Solutions contre les sanctions Trump
Plus ou moins « rapides »

Cédric MICHELIN
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La pression est montée crescendo. Face aux sanctions américaines alourdies sur le vin français notamment, la profession agricole et viticole a su manœuvrer pour obtenir des « solutions rapides » normalement, tant côté État français qu’Europe. En attendant et en espérant que l’administration Biden revienne à des relations commerciales plus apaisées sur ce conflit Airbus-Boeing qui ne concerne pas la filière viticole. Et avant que la taxe Gafa française ne fasse reparler d’elle…

Plus ou moins « rapides »

Le 7 janvier, aucune mesure n’avait été décidée lors d’une nouvelle rencontre qui a eu lieu entre plusieurs ministères (Bercy, Agriculture) et responsables agricole et viticole face aux sanctions américaines alourdies sur le vin français. Mais rendez-vous était pris « dès la semaine prochaine » pour mettre au point « des solutions rapides pour préserver la compétitivité » des produits et des entreprises sur ce marché-clé des États-Unis. Cabinets ministériels et professionnels ont alors travaillé sur « un soutien aux opérateurs, producteurs et négociants, de la filière française des vins et spiritueux ». Le sujet d’un fonds de compensation a alors été évoqué par les professionnels. Mais les ministères voulaient s’assurer avant qu’un tel fonds ne serait pas considéré comme une aide déguisée. Jérôme Despey, président du conseil spécialisé viticole à FranceAgriMer et vice-président de la FNSEA, estimait que la mesure prise ces derniers mois par Bruxelles pour donner plus de flexibilité aux exportateurs à leur promotion aux États-Unis ne suffisait pas : « on ne répond pas à une perte d’un milliard d’euros avec une mesure de flexibilité. Nous sommes à un stade où les entreprises du secteur risquent la faillite et où le premier pays exportateur de vin vers les USA est en train de s’effacer ». C’est le cas en Bourgogne où le pays de l’Oncle Sam est son premier acheteur étranger, talonné par le Royaume-Uni en plein Brexit…

Une rallonge de 10 M € pour le stockage

Le 13 janvier, nouvelle rencontre entre les trois ministres de l'Économie (Bruno Le Maire), de l'Agriculture (Julien Denormandie) et du Commerce extérieur (Franck Riester) et la profession viticole. Pour faire face aux sanctions douanières américaines, une rallonge de 10 M€ pour le stockage est annoncée. Cette rallonge - qui s’ajoute aux 40 M€ déjà octroyés ces derniers mois au titre du stockage pour éviter des surplus - « est une réponse à la crise sanitaire, mais pas au préjudice que subit la filière pour un conflit qui lui est étranger », fustigeait dès lors Jérôme Despey à l’issue de la rencontre. « Nous constatons l’incapacité de nos interlocuteurs à répondre concrètement aux questions posées », concluaient ensemble Jérôme Despey et César Giron, président de la FEVS, dans un communiqué commun. À ce stade, la filière redoutait clairement un manque d’envergure des solutions face au conflit Airbus. D’autant plus qu’au niveau européen, la Commission européenne semblait « fermée à tout échange sur ce sujet », critiquaient la FEVS (exportateurs), le négoce et toutes les fédérations de la production, y compris celle du cognac. « Ce contentieux euro-américain n’est pas le nôtre mais depuis plus d’un an, nous payons à la place d’Airbus. Cela doit cesser », déclarait fort justement César Giron, président de la FEVS. Non compensées, les pertes reviendraient à rayer de la carte le vignoble de Provence ou de l’Occitanie, prenait-il comme exemple frappant.

L’Europe se réveille sur le tard

Secoués, une soixante d’eurodéputés, avec à leur tête la Française Irène Tolleret, appelaient la Commission européenne, dans une lettre, à mettre en place un fonds de compensation destiné à tous les secteurs agroalimentaires affectés par les sanctions américaines depuis octobre 2019. « Il est temps que l’UE vienne en aide aux producteurs agroalimentaires, comme elle a fait, il y a quelques années, à la suite de l’embargo russe », insistait Irène Tolleret, co-présidente de l’Intergroupe Vin du Parlement et membre de la commission de l’Agriculture. Tout en regrettant amèrement qu’aucun soutien financier n’ait encore été adopté pour compenser les pertes liées aux différends commerciaux. 
Dans la foulée, Le ministre français des Affaires étrangères suggère a minima le 17 janvier un « moratoire » sur le bras de fer commercial entre les États-Unis et l'UE, estimant qu'il permettrait de régler un « dossier qui empoisonne tout le monde ». « Ce dossier empoisonne tout le monde, avec la surenchère tarifaire et des taxes sur l'acier, le numérique, Airbus et plus singulièrement notre secteur viticole », analysait-il. Cherchant une méthode pour régler cet engrenage qui peut prendre du temps, « en attendant, on peut toujours décréter des moratoires ». Car en effet, un autre conflit, celui de la taxe française sur les géants du numérique (dite Gafa), laisse depuis plus d'un an planer la menace de nouveaux droits de douane de 100 % sur certains produits français, comme les fromages, produits de beauté ou sacs à main.

Fonds de solidarité renforcé

En parallèle, la France via le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire a entre temps annoncé, le 14 janvier, plusieurs mesures de renforcement des aides pour les entreprises fournissant la restauration hors domicile, avec un assouplissement particulier pour les viticulteurs. Jusqu'ici plafonné à 10.000 euros, l'aide du fonds de solidarité pour ces entreprises pourra être calculée en pourcentage, « à hauteur de 20 % de leur chiffre d’affaires 2019 dans la limite de 200.000 euros par mois », pour les structures perdant plus de 70 % de chiffre d'affaires (sans limite de nombre de salariés désormais). Le secteur du vin pourra en bénéficier dès -50 % de chiffre d'affaires. Ce même secteur bénéficiera de la prise en charge des coûts fixes réservée aux secteurs fermés administrativement (hôtels, restaurants...), jusqu'à 3 M€. Le gouvernement a voulu faire « un effort particulier » pour les viticulteurs, a expliqué Bruno Le Maire. « J'espère que cela aidera les viticulteurs à passer ces moments difficiles », a déclaré le ministre, qui a ajouté que le gouvernement poursuivait ses efforts pour obtenir « le soutien de la Commission européenne avec un fonds de compensation ».
Bien que ces dossiers soient différents, la filière a salué ces premières réponses face aux sanctions américaines. D’une part, « l'aménagement du fonds de solidarité (...) va permettre à des exploitants viticoles de bénéficier d'un soutien bienvenu dans le contexte de la crise sanitaire », commentait Jérôme Despey. D’autre part la mesure de prise en charge partielle des charges fixes des entreprises « paraît pouvoir offrir un soutien aux opérateurs de notre secteur touchés par les sanctions américaines », complétait César Giron, estimant toutefois « nécessaire d'en connaître davantage les détails afin d'en mesurer la portée réelle ». « Nous avons également noté l'engagement du ministre à poursuivre son action à Bruxelles », ont ajouté conjointement les deux dirigeants. « Nous souhaitons maintenant poursuivre le travail commencé depuis dix jours, pour approfondir l'examen des mesures présentées hier et construire une stratégie partagée vis-à-vis de l'UE », ont-ils conclu. Affaires à suivre...