Dégâts de corvidés en Bresse
« Chaque année, c’est de pire en pire ! »

Marc Labille
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En Bresse, les dégâts de corbeaux prennent une ampleur inquiétante, notamment sur les semis de maïs, culture dominante de la région. Pour les agriculteurs, la lutte contre ce nuisible s’avère extrêmement complexe. Le fléau est source de stress et de tension. Reportages.

« Chaque année, c’est de pire en pire ! »
« Sur la commune de Loisy, c’est 25 hectares qui ont du être re-semés au printemps dernier », témoigne Arnaud Cadot.

« Les dégâts de corvidés sont en explosion sur le canton », témoigne Arnaud Cadot, agriculteur en Gaec avec son frère à Loisy. « Sur la commune, 25 hectares ont dû être resemés au printemps dernier », poursuit-il. Les corvidés s’en prennent aux cultures de printemps : tournesol, maïs. Ils ont même déjà sévi en automne sur des semis de méteil, signale l’agriculteur qui a vu des corbeaux trier les graines de féverolles pour les manger.

Au printemps dernier, les frères Cadot ont moins perdu de maïs que d’habitude parce qu’ils avaient semé de bonne heure. Mais leurs collègues n’ont pas eu cette chance. « Si on sème tard, c’est foutu », confirme Arnaud. Et même semé précocement, il suffit d’un coup de pluie qui retarde la levée pour que les corbeaux viennent détruire le semis, complète l’agriculteur.

Plusieurs « corbeautières » incriminées

Face à ce fléau, les agriculteurs tentent de se protéger comme ils peuvent. Les corbeaux nichent par milliers dans des grands arbres comme ceux que l’on trouve dans des parcs jouxtant des châteaux. Trois « corbeautières » sont plus particulièrement incriminées dans le secteur : près du bourg de Loisy, vers le Cendre Eden de Cuisery et vers le Château de Montrevost, indique Arnaud Cadot. Au printemps dernier, malgré le confinement, des tirs dérogatoires de destruction ont pu être effectués avec l’autorisation de la DDT. « 200 corbeaux ont été éliminés à Loisy et 250 à Cuisery. Mais à cause du Covid-19, les tirs sont intervenus après la nidification or, habituellement, ils permettaient d’en prélever le double », explique Arnaud. La section céréalière avait pourtant fait de nombreuses demandes administratives, restées lettre morte (lire aussi encadré). Indiscutablement, le confinement a fait augmenter les dégâts, poursuit l’agriculteur qui signale aussi la difficulté de recruter des chasseurs pour éliminer des corbeaux. Chasseur lui-même, il sait bien que ses collègues détenteurs de permis ne sont pas friand de ce genre d’activité. Quant à lui, au moment où il faudrait tirer sur les corbeaux, il est en train de semer son maïs, fait-il remarquer. « Il faut des gens qui aient le temps. Et il faut un geste d’encouragement », confie l’agriculteur qui a préféré rémunérer ses tireurs 1 € par corbeau abattu.

Tirs, tonne-forts, pétards, épouvantails…

À part les tirs qui demeurent complexes à organiser « et qui n’éliminent jamais les adultes reproducteurs », les exploitants multiplient les parades pour tenter de faire fuir les corbeaux. Tirs d’effarouchement, tonne-forts, pétards, épouvantails… Près de leur ferme, les frères Cadot ont deux corbeautières. Ce sont des volières qui permettent d’attraper des corbeaux grâce à un appât vivant. Les premiers temps, ces pièges ont permis de prendre jusqu’à 250 corbeaux ! Mais les corvidés ont fini par comprendre le danger. « Ils ne se font plus prendre ! », se désole l’exploitant. Quant aux tonnes-forts - ces canons à gaz qui émettent des détonations, ils valent aux agriculteurs des plaintes en gendarmerie quand on ne leur vole pas les bouteilles de gaz ! « Les semences traitées sont efficaces à condition que les voisins n’en utilisent pas ! », explique Arnaud.  Car si tout le monde sème avec des semences traitées, « les corbeaux finiront bien par les manger malgré tout ! », poursuit l’agriculteur qualifiant le scénario d’Hitchcockien... Parfois, les victimes en sont réduites à devoir faire des rondes en voiture pour aller effaroucher les oiseaux !... qui s’envolent un peu plus loin poursuivre leurs méfaits.

Préjudices économiques et moral

Dans les exploitations d’élevage, le préjudice lié aux dégâts de corbeaux pèse sur le stock fourrager pour alimenter les animaux. En grandes cultures, un agriculteur bio du secteur, qui ne peut pas recourir à des semences traitées, a perdu 10 ha de tournesol et 5 ha de maïs après avoir resemé plusieurs fois. Sur leur exploitation, les frères Cadot ont carrément arrêté de cultiver du maïs sur certaines parcelles trop exposées aux dégâts. Une décision économiquement délicate quand l’assolement comprend 90 hectares de maïs…

Le phénomène concerne les communes de Huilly-sur-Seille, Simandre, Labergement, Cuisery, Loisy, Brienne, Jouvençon. Même les riverains des bourgs commencent à se plaindre des corbeaux trop nombreux dans ce secteur. Mais cela n’empêche pas les plaintes contre le bruit des tonnes-forts, déplore Arnaud qui ajoute que ces dégâts de corbeaux sont une source supplémentaire de conflits, de tensions, de stress.

Guillaume Chaumont à Saint-Germain-du-Plain : « c’est démoralisant »
« Sur la campagne 2019, nous avons estimé la perte à environ cinq quintaux par hectare soit un total de 300 quintaux de manque à gagner sur notre exploitation », estime Guillaume Chaumont.

Guillaume Chaumont à Saint-Germain-du-Plain : « c’est démoralisant »

La famille Chaumont s’est équipée de son premier canon effaroucheur en 1999. C’était à l’époque pour lutter contre les dégâts d’oiseaux sur tournesol. Les corvidés, les pigeons, les limaces et l’ambroisie ont fini par avoir raison de cette culture sur l’exploitation. Mais les dégâts ont ensuite gagné les maïs au point qu’aujourd’hui, Guillaume Chaumont avoue être littéralement angoissé à chaque fois qu’il doit semer cette céréale de printemps. Les dommages concernent désormais les sept communes que couvre l’exploitation (Saint-Germain-du-Plain, Baudrières, Saint-Christophe-en-Bresse, Ouroux-sur-Saône, Tronchy, Saint-Étienne-en-Bresse…). L’an passé, les corvidés s’en seraient même pris à des semis d’épeautre emblavés avec des semences non traitées. Guillaume et son père voient désormais les corneilles arriver dans les champs derrière la moissonneuse ! Au point qu’on les soupçonne de s’attaquer aux grains de blé murs sur les céréales versées…

Maïs saccagés

« Chaque année, mon père parcourt les champs avec le semoir pour resemer là où il manque des grains. Au printemps dernier, nous avons resemé l’équivalent de trois hectares sur les 65 ha de maïs que nous cultivons. En 2019, nous avons même dû effectuer deux resemis consécutifs sur une même parcelle ! », confie Guillaume. Les corvidés mangent les semences de maïs « par petits carrés » disséminés partout dans la parcelle. La décision de resemer n’est pas évidente et le semoir six rangs de l’exploitation ne permet pas de ne semer que là où il manque des grains. Du coup, des tronçons en double rangs apparaissent par endroit et les pieds de maïs en doublon se gênent dans leur croissance… « Avec deux voire, trois dates de semis différentes dans un même champ, on se retrouve avec des stades de plantes très hétérogènes », déplore Guillaume qui n’a d’autre choix que d’ensiler ces parcelles endommagées.

Remèdes de moins en moins efficaces

Si les dégâts semblent être le fait de petits groupes d’oiseaux assez « sournois » -(des corneilles vraisemblablement), leur impact est de plus en plus important et les remèdes malheureusement de moins en moins efficaces, se désole Guillaume. L’exploitation est équipée désormais de cinq canons à gaz ainsi que d’effaroucheurs sonores. Bruyants, ces dispositifs suscitent des plaintes de la part des riverains quand ils ne font pas l’objet de vols… Dans un secteur où l’habitat dispersé envahit les terres, les agriculteurs sont même obligés d’enlever certains dispositifs effaroucheurs chaque soir pour ne pas déranger le voisinage… Les chasseurs interviennent, mais le parcellaire rend les tirs délicats et les tireurs sont en sous-effectif, regrette Guillaume qui estime qu’il faudrait des battues de grande ampleur sans quoi les oiseaux s’échappent d’un territoire à l’autre. En prime, le confinement a retardé l’intervention des chasseurs.

« Sur la campagne 2019, nous avons estimé la perte à environ cinq quintaux par hectare soit un total de 300 quintaux de manque à gagner », calculent Guillaume et Jean-Yves Chaumont. À cela il faut ajouter cinq à six doses de semences de maïs supplémentaires, le temps de travail pour le semis, la surveillance des dégâts et la maintenance des canons… « C’est démoralisant », conclut Guillaume.

Un plan de lutte très attendu

Au mois de juin dernier, sous l’impulsion de Cédric Tissot, représentant la FDSEA, les agriculteurs du secteur avaient organisé une visite de leurs parcelles endommagées avec la présidente de la Fédération Départementale des Chasseurs. La réunion avait eu lieu à Saint-Germain-du-Plain sur des parcelles de Guillaume Chaumont et une discussion devait déboucher sur des propositions pour cet automne. Les agriculteurs bressans attendent beaucoup d’un plan de lutte contre les dégâts de corvidés.