture » de 1987/1988, en moyenne, le stade mi-débourrement a une avance de 7,5 jours (vers le 12 avril au lieu du 19), le stade mi-floraison a une avance de 12 jours (au 8 juin au lieu du 19), le stade fermeture de la grappe a une avance de 12,5 jours (8 juillet au lieu du 20), le stade mi-véraison a une avance de 9 jours (vers le 12 août au lieu du 21) et les dates de récoltes ont une avance de 15,5 jours vers le 13 septembre au lieu du 28 auparavant. Ces moyennes cachent des variations inter-annuelles importantes cependant.
Le conseil de Christine Monamy est de bien « garder en tête les années 2003 et 2015 qui pourraient être assez représentatives du climat à venir ». Des millésimes ensoleillés donc pour la Bourgogne. D’ailleurs depuis le début du millénaire, les niveaux de maturité atteints, pour le pinot noir et le chardonnay, ont été « améliorés pour 40 % des années ». Une bonne nouvelle pour le représentant de la commission technique du BIVB, Pascal Gaguin qui constate que les vignerons « n’ont plus le problème d’arriver au degré minimum de l’appellation » comme avant où lorsque la pourriture dictait la récolte… Dans les faits, au cours de la dernière décennie, un millésime sur deux a permis d’atteindre des richesses de sucres jamais rencontrées en Bourgogne, avec des niveaux d’acidité parmi les plus faibles.
Pluies mal réparties à l’avenir
Mais le premier « bémol » est la modification de la répartition saisonnière des précipitations, avec des risques accrus de stress hydrique. De l’Inra d’Avignon, Inaki Garcia de Cortazar met lui aussi en garde sur cette nouvelle répartition « des pluies pas intéressantes sur un plan agricole ». Plante pérenne, la vigne a certes une capacité d’adaptation. Mais ce n’est pas le seul changement prévu. « Pour échapper au gel, les vignes entrent ici en dormance l’hiver » mais avec des hiver plus doux, la vigne pourrait ne plus utiliser ce système de protection. La vigne pourrait alors subir de possibles « coups de gel » (-18 C), particulièrement les vignobles septentrionaux, avec des risques de mortalité de pieds.
D’autres paramètres devraient cependant être positifs pour le vignoble. Il présentait alors ses travaux sur la phénologie du cépage chardonnay. Dans un futur proche (2050) à l’échelle de la vigne, floraison, véraison et récolte seront encore avancés de 12 jours ici. Les hausses de CO2 dans l’air -utiles au développement des plantes- pourraient compenser quelques stress (hydrique et thermique). Difficile pour autant de dire exactement les effets sur les rendements.

De nouveaux types de vins



Toujours est-il que les profils des vins évolueront. Sauf à dès à présent rechercher à retarder la date de vendange en combinant taille, rapport feuilles/fruits, porte-greffes, cépages, clones… et ce en fonction de chaque parcelle ! « Il n’y pas une stratégie d’adaptation qui viendra du national mais chacun doit travailler à l’échelle locale, chaque petite zone, et à tous les niveaux : agronomie, génétique, sociologique », concluait-il, en guise de “grand témoin” de ces rencontres. Car qui dit modification des profils des vins, dit aussi acceptation par les consommateurs et au final remise en question des typicités et hiérarchies des classements des appellations sans doute…


Aucun effet sur le mildiou et l’oïdium



De l’Université de Bourgogne/CNRS, Sébastien Zito s’est penché sur les changements à venir en terme de pression mildiou et oïdium pour notre vignoble. Il a fallu donc croiser les modèles sanitaires et climatiques actuels avec ceux de demain. Mais avant, il rassurait sur un ravageur, les vers de la grappe, qui va connaître une augmentation du nombre de générations avec le réchauffement climatique « mais pas forcément durant la sensibilité de la vigne qui va changer et être plus précoce, n’impactant dès lors pas la récolte ». La “nouvelle” génération supplémentaire apparaissant après les vendanges.
En ce qui concerne le mildiou et l’oïdium, les chercheurs estiment qu’en Bourgogne, la pression maladie va se maintenir, avec même une « légère augmentation », semblerait-il. Sauf que, « si on devait vendanger au 15 août, est-ce qu’il faudrait envisager des traitements mildiou et/ou oïdium après les vendanges pour la sécurité des bois et les mises en réserve ? », questionnait Robert Martin, prenant exemple sur les vignobles plus au sud. Les feuilles restant jusqu’à deux mois après… avec les risques attenants chez nous. En effet, des contaminations secondaires (repiquage oïdium) seront possibles. Pascal Gaguin rajoutait à la liste, le black-rot qui devient une « inquiétude tardive en été ». Enfin, dernier paramètre à prendre en compte, non modélisable : la réglementation des traitements futurs… Un risque d’impasse réglementaire d’autant plus frustrant que tout porte à croire que de nouveaux pathogènes vont remonter du sud en général, « puisqu’ils ne seront plus bloqués par le climat », expliquait Inaki Garcia. La flavescence dorée (via cicadelles) ou les attaques de pourriture acide (via drosophile suzukii) n’étant que les premiers arrivés, ou les derniers liés à la mondialisation selon, prévenait discrètement Didier Sauvage, le directeur du Vinipôle…



Quel matériel végétal demain ?



Comme le rappelait le technicien de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, Jocelyn Dureuil, la « sélection de matériel végétal a toujours eu pour mission de s’adapter à des conditions. Mais il faut compter 20 ans »... Plus de temps à perdre donc puisque les défis à relever sont triples pour la Bourgogne : l’avancement de la date de vendange et sa maturité, l’augmentation des rendements et enfin la sauvegarde de la qualité et de la typicité des vins de Bourgogne. « Depuis 2000, on vendange en short. Les cépages bourguignons ont gagné en maturité aussi », rappelait-il. Une autre piste est celle du choix de porte-greffes, « qui augmenterait la période végétative » pour maintenir la date de maturité actuelle, sans « basculer dans un extrême » mais avec une adaptation parcellaire.
Mais attention alors aux greffons qui font « 80 % de la qualité finale ». Actuellement, la maturité est « bonne, même si des défauts d’acidité se font ressentir ». Pour équilibrer les vins, outre des porte-greffes plus tardifs, « l’assemblage de plusieurs clones dans une même parcelle » pourrait être une solution. Autant dire que la sauvegarde du patrimoine génétique -« le plus large possible »- est une priorité pour espérer adapter des vins limités au monocépage. Comme dans les années 1990, une piste serait à nouveau de sélectionner des individus avec des baies “plus petites” pour obtenir un rapport jus/pellicule permettant d’augmenter le taux d’anthocyanes et répondre à la dilution des moûts.





Même clone, plus de rendement



« Dans les années 1980, le clone de pinot noir Cl 115 avait un poids moyen d’une grappe d’environ 80 grammes pour 120 g aujourd’hui, soit +50 % ! » Un phénomène inattendu initialement lors de sa sélection mais qui s’explique par des températures plus élevées augmentant l’initiation florale, une période post-vendange jusqu’à la chute des feuilles augmentant avec les mises en réserve en parallèle, entrainant en cascade une augmentation de la taille et du nombre d’ébauches de grappes dans le bourgeon latent. Enfin, les pratiques d’éclaircissage entraînent un phénomène de compensation sur les grappes restantes, expliquait Jocelyn Dureuil qui prévoit donc une augmentation des rendements dans les années à venir, et ce, avec les mêmes clones.





Se prémunir des gelées tardives



Le vignoble septentrional de Champagne fait globalement le même constat que la Bourgogne. « Sur 20 ans, nous avons plus de degrés et moins d’acidité ; cela fonctionne mieux », expliquait Sébastien Debuisson du Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC). Mais problème, s’il y a moins de gel d’hiver, il y en a et aura plus au printemps. Le CIVC a donc décidé de remonter la hauteur du liage pour éloigner les bourgeons du sol et ainsi espérer gagner 0,2 à 0,4 °C. La hauteur réglementaire (30 cm) dans le décret d’appellation a été relevée. Dans les essais, les champenois constatent des degrés et acidités « plus favorables » mais également une « hausse » de la pression oïdium et mildiou, « plus sur feuillage ». Si la présence de botrytis est aléatoire, allant jusqu’à des absences certaines années, l’émergence de pourriture acide, rappelle le même phénomène apparu en Bourgogne en 2014.
Deuxième adaptation possible en jouant sur une « meilleure ventilation » en remontant les têtes de souche ou en ayant des rangs plus larges (entre 1,8 et 2,2 m). L’objectif étant d’abaisser la pression sanitaire tout en diminuant les doses épandues de phytosanitaires, avec une surface foliaire moindre. Une situation envisageable en Champagne où les rendements sont obtenus. Enfin, pour éviter « les coups de soleil » des grappes de raisin, le CIVC conseille de limiter les rognages, rogner court et laisser des jeunes feuilles se développer pour augmenter l’acidité. Côté sol, pour limiter l’impact du manque d’eau au printemps, Sébastien Debuisson conseille un enherbement pour éviter l’évaporation et pour gagner « de 1 à 2 points » d’acidité.
Toujours pragmatique, si le réchauffement climatique se poursuit, le cépage meunier « craignant le chaud » sera lui remplacé par « d’autres oubliés » mais déjà autorisés dans le cadre de l’appellation.




Des bourgognes ressemblant à des vins du sud



Du Centre oenologique de Bourgogne à Davayé, Jean-Luc Soty se penchait sur l’aspect vinification de moûts « déséquilibrés » par rapport à ceux d’aujourd’hui. L’organisation des chantiers de récolte et de vinification répondant à ces problématiques « extrêmes » pour la Bourgogne devra être réfléchi en amont. Les risques au chai sont de rencontrer des problèmes fermentaires (FA et FML), de perdre des caractères organoleptiques, en d’autres termes de perdre la typicité propre à l’appellation et au terroir. Sans oublier, la capacité de garde. Alors comment s’adapter à ces futurs millésimes précoces ? Là, les œnologues ne manquent pas de techniques : fractionnement des jus de presse ; dé-sucrage des moûts ; désalcoolisation ; acidification (tartrique, malique, lactique)… sans oublier l’utilisation de levures à faible rendement en alcool ou conservant l’acidité. Il sera également envisageable de « redéfinir des profils de vinification (cinétique) surtout en rouges ». Pour Jean-Luc Soty toutefois, la « place des vins de garde sera plus problématique ».
Après des tests concluant sur pinot noir, le COEB est en train de valider de nouveaux indicateurs de chargement en sucre des baies sur chardonnay. Ce système Dyostem doit permettre de définir des profils de vins voulus en fonction de la date d’arrêt de chargement des baies. Ainsi le vigneron pourra plus finement choisir des profils aromatiques (fruits frais, végétal, neutre…) -y compris la teinte de la couleur des vins désirés- et en conséquence la date de vendange qui correspond au profil choisi.