Présidence de l’Europe
Les enjeux de la présidence du Conseil de l’Union européenne

Depuis janvier 2022 et pour les six prochains mois de l’année, la France prend la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Quels seront les pouvoirs et les orientations politiques du président Macron, notamment dans le domaine de l’agriculture ? L’élection présidentielle et les élections législatives auront lieu au mois d’avril et juin suivants. Comment le président de la République va-t-il gérer ce calendrier commun ? Éléments de réponse.

Les enjeux de la présidence du Conseil de l’Union européenne
Jean-Marie Séronie

C’est une présidence particulière pour laquelle Emmanuel Macron devra endosser une nouvelle casquette : celle du Conseil de l’Union européenne. Pour la treizième fois depuis les années 1950, la France a en effet pris la présidence tournante de cette institution européenne qui réunit les 27 États membres et est chargée d’amender et d’approuver chaque projet législatif, la plupart du temps en codécision avec le Parlement européen. La présidence du Conseil de l’Union européenne est assurée, à tour de rôle, par chaque État membre selon un calendrier bien établi. Le programme de travail d’une présidence est élaboré sur 18 mois par les trois États (le trio) qui assurent successivement la présidence. La France travaille ainsi conjointement avec la République tchèque qui assurera le second semestre 2022 et la Suède, en charge du 1er semestre 2023.

Quels pouvoirs pour Emmanuel Macron ?

« Le président du Conseil de l’Union européenne a la main sur l’ordre du jour et élabore les propositions de compromis », explique Jean-Marie Séronie, agroéconomiste indépendant. Dans les faits, même si elle n’a pas totalement les mains libres puisque tenue à un devoir de neutralité, cette présidence confère à son titulaire la maîtrise de l’agenda et des choix de dossiers à traiter en priorité.
« La présidence peut avoir un rôle d’accélérateur mais elle s’inscrit aussi dans un paquebot déjà en route avec des missions tracées par les précédentes présidences. Rappelons-nous de la présidence allemande (second semestre 2020) : Angela Merkel avait extrêmement bien ficelé ses six mois mais le plan de relance était venu chambouler quelque peu son programme », précise-t-il.
La France n’aura de toute manière aucune véritable négociation majeure à finaliser comme cela avait pu être le cas de l’Allemagne avec le cadre financier pluriannuel.

Les priorités françaises

Pour l’Hexagone, les priorités devraient tourner autour de la relance post-Covid, de la souveraineté européenne, numérique notamment, ou encore de la réforme des accords de Schengen sur l’asile et l’immigration. « Politiquement, la France est très ardente sur la question de la souveraineté, une question avec laquelle les pays de l’Europe du Nord sont nettement moins à l’aise et bien plus sceptiques. Il y aura sans aucun doute des coalitions qui vont se former et qui risquent de compliquer la tâche d’Emmanuel Macron », explique l’agroéconomiste.
Pour autant, Paris souhaite dégager un consensus européen sur la question des clauses miroirs afin de donner des perspectives aux présidences suivantes. Alors que l’Union européenne envisage de se doter de nouvelles exigences environnementales dans le cadre de la stratégie "De la ferme à la table", l’objectif de la France est de protéger les productions agricoles de l’Union européenne face à des importations ne respectant pas les mêmes normes. En réalité, soulignent de nombreux experts, cette mesure présentée comme phare par le gouvernement est déjà bien avancée au sein de la Commission européenne avec des discussions engagées dès 2018 autour du Green Deal qui pourrait se concrétiser sous la présidence française. Notons aussi qu’Emmanuel Macron aura en charge la mise en place des plans stratégiques nationaux et la négociation opérationnelle de la Pac 2023-2027.

« L’agenda est très chargé et tous ces sujets ne pourront pas se régler sous la présidence française, tout comme l’interdiction du glyphosate prévue fin 2022 », tempère Jean-Marie Séronie.

Le hasard du calendrier

La fenêtre de tir dont dispose Paris pour imposer ces sujets politiques sera très restreinte. Avec un premier tour de l’élection présidentielle prévu le 10 avril et un second tour le 24 avril, suivis des élections législatives qui auront lieu les 12 et 19 juin, « il ne reste que deux mois et demi pour faire le boulot », convient l’eurodéputé Jérémy Decerle, issu des rangs de la majorité présidentielle.

Pourquoi alors cette présidence française se retrouve-t-elle programmée en pleines élections ? En vertu du calendrier initial, c’est le Royaume-Uni qui aurait dû assurer la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Mais à la suite du référendum qui a conduit au Brexit, les échéances ont dû être décalées de six mois et la France, qui devait normalement assurer sa présidence au second semestre 2022, s’est retrouvée à devoir en assumer la charge au premier semestre. Pour de nombreux experts, la France aurait dû, en raison de l’incertitude autour de l’identité du futur locataire de l’Élysée, échanger sa présidence du Conseil de l’Union européenne avec un autre pays. Le président Macron a lui fait le choix inverse et a décidé de se servir de cette présidence européenne pour doper sa probable campagne de réélection en France.
Alison Pelotier avec Agrapresse

« L’équipe de France agricole doit faire passer des messages »

« L’équipe de France agricole doit faire passer des messages »

Élu député européen (liste Renaissance portée par LREM) après avoir présidé le syndicat Jeunes agriculteurs (JA), Jérémy Decerle voit dans la présidence française du Conseil de l’Union européenne l’opportunité de faire converger les vingt-sept sur plusieurs dossiers stratégiques. Entretien.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) va coïncider avec l’élection présidentielle (10 et 24 avril 2022). Ce hasard du calendrier vous paraît-il problématique ?
Jérémy Decerle : « Il n’y a pas de question de cet ordre-là à se poser. Peu importe si cette présidence va tomber pendant la campagne présidentielle française, l’essentiel est de profiter de cette opportunité. L’évènement est suffisamment rare pour en saisir toute la portée. Pendant six mois, l’administration française va avoir ce souci de répondre aux sujets européens, et on sous-estime souvent la portée d’un tel évènement. Cela représente une responsabilité énorme, mais aussi un moyen d’ancrer un certain nombre de messages. »

Comment se prépare cette présidence française du Conseil de l’Union européenne ?
J. D. : « Il y a déjà eu des rendez-vous entre les ministres français à Bruxelles et Strasbourg. Pour préparer la PFUE, la France a également consulté la République tchèque et la Suède, les deux pays qui lui succéderont, pour élaborer des objectifs communs. Chaque pays met ensuite en avant ses propres priorités pour six mois. L’administration française à Bruxelles est en échange permanent avec les députés, comme sur les clauses miroirs qui font désormais l’unanimité auprès des groupes politiques. Pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, il s’agira de dégager une ou deux autres priorités sur lesquelles nous sommes tous d’accord : la démographie avec le renouvellement des générations, la structuration de filières ou encore l’organisation des marchés. L’équipe de France agricole doit faire passer des messages et le ministre de l’Agriculture en sera son capitaine. »

Quels sont les dossiers agricoles qui doivent être prioritairement défendus ?
J. D. : « Le président de la République, Emmanuel Macron, connaît bien les enjeux européens et notamment au niveau agricole. La France a aujourd’hui toutes les cartes en main pour défendre l’agriculture. Parmi les principaux enjeux, obtenir la réciprocité dans le commerce est une priorité majeure. La présidence française doit inscrire cette nécessité de manière plus franche dans le cerveau européen. Le caractère du juste échange doit devenir une règle, c’est ce qu’on appelle les clauses miroirs. Les questions agricoles et alimentaires doivent pouvoir être traitées dans un cadre dédié pour avoir de la réciprocité. L’une des priorités du ministre de l’Agriculture est notamment de mettre en place des clauses miroirs sur la limite minimale de résidus de pesticides et antibiotiques. »

Comment parvenir à faire aboutir ces dossiers ?
J. D. : « Il y aura deux étapes importantes. D’abord pour la Pac, il y aura dans le texte législatif de l’organisation commune de marché (OCM), une déclaration commune des trois institutions européennes s’engageant à une meilleure prise en compte des normes environnementales européennes et à une réciprocité effective. Inscrire cela dans les textes législatifs est un pas important. Nous savons que si aujourd’hui, le dossier de libre-échange avec le Mercosur était soumis au vote, le Parlement européen serait contre. Maintenant, il s’agit de profiter de cet alignement des planètes pour amener le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne à débattre sur ces sujets.
La France pourra profiter de son pouvoir pour amener des positions, poser des jalons, donner le tempo des rendez-vous importants et in fine, nous l’espérons tous, influencer davantage. »

Quels sont les alliés de la France pour avancer sur cette réciprocité des normes ?
J. D. : « Les ministres de l’Agriculture de l’Espagne et de l’Autriche sont plutôt de notre côté. Au sein du Parlement européen, nous pouvons aussi aller chercher les Néerlandais. Jusqu’ici, les Allemands étaient peu partisans de ces contraintes mais avec la nouvelle coalition intégrant des écologistes, et notamment à la tête du ministère de l’Agriculture, ils pourraient devenir des alliés de poids. Ce qui est positif pour nous, c’est que le problème de réciprocité des normes est désormais clairement identifié. Au moment du débat sur le Ceta (accord de libre-échange avec le Canada), le doigt a d’ailleurs été mis sur cette concurrence déloyale. »
Propos recueillis par Sophie Chatenet