Agrisolidarité
Plier sans rompre face à la charge administrative

Cédric Michelin
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Quelle suite à donner à la crise agricole de ce début d’année ? Agrisolidarité a choisi pour son assemblée générale le 21 mai dernier à Moroges, le sujet le plus lancinant et pourtant de plus en plus agaçant : « faire face à la charge administrative ». Ou plutôt la surcharge. Agrisolidarité et ses partenaires apportaient des pistes de réponse, des outils, des services… pour plier, mais ne pas rompre. Laissant au syndicalisme, le soin de « simplifier » comme ils le réclament depuis longtemps.

Plier sans rompre face à la charge administrative

Elle aussi pourrait se plaindre de ce « mal français ». Marie-Hélène Porot est maire de la commune de Moroges et n’hésite pas à dire à ses administrés, justement, notamment agriculteurs et viticulteurs, « qu’ils peuvent venir voir votre maire car on peut dénouer des choses ». Dénouer ? Oui, le nœud administratif reste bien en travers de la gorge, au risque d’étouffer des chefs d’entreprise qui se plaignent de ne plus avoir le temps à côté pour "travailler". Certes, l’administration répond que la loi, règles et normes font parti du travail, qu’elles valorisent et protègent de la concurrence déloyale ou des fraudeurs. Mais l’empilement rend le système illisible, voir illogique.

Le président d’Agrisolidarité, Jean-Charles Blanchard voit toquer à la porte de l’association, de « nouveaux demandeurs se retrouvant dans des situations toujours plus complexes ». Les équipes d’Agrisolidarité et les bénévoles tentent d’y répondre au mieux et surtout, n’hésitent pas à aller chercher les meilleurs spécialistes. Agrisolidarité est ainsi en lien avec les barreaux de Chalon et Mâcon et récemment avec le juge des affaires sociales. Se mettre sous la protection de la justice est souvent la bonne solution arrivée à un certain stade. « Car la charge administrative peut entraîner du mal-être », n’hésite pas à critiquer, Jean-Charles Blanchard, qui en profitait pour remercier les « syndicats agricoles » d’être les porte-voix contre ce mal-être. FDSEA et JA de Saône-et-Loire étaient d’ailleurs à la tribune. Mais au jour le jour, ce sont surtout les bénévoles qui font face et remonte le moral des agriculteurs en difficulté. Pour la seule Saône-et-Loire, cela représente à Agrisolidarité, l’équivalent de 411 jours pour les quatre conseillers spécialisés, 74 jours pour d’autres conseils et 152 jours pour sept travailleurs sociaux, qui oeuvrent tous par ailleurs. En 2023, 30 prises de contact de plus qu’en 2022 ont porté le nombre à 97, dont un sur cinq était néanmoins déjà « connu et accompagné » par l’association. Ces questions nécessitent un temps long et 43 personnes poursuivait l’accompagnement débuté en 2022 d’ailleurs. A l’inverse, un sur cinq ne donne pas suite après un premier rendez-vous. Et 10 % sont « réorientés vers le bon service », pour des problèmes juridiques par exemple.

A l’image de la santé des filières, les arrondissements de Charolles, Louhans et Autun arrivent malheureusement en tête des accompagnements par Agrisolidarité. Avec même un point noir à Cuisery/Baudrières, suite à la série tragique d’incendies criminels. Agrisolidarité ayant anticipé et proposé de l’aide directement à une douzaine de chefs d'exploitation et leurs familles.

Rien ne prédispose ou protège contre ces difficultés. La moitié des agriculteurs suivis sont en couple avec enfant à charge ou à l’inverse 28 % seul(e) sans enfant. Si la moyenne d’âge est de 48 ans, l’écart va « d’agriculteurs expérimentés installés depuis plus de 18 ans » à des « plus jeunes dans le métier (5-8 ans) », expliquait Clémentine Ducros. Si cette année, ce sont les agriculteurs en EARL qui étaient plus représenté, l’an dernier, il s’agissait d’associés en Gaec.

Aucune idée reçue donc puisque 11 % sont des viticulteurs. « L’origine des difficultés est un mix multifactoriel entre économique (d’avantage chez les plus de 40 ans) et technique (d’avantage chez les plus jeunes) qui impactent l’humain ». Mais ce peut aussi être des problèmes de santé, d’entente, de séparation… et tous sont souvent « lourds de conséquences car cela touche le capital professionnel et personnel ». Beaucoup ne connaissent pas leurs droits et donc ne font les démarches nécessaires. 26 % sont bénéficiaires du RSA et même 6 % de ces chefs d’exploitation n’ont pas ou plus de comptabilité, détaillait Violaine Bigot, conseillère d'Agrisolidarité.

Agrisolidarité ne cache pas qu’il est toujours difficile de s’en sortir, arrivé à ces stades. 30 accompagnements ont tout de même pris fin en 2023, les agriculteurs en ayant moins besoin. « 10 % ont vu leur situation rétablie et d’autres rentrent en procédure judiciaire », qui est synonyme de mise sous protection.

Tous ceux qui ont fait appel à Agrisolidarité jugent la prise de contact « facile et rapide avec des conseillers disponibles, donnant des conseils pertinents », sans oublier l’aide. « 71 % jugent leur situation actuelle en cours d’amélioration ou satisfaisante », ce qui n’a pas manqué d’impressionner Olivier Damaisin, le coordinateur interministériel en charge du programme mal être qui était justement venu écouter de tels témoignages d’agriculteurs en Saône-et-Loire.

« On a senti cet hiver une vraie rupture avec ces normes toujours plus plus plus », ne cesse de redire, Christian Bajard, président de la FDSEA, lors de ces réunions avec les parlementaires et la cellule de crise suite aux manifestations mise en place par le préfet. Le vice-président du Département en charge de l’agriculture, Frédéric Brochot rappelait que « l’administratif est bien souvent le premier maillon mis de côté lorsqu’une entreprise rentre dans des difficultés », rappelant que les services de remplacement, tout comme Agrisolidarité, font partis des « soutiens » dont le Département est partenaire, via sa politique sociale (68% des 700 M€ de budget total). Le syndicalisme qui se retrouve au carrefour de toutes ces organisations confirme ces « éléments révélateurs » mais qui doivent être géré avec « confidentialité car on rentre dans l’intime », expliquait Christian Bajard. C’est pourquoi, il remerciait Agrisolidarité, « car les OPA ne sont pas des adversaires », alors que parfois « les difficultés isolent ». Et de conclure : « les OPA tendent la main au contraire » pour venir en aide.

Surcharge administrative

Le vice-président de la chambre d’Agriculture et d’Agrisolidarité, Jean Jacques Lahaye le redit, « face à la charge administrative sur une exploitation, il est nécessaire d’en parler », s’adressant autant aux élus, aux pouvoirs publics qu’aux agriculteurs. Facture, déclarations Pac, notifications d’animaux, feuilles de paie et DPAE, douanes, DUERP (Document Unique d'Evaluation des Risques Professionels), plan de fumure, certiphyto… égrenait-il quelques exemples de la charge administrative que doit remplir un chef d’exploitation qui pourtant veut « déjà produire ». Loin de lui l'idée de tout rejeter : « les papiers ont une vraie importance. Les jeunes agriculteurs l’ont d’ailleurs mieux intégré que notre génération. C’est judicieux cette prise de conscience ».

Pour autant, il faut rentrer dans les détails pour lever les freins. Si la dématérialisation sur Internet a permis de faire ses déclarations au jour le jour, encore faut-il déjà maîtriser l’outil informatique. Même les jeunes générations nées avec un smartphone ne sont pas forcément à l’aise sur un site web administratif qui a sa logique propre. Des formations contre la « fracture numérique » sont dispensées par la MSA, ne serait-ce que pour envoyer des mails à son comptable, son conseiller… Une autre formation intéressante est celle permettant de « maîtriser les chiffres et bilan comptable », pour devenir plus autonome. « La formation m’a permis de revenir sur certaines notions vues lors de ma formation initiale que je n’avais pas complètement intégrées dans ma pratique », témoignait une agricultrice qui ainsi « discute mieux avec son banquier ou son comptable ».

Pour illustrer d’autres utilisations administratives, Julie Lausoeur et Thomas Ardiet présentaient respectivement la formation pour réaliser sa DUERP, déclaration des risques, ou Boviclic pour gérer son troupeau. Une fois formé et les outils maitrisés, encore faut-il s’en servir « au fur et à mesure car lorsqu’on repousse une tâche, soit on l’a fait mal soit on ne l’a fait pas », ne critiquait pas Jean-Jacques Lahaye mais parlait sans doute d’expérience. Une expérience qui l’a mené maintenant à « mieux gérer son troupeau et son pâturage » grâce à ce type de logiciel.

Si les « grandes exploitations » structurées s’organisent pour gérer les papiers, les structures « plus petites » peuvent aussi se tourner vers des sociétés se chargeant de l’administratif. « Née dans le monde agricole », Marine Cottenceau a monté MCD Gestion pour justement « venir en aide aux agriculteurs et viticulteurs », faisant justement les papiers de son mari. Des déclarations, en passant par la gestion courante, ou même des demandes de subventions, elle et sa collègue, Julie, « le font avec plaisir » sur le secteur Chalon/Beaune principalement. Comme quoi, chacun son domaine de compétences, sans culpabilité.

L’IA du Crédit agricole décroche, votre conseiller vous répond

L’IA du Crédit agricole décroche, votre conseiller vous répond

Directrice du développement de l’agriculture en Saône-et-Loire, Evelyne Gay ne veut pas griller les étapes et redisait l’objectif du Crédit Agricole : « le digital permet d’avoir plus de temps pour discuter avec votre conseiller car la partie administrative est fluide : signature électronique des contrats, placements… évitant perte de temps ou édition de papiers ». Elle donnait pour exemple la nouveauté de bénéficier d’une pré-attribution de prêts Agilor, en signant avec son smartphone. À l’inverse, si l’on peut dire, la banque verte prévient par l’envoi de SMS « deux mois avant échéance d’un court terme », afin d’anticiper en cas de difficulté de trésorerie. Le conseiller bancaire restant la personne-ressource à contacter alors en premier. Et la directrice d’effleurer la révolution de l’intelligence artificielle, notamment conversationnel, qui arrive au Crédit agricole pour répondre au téléphone pour les questions les plus courantes. L’objectif n’étant pas de supprimer des emplois, mais au contraire de « libérer du temps à votre conseiller » qui sera « plus joignable pour répondre à vos projets ». L’IA s’occupant des réponses simples.

Une administration dans l’urgence mais compréhensive

Une administration dans l’urgence mais compréhensive

C’est un témoignage rare. L’exercice nécessitant beaucoup de force et d’humilité. Un vigneron ayant fait appel à Agrisolidarité a accepté de témoigner de ses difficultés. Les trois bénévoles d’Agrisolidarité ont expliqué l’accompagnement et les conseils qu’ils ont prodigué. Marie-Claude Nicolet est ce qu'on appelle une travailleuse sociale à la MSA ; Pierre Bouquet et Jean-Paul Maurice étaient eux au Crédit Agricole et au CER.

Le vigneron du Couchois datait l’appel à Agrisolidarité après un « gros souci de santé. Mes papiers traînaient et je n’ouvrais plus ma boîte aux lettres ». Jean-Paul Maurice se souvient que l’EARL familiale était en difficulté financière et au bénéfice réel depuis 2018 et rencontrait des difficultés à payer son comptable, faisant qu’il n’avait ni liasse fiscale, ni TVA… à jour. Face à de « forts prélèvements », ils décident d’aller aux impôts pour « demander » de passer au régime micro-BA. Des nuits et des jours plus tard, les comptes sont remis à plat et les impôts acceptèrent un échéancier de paiement en fonction des rentrées d’argent de l’exploitation viticole. « On n’est pas rentré de front avec l’administration. On est allé négocier et on a trouvé des solutions avec des gens très compréhensifs », salut Jean-Paul Maurice. Même chose à la MSA qui a « notoirement revu les cotisations à la baisse », à quelques mois de la retraite pour le vigneron qui a pu dissoudre son EARL, encore très ému, mais visiblement soulagé pour lui et sa femme, tous deux aujourd’hui en retraites méritées. Pour Marie-Claude Nicolet, ce témoignage n’était que l’illustration « des liens humains » qui sont nécessaires, faisant que « chaque accompagnant intervient avec ses compétences ». Personne ne promet que la solution sera indolore et rapide. D’ailleurs, Pierre Bouquet a aussi beaucoup appris, même après sa carrière professionnelle. « Cela remet en cause sa vie professionnelle faite de rentabilité, de délais, de résultats… et de voir ce qu’il faut entreprendre pour sortir des difficultés », ayant passé beaucoup de temps et « d’écoute pour connaître la famille, le couple… ». Devant parfois gérer des situations d’urgence (assurance, comptabilité…), « c’est aussi du stress pour l’accompagnant » même si c’est toujours à la personne en difficulté de décider au final. Marie-Claude donne toujours ce conseil à tous : « respecté le rythme des personnes et être neutre », pour ne pas engager la responsabilité juridique du bénévole, qui ne ferait qu’ajouter du malheur au malheur. La profession agricole, autour du Conseil de l’Agriculture regroupant les principales OPA du département, s’est d’ailleurs organisée pour trouver de nouveaux bénévoles et former les personnels des OPA qui « parfois se trouvent démunis » face à des situations complexes.

Contrôles administratifs : pression divisée par deux sur les règles des Gaec  

Dans une instruction technique parue au Bulletin officiel le 11 juin, le ministère de l’Agriculture annonce que la « pression de contrôle » sur le respect des règles des Gaec (groupements agricoles d’exploitation en commun) va être divisée par deux. Ainsi, les Gaec seront contrôles à ce titre « en moyenne tous les huit ans », contre quatre auparavant. Cette mesure émane des consultations menées par les préfets après les manifestations agricoles de cet hiver. Le ministère souligne que les Gaec déjà contrôlés « présentent un taux relativement faible d’anomalies » et que « les règles de fonctionnement des Gaec sont désormais bien connues ». Une seconde instruction technique à paraître précisera les modalités de contrôle (points de contrôle et pièces demandées). Pour rappel, les Gaec sont la seule forme sociétaire française à bénéficier de la mesure de « transparence » dans l’attribution des aides Pac, qui rend possible de les attribuer en prenant en compte chaque associé. Dans un Gaec, chaque associé doit participer effectivement à l’activité agricole sur l’exploitation et être chef d’exploitation, en co-responsabilité avec les autres associés.

Mal-être agricole : la MSA crée une aide au répit administratif  

La MSA annonce la création d’une aide au répit administratif, une première permettant de prévenir l’épuisement professionnel et le « burn-out administratif » des agriculteurs confrontés à une surcharge administrative exceptionnelle, dans un communiqué le 10 juin. Cette intervention à domicile est expérimentée dans quelques caisses du réseau, comme par exemple en Haute-Normandie ; elle sera progressivement étendue dans les mois qui viennent. Elle entre dans le cadre d’un renforcement de l’action de prévention du mal-être agricole décidé par le conseil d’administration. Ce plan prévoit la consolidation du réseau des 5.000 sentinelles, celle de la mise en œuvre du programme Inclusion et ruralité (accompagnement des structures d’insertion par l’activité économique en zone rurale dans le domaine de l’alimentation), l’accélération des programmes « Grandir en milieu rural » et « Bulle d’air » (service de répit à domicile pour les aidants de personnes âgées ou handicapées). Plus de 28 millions d’euros sont mobilisés en 2024 pour le fonds national d’action sanitaire et social et le fonds national de prévention de la Sécu agricole.