Corridor de la Mer Noire
L’accord est devenu caduc

Cédric Michelin
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Le Kremlin a mis ses menaces à exécution. L’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes qui expirait le 17 juillet à 23h59, a été suspendu. Cependant, rien ne dit qu’il ne pourra pas reprendre, « en temps voulu ». Si les conditions sont réunies, prévient Moscou.

L’accord est devenu caduc

Après maintes tergiversations, Moscou a décidé de ne pas reconduire l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes via la Mer Noire. La diplomatie russe avait de nombreuses fois brandi la menace d’y mettre un terme, systématiquement quelques jours avant l’arrivée de l’échéance. Ce fut le cas en novembre 2022, puis en mars dernier puis en mai. L’accord qui était initialement prévu pour 120 jours avait été réduit à 60 jours à partir du mois de mars. Le 18 juillet, l’accord est devenu caduc.

Points de crispations

Pourquoi sa reconduction a-t-elle capoté ? Pour trois raisons principales : Tout d’abord, parce que Vladimir Poutine se plaint d’entraves à ses propres livraisons de produits agricoles, notamment de l’exportation d’engrais. Il est vrai que l’accord du 22 juillet 2022 prévoyait de lever les obstacles à ces exportations, mais aussi de faciliter les transactions financières de la Banque agricole russe. Des points qui n’ont pas été respectés selon le Kremlin. Ensuite, Moscou exigeait la remise en service du pipeline d’ammoniac Togliatti-Odessa. Ce dernier qui acheminait 2,5 millions de tonnes d’ammoniac russe par an, depuis la région de la Volga jusqu’au port ukrainien de Pivdennyi, sur la mer Noire, a été endommagé début juin. Tant Kiev que Moscou se sont rejeté la responsabilité de sa destruction. Autre point de crispation : le fait que l’un des points saillants de cet accord, à savoir la livraison de céréales aux pays dans le besoin, notamment africains, ne pèse qu’une part minime : seulement 3 % des 32 millions de tonnes livrées par Kiev depuis un an, s’est épanché le 15 juillet le chef du Kremlin auprès de son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa. L’Union européenne conteste ce chiffre, estimant au contraire qu’il atteint 49 %.

Ces principales exigences ont été complétées par de nouvelles comme la reprise des livraisons de machines agricoles, celle des pièces détachées et des services ou encore la levée des restrictions sur l’assurance et la réassurance, etc. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a indiqué que « dès que la partie (des accords) concernant la Russie sera satisfaite, la Russie reviendra immédiatement à l’accord sur les céréales ».

Pays pauvres

Quelles pourraient être les conséquences de ce blocage ? Il faut tout d’abord s’attendre à un renchérissement des matières premières agricoles, notamment le blé et le maïs. Au début de la guerre en Ukraine, les cours avaient rapidement doublé. Les cours autour de 240 €/tonne au 15 juillet devraient immanquablement grimper, car la ressource sera moindre et les cours de transports (par voie ferroviaire) seraient plus longs et donc plus coûteux.

De plus, les pays de l’Est européen (Pologne, Hongrie, Roumanie…) sont excédés de voir leurs marchés inondés de céréales ukrainiennes. Ce qui pourrait raviver quelques tensions intra-européennes. Dès l’ouverture des marchés, les prix du blé tendre avaient déjà augmenté de +3,5 % à Chicago pour atteindre plus de 251 $/tonne, soit plus de 280 $/tonne au cours du 17 juillet. Mais, selon les experts, la hausse des prix devrait être contenue et ne pas atteindre les records de 2022.

Autre conséquence : selon les chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM), les céréales ukrainiennes nourrissent environ 400 millions de personnes dans le monde. Environ 64 % du blé a été exporté vers les pays en développement, tandis que le maïs a été exporté à part presque égales vers les pays développés et les pays en développement. La caducité de l’accord rendrait les exportations vers les pays les plus pauvres très compliqués. Déjà, l’ensemble des exportations de denrées alimentaires rendues possibles par l’accord a chuté d’environ trois quarts en mai 2023 par rapport à octobre 2022, car de plus en plus de compagnies maritimes ont renoncé à envoyer des navires sur des routes maritimes jugées dangereuses.

Une chose est certaine : cette décision de la Russie donne le signe d’un durcissement d’un conflit qui a déjà dépassé les 500 jours. L’objectif du Kremlin est d’assécher économiquement le peuple ukrainien. En le rendant dépendant des pays occidentaux qui le soutiennent militairement, Poutine trouve un argument supplémentaire pour montrer la connivence entre le bloc occidental et l’Ukraine. Ce qui lui permet aussi de justifier son « opération militaire spéciale » auprès de sa population.

Les premières réactions

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a « fermement » condamné « la décision cynique de la Russie de mettre fin à l’initiative céréalière de la mer Noire, malgré les efforts des Nations unies et de la Turquie. L’UE s’efforce de garantir la sécurité alimentaire des populations vulnérables de la planète », a-t-elle tweeté le 17 juillet.

Le président ukrainien, Volodmir Zelenski, a considéré « la Russie viole ses accords avec la Turquie et les Nations-Unies », a relaté dans un tweet, Sergii Nykyforov, un de ses proches conseillers. Nikolay Gorbachev, président de l’association ukrainienne des céréales, a déclaré à la BBC le même jour que ses membres avaient identifié d’autres moyens d’exporter les céréales, notamment par les ports du Danube.

De son côté, la Turquie a assuré : « que l’accord sur les céréales demeurera, même si la Russie s’en retire officiellement. La marine turque assurera la sécurité des couloirs pour les navires », a-t-elle fait savoir.

Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a jugé cette décision « irresponsable car elle perturbe l’approvisionnement en tout premier lieu des pays du Monde qui sont les plus dépendants des importations de céréales […] elle illustre une fois encore l’utilisation de l’alimentation comme une arme de guerre et dans les guerres », a-t-il déclaré sur Twitter.