Reprise économique "post Covid-19"
Les professionnels s’adaptent, dans un contexte de forte demande

Confrontées aux impératifs de la crise sanitaire, les entreprises spécialisées dans la conception et la construction de bâtiments agricoles ont dû s'adapter. Elle le font aussi face à une autre réalité actuelle : la hausse du prix des matières premières, liée là aussi à la crise sanitaire et à une demande qui ne faiblit pas.

Les professionnels s’adaptent, dans un contexte de forte demande
La hausse des coûts de nombreuses matières premières, au premier rang desquelles figure l'acier des charpentes, a été brutale pour les entreprises. (Crédit Waltefaugle)

Depuis un peu plus d’un an, l’économie dans son ensemble a appris à composer avec un contexte inédit : celui d’une pandémie planétaire. Après le choc d’une mise à l’arrêt qui n’a épargné aucune zone dans le monde, il a fallu rapidement trouver des solutions permettant de poursuivre l’activité. S’adapter, c’est le lot de toute entreprise mais il faut reconnaître que là, la marche était un peu haute. Le domaine du bâtiment agricole a pourtant fait preuve, dans ce climat plein d’incertitudes, d’une résistance et d’une adaptabilité certaines. « Le mardi 17 mars 2020, premier jour du confinement, nous avons décidé de ne pas fermer », explique franchement Benoît Chaudron, gérant de Crai (Constructions, réalisations agricoles et industrielles), entreprise de construction de bâtiments agricoles basée en Côte-d’Or, à Semur-en-Auxois, qui emploie 40 personnes, dont dix dans la société Crai Énergie, spécialisée dans l’activité complémentaire du photovoltaïque. Avec un chiffre d’affaires annuel de huit millions d’euros, dont près de la moitié sur le secteur du bâtiment agricole, on peut comprendre la nécessité de réagir très vite face à une situation d’arrêt économique jamais rencontrée dans le passé. Décider de ne pas fermer l’entreprise était une chose, mais il fallait, derrière, trouver une alternative pour la poursuite de l’activité. « Sur l’atelier, poursuit Benoît Chaudron, nous avons mis en place une organisation de travail en 2x8, ce qui permettait d’avoir moins de personnes en même temps dans les locaux et moins de croisements de personnel. Mécaniquement, on doublait la surface par personne ce qui facilitait le respect des distanciations. Tous les gens des bureaux ont été mis en télétravail ». 

Mesures d’adaptation

C’est le même impératif de la poursuite d’activité qui a dirigé Didier Cannac dans ses choix. Il est le directeur général de Waltefaugle, une société de bâtiment en charpente métallique basée en Haute-Saône, qui emploie 200 personnes pour un chiffre d’affaires annuel de 48 millions d’euros, dont la moitié en bâtiments agricoles. « Nous sommes comme les agriculteurs, précise-t-il : la crise sanitaire n’a pas interrompu leur activité, donc nous avons suivi. Sur les bâtiments, notre activité n’a pas baissé, bien au contraire. Nous sommes notamment tirés par l’attractivité du photovoltaïque ». Ce maintien de l’activité fut malgré tout une bonne nouvelle dans ce climat si particulier, marqué par le confinement, car ces professionnels de la construction ont d’abord craint une baisse. Rapidement, là-aussi, Waltefaugle a mis en place des mesures d’adaptation : « l’entreprise, poursuit Didier Cannac, comme partout, s’est convertie aux geste barrières. Nous avons aussi la chance de disposer d’un atelier très vaste, de 45.000 m² et même avec 100 personnes à l’intérieur, cela laisse la possibilité d’avoir de l’espace entre les gens. Nous avons été bloqués quelques semaines, mais nous avons pu assez rapidement reprendre une production normale ». Au-delà de la fabrication, c’est sur la conduite des chantiers que les contraintes de la crise sanitaire se sont faites le plus ressentir. Chez Crai, les choix opérés se sont traduits de la manière suivante : « nous avons mis un véhicule par personne, décrit Benoît Chaudron, et nous avons supprimé le passage à l’entreprise le matin : nous alimentions les chantiers en direct. La transition s’est faite très rapidement ». 

« Je tire mon chapeau aux équipes »

Chez Waltefaugle, on a fait passer certains services en télétravail et les équipes de montage n’ont pas connu d’arrêt : « très souvent, décrit Didier Cannac, sur des chantiers de bâtiments agricoles, nos personnels sont relativement peu nombreux et il n’y a pas de co-activité. Naturellement, nous avons dû gérer les éventuels problèmes de cas contact. Des cas se sont posés de manière très ponctuelle. Le plus compliqué pour les équipes de montage, depuis un an, et avant le déconfinement, c’était la prise de repas froids à l’hôtel ou sur les chantiers... je leur tire mon chapeau parce qu’ils font des métiers qui sont déjà compliqués dans un contexte normal mais là, avec l’obligation de limiter les contacts, c’était encore plus dur. Quand vous exercez un métier très physique, pour le montage d’un bâtiment, passer presque un an à manger des sandwichs, ce n’est vraiment pas l’idéal. Quand il pleut, que vous mangez vos sandwichs dans la camionnette et que le soir, à l’hôtel, vous mangez la même chose, ça peut devenir très long... Nos équipes ont eu beaucoup de mérite. Sur les chantiers, la règle c’était de limiter autant que possible les rapprochements physiques, dans les transports, il y a obligation de porter le masque. Au début de la crise, lors du premier confinement, on a multiplié les moyens de transport pour avoir moins de personnes par véhicule. Mettre en place ces mesures et les faire appliquer n’a pas été facile tous les jours mais globalement, la conduite des chantiers n’a pas été trop perturbée ». Au-delà de ces aspects, la survenue du confinement a parfois entraîné des réflexions positives sur les organisations de travail : « le confinement est arrivé alors que nous étions en train de changer de serveur informatique, souligne Benoît Chaudron. On en a donc profité pour se doter d’outils facilitant aussi le télétravail. Plus globalement, l’organisation prévue pour faire face au confinement, nous avons finalement décidé de la conserver parce que nous nous sommes rendus compte qu’elle apporte une plus grande souplesse de fonctionnement. Nous sommes parvenus à tirer du positif de cette situation et la crise sanitaire nous a obligé à nous interroger sur notre organisation de travail ».

Berty Robert

Demande forte, offre réduite
Malgré la crise sanitaire, les chantiers de construction de bâtiments agricoles ont pu se poursuivre en adaptant leur fonctionnement (Crédit Waltefaugle).

Demande forte, offre réduite

L’autre difficulté du moment, en partie liée à la crise sanitaire, c’est la hausse des matières premières. Acier, mais aussi béton, bois ou même panneaux photovoltaïques, tous les matériaux de construction sont concernés et les entreprises doivent là aussi faire face.

Au départ, le déclenchement de la crise sanitaire mondiale s’est traduit par une réaction de prudence de la part de producteurs qui pensaient que l’activité allait s’arrêter. Ils ont donc stoppé les laminoirs, l’extraction de minerai, toute l’origine de la chaîne conduisant à la production d’acier. Sauf que l’activité ne s’est pas arrêtée et qu’au contraire, elle se maintient à un niveau élevé de demande. Une offre réduite face à une demande forte : il n’en fallait pas plus pour faire exploser les prix, même si, pour nos professionnels du bâtiment, on ne peut totalement écarter un autre facteur, la volonté spéculative, qui joue également un rôle dans cette situation. Toujours est-il que cette hausse est très pénalisante, comme le confirme le dirigeant de Waltefaugle : « Elle s’est déclenchée à Noël 2020. Sans prévenir, il y a eu un emballement phénoménal des prix de l’acier, dans un premier temps. Par rapport aux prix du 15 décembre 2020, sur les profilés d’acier ou les tôles galvanisées, les hausses sont au minimum de 60 %, voire plus de 100 % dans certains cas ! En 30 ans d’expérience, je n’ai jamais connu ça, et aussi rapidement puisque la hausse s’est faite sur seulement quatre mois ». « Sur l’acier, nous avons pris 42 % d’augmentation, confirme de son côté le gérant de Crai. Pour ce qui concerne les chantiers qui étaient déjà signés, nous n’avons pas actualisé, mais nous supportons le coût de l’augmentation. Nous n’avons cassé aucun marché, on espère juste que cet effort de notre part agira comme un investissement sur le long terme. À présent, nous ajustons nos prix en fonction de la matière. Nous sommes soumis à ces fortes hausses sans savoir où nous allons. Ce qui nous surprend, c’est l’intensité de la hausse, sa rapidité. En 2008-2009, on était arrivés à 1.000 euros la tonne d’acier, aujourd’hui, nous sommes nombreux, dans la profession, à penser que l’on va à nouveau atteindre ce niveau ». La nécessité d’absorber la hausse des coûts de matière première sans pouvoir la répercuter sur des chantiers engagés avant qu’elle se déclenche est une donnée économique importante avec laquelle ces entreprises doivent composer : « Vis-à-vis de nos clients, précise Didier Cannac, se pose un problème financier parce que nous assumons les engagements pris au moment du devis, mais sur des prix qui ne correspondent plus à la réalité, ce qui nous coûte de l’argent. On est une entreprise saine, donc on peut passer ce cap, mais il y a un risque de casse dans la profession ». La dernière fois que de telles hausses s’étaient produites sur ces matériaux, c’était avant la crise de 2009, mais elles s’étaient alors étalées sur 18 mois. Là, quatre mois auront suffit. Une brutalité qui a pris tout le monde de court. Autre problème : cette logique de hausse dure. Didier Cannac estime qu’elle va se poursuivre sur toute l’année 2021. « Il y a de la demande, renchérit-on chez Crai, tout le monde a du travail, donc il n’y a pas de raison que ça retombe, à un horizon proche, en tout cas ». Depuis mars, la hausse s’est propagée aux matériaux de couverture et de bardage, aux murs préfabriqués, aux fixations... En couverture et bardage, il y a aujourd’hui des pénuries. Il y a de grandes incertitudes sur les délais de livraison de ces matériaux. Benoît Chaudron reconnaît néanmoins que si les prix ne baissent pas, ils ont tendance à se stabiliser et n’augmentent plus de manière vertigineuse comme on l’a observé durant quatre mois. « On fait le dos rond... », conclut-il.