Philippe Chotteau, Idele
Quelles sont les opportunités pour l’élevage allaitants ?

Marc Labille
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Le 9 décembre dernier, Philippe Chotteau était à Charolles invité de l’assemblée générale d’Avéal. À l’aube de 2022 et alors qu’entre en vigueur la nouvelle Pac, l’économiste de l’Idele (Institut de l’Élevage) a livré sa vision pour l’avenir de l’élevage.

Quelles sont les opportunités pour l’élevage allaitants ?
Si le marché est somme toute porteur pour la viande bovine et qu’il y a sans doute des espoirs dans la reconquête de l’autonomie protéique, l’économiste Philippe Chotteau s’inquiète de l’absence « de signaux pour stopper la décapitalisation ».

Invité de la dernière assemblée générale de la coopérative Avéal en décembre dernier, le chef du département économie de l’Institut de l’Élevage a donné un éclairage fort utile en cette période de bouleversement. En effet, le bassin charolais s’apprête à affronter un nouveau système d’aide, mais aussi à subir les conséquences du Pacte Vert, sorte de défi environnemental imposé par l’Europe, sans oublier le plan de relance protéique. Tout cela intervenant dans un contexte de marché perturbé, avec une flambée des prix des matières premières, un revenu trop bas depuis des années, une décapitalisation sans précédent et une démographie des éleveurs inquiétante.

La décapitalisation des élevages sévit depuis cinq ans, débutait ainsi Philippe Chotteau qui pointait aussi l’érosion démographique des éleveurs spécialisés avec le spectre d’ici 2030 du départ en retraite de la moitié des actuels chefs d’exploitation… Dans dix ans, on devrait avoir perdu 600.000 vaches allaitantes en France et 200.000 rien que pour le nord Massif Central, poursuivait-il. Le bassin charolais est bien concerné par cette décapitalisation et la première des races à viande perdrait même plus que les autres (- 14 % en dix ans), indiquait l’expert.

Les abattages se maintiennent

Bien que la consommation de viande bovine soit en baisse, la demande en viande bovine française résiste et le volume des abattages se maintient malgré tout. Ce sont les volumes d’importation qui diminuent. À noter que dans un contexte de baisse du cheptel de production viande et lait, ce sont les animaux de la décapitalisation qui approvisionnent ce tonnage abattu, faisait remarquer Philippe Chotteau. Dans les actes d’achat, l’origine locale semble rassurer encore plus que le bio et la vente directe est en plein essor. Autre tendance lourde, la part de la viande hachée a progressé de + 13 % entre 2017 et 2020. Avant le Covid, plus d’un tiers des carcasses bovines passait en haché. Une part qui a augmenté depuis et qui fait dire à l’économiste de l’Idele que la problématique du poids de carcasse perd de son importance, vu que de moins en moins de pièces de viande sont mangées entières. À ce propos, Philippe Chotteau révélait que la charolaise était celle qui s’était le moins alourdie depuis dix ans.

Opportunités sur le marché allemand

Si la moitié des mâles produits continue d’être exportée en broutards, on relève une montée des exportations de broutardes, et ce en dépit de la demande en femelles de viande, pointait l’expert. L’Italie demeure le principal débouché des broutards français et les flux vers les pays tiers se maintiennent. Dans la viande, Philippe Chotteau évoquait de nouvelles perspectives sur le marché allemand, lequel délaisserait les viandes de porcs perçues comme très industrielles au profit du bœuf bénéficiant d’une image plus vertueuse. Mais cette demande est assortie d’exigences et de cahiers des charges (non OGM, bien-être animal, etc.).

Pour compléter ce tableau, l’économiste évoquait l’explosion des prix : énergie, lubrifiants, matériel, bâtiments, fret… L’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (Ipampa) est en hausse de + 10 %. À cela s’ajoute la hausse du prix des engrais, l’envolée historique du prix des oléagineux et celles des tourteaux non OGM… Tout cela tandis que, « comme d’habitude, le prix de la viande ne suit jamais ! », reconnaissait Philippe Chotteau. Si bien que le revenu des éleveurs reste « mauvais » depuis sept ans, avec un prix qui ne couvre pas le coût de production, convenait l’intervenant. Une injustice que les ÉGAlim tentent de réparer, avec notamment l’instauration de la contractualisation.

Une Pac pas favorable aux bovins allaitants

C’est dans cette situation difficile qu’intervient la nouvelle Pac dont la mise en place s’annonce « très compliquée ». En dépit d’un « budget relativement sauvé », les éleveurs subiront une Pac qui n’est « pas favorable aux bovins allaitants », synthétisait Philippe Chotteau. D’ailleurs, l’économiste de l’Idele révélait qu’avec ces nouvelles aides en baisse, le prix de revient au kilo d’une vache de réforme passerait de 5,10 € à 5,24 €. Un effort énorme devra donc être fait sur la rémunération du produit… De fait, avec la nouvelle Pac, les éleveurs allaitants perdront entre – 11 et – 30 % sur les aides couplées. Avec l’instauration d’un nouveau plafond, « le système n’incitera plus à capitaliser individuellement », si bien qu’une érosion du cheptel est attendue, estimait l’expert. Dans le même temps, les protéines végétales seront favorisées. Un paiement vert voit le jour basé sur un système d’éco-régimes. En clair, les éleveurs auront-ils intérêt à aller chercher ces nouvelles aides vertes ? Lesquelles peuvent passer par l’application du plan protéines végétales (lire encadré).

La course au toujours plus, c’est fini !

Au terme de cet exposé, Philippe Chotteau retient tout de même « un marché porteur ». En outre, le bovin français bénéficie de « sa bonne image ». Pour les éleveurs, l’économiste voit aussi « des perspectives dans la reconquête de l’autonomie protéique ». Mais a contrario, « on ne voit pas de signaux pour stopper la décapitalisation », poursuivait Philippe Chotteau qui redoute un attrait accru pour les grandes cultures. Et puis, l’ombre des accords de libre-échange plane toujours, complétait-il. Une chose semble en tout cas acquise : la course à la productivité avec une génétique qui visait le seul alourdissement, « c’est fini », estimait l’économiste. Les enjeux environnementaux, sociétaux et la Pac semblent en effet opérer une rupture. Désormais, on irait vers des systèmes plus diversifiés… Dans les systèmes d’élevage, il faut désormais « travailler la productivité physique », incitait l’expert qui cible le nombre de veaux sevrés par vache, l’âge au premier vêlage, l’intervalle vêlage-vêlage. De la génétique, on attend qu’elle améliore la pénibilité du travail : vêlage, qualités maternelles, etc. Car il faut aussi soigner l’attractivité du métier, rappelle l’économiste. Enfin, la qualité des produits est essentielle puisqu’il faut tenir compte plus que jamais des attentes des consommateurs, aussi contradictoires et farfelues soient-elles… Dans la continuité de la qualité, l’avenir de l’élevage passe aussi par une revalorisation du prix de vente de ses produits. Enfin, devant les adhérents majoritairement charolais d’Avéal, Philippe Chotteau assurait qu’il n’y avait « aucune raison d’aller chercher l’angus… ». En effet, pour lui, les races françaises ont toutes de quoi s’adapter grâce à leur diversité intrarace.

 

 

Aller chercher de la protéine…

Sur la question de l’autonomie alimentaire, la France a pour objectif de doubler sa surface d’oléo-protéagineux et sa surface fourragère, indiquait Philippe Chotteau. Un objectif sur lequel planche l’Institut de l’Élevage en menant des travaux sur l’autonomie protéique des élevages. Nombre de ces essais sont d’ailleurs menés à la ferme expérimentale de Jalogny, signalait l’expert. De ces travaux ressort qu’il faut développer la finition des animaux au pâturage, récolter des fourrages plus riches (fauches précoces), tout cela visant à limiter les achats de protéines. Il y a aussi un besoin en recherche sur les semences fourragères, pointait le représentant de l’Idele qui évoquait aussi « un problème de communication pour toucher le plus grand nombre d’éleveurs ». 

Avec le Pacte Vert, une baisse de production de -10 %...

Dans son intervention, Philippe Chotteau a fait allusion au fameux Pacte Vert (Green Deal) de la Commission européenne, ambitieux programme destiné à rendre l'Europe climatiquement neutre en 2050… Ses objectifs sont : 10 % de surface à Haute valeur environnementale (HVE) ; - 50 % dans l’usage des produits phytosanitaires ; + 25 % des surfaces en bio ; etc. Selon les simulations, ce programme vert entrainerait une baisse de production de – 10 % ; une augmentation des prix de l’alimentation pour une baisse des émissions de gaz à effet de serre de – 20 % (au lieu de 30 % espéré). Pour répondre à ce Pacte, l’Idele développe des outils tels Cap2ER et Life Beef Carbon… Il s’agit d’évaluer les systèmes d’élevage au regard du carbone, de l’eau, etc. La bonne nouvelle, concluait Philippe Chotteau, c’est que « la meilleure performance économique va vraiment de pair avec une performance environnementale ».