Cave de Lugny
La cave de Lugny s'adapte à un monde qui change

Marc Labille
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Le 7 avril dernier à Péronne, la cave de Lugny tenait son assemblée générale devant une salle pleine de vignerons coopérateurs. Pour l’une des plus importantes coopératives viticoles de Bourgogne, l’ordre du jour était chargé avec un exercice 2022 inédit et riche en évènements à une époque où tous les repères volent en éclats. 

La cave de Lugny s'adapte à un monde qui change
En hectares comme en volume, la cave de Lugny pèse pour près de 4% de la Bourgogne viticole et elle représente 20% de la production des caves coopératives de la région. A elle seule, la cave de Lugny assure le quart du volume de vins exportés par la Bourgogne.

Avec 54.100 hectolitres récoltés en 2021, la cave de Lugny a dû faire face à une nouvelle chute de production consécutive au gel de printemps. La baisse était de - 36 % par rapport à une récolte normale, indiquait le président, Marc Sangoy qui évoquait des pertes allant de – 10 à – 76 % selon les exploitations. Succédant à une campagne 2020 à 84.300 hectolitres et une année 2019 à 50.600 Hl, 2021 confirme un profil désormais en dents de scie des récoltes, alors que la cave pouvait autrefois compter sur un volume régulier de 100.000 Hl. 2022 renoue avec une récolte quasi « pleine » de 88.000 Hl, mais cette fois, c’est la sécheresse estivale qui a érodé le potentiel.

La hausse des prix compense la baisse du volume

Tandis que le changement climatique déploie sa dure réalité dans le vignoble, la conjoncture économique bouscule, elle aussi, les repères de la filière viticole. 2022 aura été marquée par des hausses de prix sans précédent dans la commercialisation des vins. Ainsi le vrac a-t-il bénéficié d’une flambée des cours de + 65 %. La bouteille a vu son prix progresser de + 20 % sur tous les marchés, y compris en vente directe, soulignait le président. Pour la récolte 2021, la valorisation de l’hectolitre de chardonnay atteint ainsi 414 € contre seulement 287 en 2020. Mais il faut le rapporter au volume déficitaire de la récolte 2021, nuançait Emmanuel Bruno, responsable administratif et financier. De fait, la revalorisation des prix de 2022 compense tout juste la perte de récolte de 2021, confirmait Marc Sangoy. Elle aura malgré tout permis à la coopérative de réaliser une hausse de son chiffre d’affaires de + 3,6 %.

Consommation en berne

Ce bon chiffre ne doit pas occulter que le volume de vin commercialisé en 2022 est en baisse à 68.000 hectolitres. Dans un contexte d’inflation généralisée, la consommation alimentaire se rétracte et le comportement des consommateurs change, rapportait le nouveau directeur, Stéphane Garrigue. La baisse de consommation atteint – 6 % pour le vin et cela ébranle certains vignobles français… Heureusement, « la Bourgogne résiste », rassurait le directeur.

Dans ce nouveau contexte, le débouché vrac se stabilise à environ 30 % contre 40 autrefois. Avec plus de 1 million de bouteilles vendues, le crémant représente 20 % de l’activité de la cave de Lugny, faisait valoir Stéphane Garrigue (lire encadré). L’export absorbe 55 % des ventes de la coopérative. Le Royaume-Uni, les États-Unis et la Belgique assurent, à eux trois, 80 % du chiffre d’affaires export. La grande distribution fait partie des débouchés de la cave de Lugny qui fournit six enseignes dont les trois plus importantes représentent environ 1 million d’euros de chiffre d’affaires chacune. Enfin, la boutique de la cave de Lugny réalise plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, faisait valoir Stéphane Garrigue.

Environnement, changement climatique, réglementations…

Livrant son premier rapport d’activité à la tête de la coopérative, le directeur a pointé les enjeux de l’année 2023. Sans surprise, la problématique environnementale en fait partie. Au niveau de la conduite du vignoble, il faudra s’adapter à l’inéluctable réduction des produits phytosanitaires, à la pression réglementaire, à la haute valeur environnementale (HVE)… Des impératifs qui sont autant d’aspirations sociétales fortes relayées par les consommateurs et qui s’ajoutent au défi climatique. Pour ce faire, la coopérative continuera de déployer sa démarche collective RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale) avec le label « Vignerons Engagés » (lire encadré). Dans un contexte inflationniste, la cave de Lugny sera également attentive à ses charges. Aléas climatiques obligent, la coopérative veillera au suivi des aides indispensables à ses adhérents frappés par le gel. Sur ce point sensible, Marc Sangoy saluait la MSA, la DDT et FranceAgrimer pour leur réactivité. Parmi les autres enjeux cités par le directeur, les nouvelles mentions consommateurs qui devront être apposées sur les bouteilles, le réemploi des emballages, l’approvisionnement en verre et bien sûr la commercialisation.

« Si on ne bouge pas, on disparaît »

« Nous pouvons être sereins pour la valorisation de la récolte 2022 », annonçait Marc Sangoy. Avec un volume à nouveau quasi plein, cette récolte bénéficiera de cours du vrac encore élevés et de marchés bouteilles qui se maintiennent en volume avec une nouvelle hausse des tarifs en début d’année, rassurait le président. L’augmentation du prix de la bouteille fait débat, tant auprès de la clientèle que des coopérateurs : « allons-nous trop loin, trop haut, allons-nous perdre tout le monde ? ». En réponse à cette délicate question, Marc Sangoy estimait que le « contexte inflationniste » inédit fait que « c’est moment où jamais » de revaloriser les tarifs. « Si on ne bouge pas, on disparaît », et les vins de la cave de Lugny restent « très bien placés » en termes « de rapport qualité prix », concluait Marc Sangoy.

De nouvelles têtes à la coopérative

Parmi les évènements de 2022, la cave de Lugny a connu plusieurs changements au niveau de ses ressources humaines. Elle a notamment recruté le successeur du directeur général Édouard Cassanet en retraite dans le courant de l’année. Stéphane Garrigue est arrivé à la cave au début du mois de novembre après une carrière qui l’a vu exercer dix ans aux États-Unis puis dix ans dans une cave coopérative du sud de la France et enfin dix ans dans une société privée. Le service viticole et qualité de la cave a été scindé en deux avec l’arrivée d’Amélie Fezzoli au service qualité. Au niveau vignoble, la cave a recruté Adèle Baldenweck. Enfin, l’œnologue Grégoire Pissot vient d’annoncer qu’il allait quitter la cave de Lugny après 18 ans de bons et loyaux services.

La démarche « RSE – Vignerons Engagés »

La cave de Lugny est engagée dans une démarche collective de développement durable RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale). C’est sous le label « Vignerons Engagés » que la coopérative conduit ses actions. Outre la mise en place d’un domaine en Bio, la cave de Lugny a fait réaliser en 2022 un inventaire de la faune et de la flore sur ses 1.260 hectares de vignes. Cet état des lieux de la biodiversité a été subventionné à 100 % par la Draaf et le BIVB, indiquait Agathe Perségol, référente de la démarche. Dans ce même cadre, la cave développe de nouvelles pratiques agroécologiques. Un groupe de vignerons coopérateurs participe ainsi à une étude sur les couverts végétaux pour préserver les sols. Des plantations de haies sont également expérimentées. La cave est par ailleurs engagée dans une démarche de sobriété énergétique. D’autres études concerneront de nouveaux contenants pour les vins, l’amélioration de la qualité du travail dans le vignoble, etc. Pour mieux faire connaître ces actions, la cave organisera un « week-end vignes ouvertes » les 6 et 7 mai prochain. Au programme, il y aura notamment l’inauguration des nouveaux sentiers de balade « en Brinchamps » ainsi que la découverte de la biodiversité et du métier de vigneron (exposition, ateliers, vidéos, débats publics…).

Crémant de Bourgogne : « trouver des hectares et améliorer la productivité »

L’appellation crémant est une activité économiquement très importante pour la cave de Lugny. Aussi, la coopérative travaille-t-elle au maintien des volumes et de la valorisation de ces vins. Elle entend aussi profiter de la bonne situation des crémants de Bourgogne. « Nous ne pouvons plus répondre à la demande ! », confirmait le directeur de l’UPECB, Pierre du Couëdic qui faisait état d’un manque de 8 millions de bouteilles aujourd’hui. À l’origine de cette insatisfaction, les variations climatiques qui font que les récoltes de crémant fluctuent tandis que la courbe des ventes subit une croissance très régulière. Le chiffre d’affaires par hectare de crémant est passé de 13.000 € en 2009-2010 à 22-23.000 € aujourd’hui, indiquait Pierre du Couëdic. Si les surfaces de crémant ont progressé, les rendements décrochent depuis 2003. « Il faut trouver des hectares et améliorer la productivité », synthétisait le directeur.