Villefranche-sur-Saône
La tradition des conscrits et des classes à la lettre

Emmanuelle Perrussel
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Chaque année, des fêtes s’organisent dans de nombreuses communes du département, à l’occasion de la fête des classes et des conscrits.

La tradition des conscrits et des classes à la lettre

La conscription était jadis un événement majeur dans la vie d’un garçon, comme le retrace Mme Espejo, présidente de l’association du Patrimoine de Courzieu dans la préface du livret Courzieu, un siècle de classes. Au XIXe siècle, elle était source d’inquiétude pour les familles car le fils pouvait être tiré au sort pour un service de plusieurs années. Et pour ne pas partir, il fallait alors trouver et payer un remplaçant apte. Plus tard, le temps est venu du service militaire obligatoire pour les 20 ans et le fameux conseil de révision où après un examen approfondi on était (ou non) déclaré bon pour le service. Puis à la fin du XXe siècle, le service obligatoire disparaît, la tradition de la fête des conscrits et des classes demeure elle…

L’ampleur d’une fête

Au cœur de Calade, à Villefranche-sur-Saône, la tradition des conscrits est telle que la marque Conscrits ® a même été déposée. Voici un aperçu du programme qui n’a pas changé depuis des décennies.

Chaque dernière semaine de janvier, la fête bat son plein après des mois de préparation par les associations de conscrits. Le programme s’étale sur environ huit jours et donne lieu à un planning très précis. C’est du sérieux !

Avant-dernier dimanche de janvier : cérémonie de remise des drapeaux aux 20 ans, puis grand-messe à Notre Dame des Marais avec bénédiction des drapeaux

Vendredi suivant : visite aux conscrits handicapés, retraite aux flambeaux (thème différent chaque année) clôturée par une aubade des classards devant la mairie et remise solennelle des clés de la Ville au président des "20 ans"

Samedi suivant : le matin, cérémonie au cimetière et dépôt de gerbes sur les tombes des conscrits défunts suivi de la visite aux conscrits en foyer résidence et à l’hôpital ; l’après-midi, visite aux conscrites, par petits groupes, pour la remise de la traditionnelle cocarde accompagnée du bouquet œillets-mimosas.

Dernier dimanche de janvier : réveil de la population par deux trompettes qui se rejoignent au centre de la rue Nationale. Puis, réveil "en musique" des présidents de classe par une délégation. Ensuite, photos souvenir des groupes de conscrits (quand cela n’est pas déjà fait le samedi). À 11 h, défilé de la vague. Puis, grands banquets suivis de soirées dansantes.

Lundi : repas (appelé le "retinton"). Le soir, enterrement de la classe.

Mardi : "super retinton". Le soir, restitution des clés de la Ville.

N.B. : tous les midis, chaque classe tente de reprendre des forces dans un bon restaurant de la région.

 

Extraits de Les Conscrits de Villefranche en Beaujolais de J.-J. Pignard (Éditions de Trévoux / SME)

Légende :

-conscrits Villefranche1 : Chaque dernière semaine de janvier, la fête bat son plein et s’étale sur environ huit jours. (Crédit : Mairie de Villefranche / Service communication)

Rencontres et festivités :  Des agriculteurs à la retraite témoignent.

Ce n’est pas Odile et Guy Cabaussel, éleveurs laitiers à la retraite de Courzieu, qui diront le contraire. Sur leur commune, la prochaine fête des classes se prépare déjà. « Dès l’hiver, les conscrits de l’année s’organisent pour la fête qui se déroule en mai. Des réunions ont eu lieu pour préparer la messe, le défilé, trouver une clique ou une fanfare, choisir le traiteur… », explique Odile qui est de la classe en 4, donc concernée par la fête du 5 mai prochain. Guy, quant à lui, fait partie de la classe en 2 et ses conscrits remontent donc à 2022. « Le programme est chaque année le même : d’abord la vogue organisée en septembre par les jeunes âgés de 19 ans. Puis au mois de mai, la fête des classes se déroule sur une journée : une messe le matin suivie des traditionnelles photos par décade et en groupe. Tous les membres d’une classe portent un chapeau et une cocarde. Leur couleur varie en fonction de la décade : blanche pour les bébés de l’année, verte pour les 20 ans, jaune pour les 30 ans, etc. Après avoir posé devant le photographe, place au défilé dans les rues du village décorées des banderoles de chaque classe. Le défilé, au rythme de la fanfare, est emmené par deux chars : le premier est celui des 19 ans c’est le char des balais, le second est le char des biberons avec les jeunes de 18 ans déguisés en bébés. Le vin d’honneur est ensuite servi pour tous les habitants et précède le repas des conscrits à la salle polyvalente. Une soirée dansante avec davantage d’invités vient clôturer cette journée très chargée », retrace Guy.

Aux dires des Cabaussel, la tradition est toujours bien respectée à Courzieu. Et la fête des classes est un bon moyen d’intégrer les nouveaux arrivants et de retrouver ceux qui ont quitté le village pour aller vivre ailleurs. « C’est une occasion de revoir les gens qu’on n’a pas vus depuis longtemps et c’est intergénérationnel puisque les anciens côtoient les jeunes. C’est un grand jour pour Courzieu, comme la fête de la fraise qui a fait son grand retour en 2023. La fête des classes est joyeuse, festive et on sent bien l’esprit de communauté ! », concluent-ils.

Une organisation bien ficelée

À Claveisolles aussi chaque année, il règne une ambiance très chaleureuse, fin avril. Paul Martin ancien agriculteur double actif et membre du conseil d’administration de la section départementale des anciens exploitants (SDAE) est intarissable sur le sujet. Il a été président des classes en 1988 et n’a raté aucun de ses conscrits. Il fait désormais partie du comité des fêtes et participe au service du vin d’honneur chaque année. « Être conscrit avec quelqu’un ça crée des liens, souvent on se connaît depuis l’enfance et on a vécu des choses particulières ensemble. On apprécie ensuite de se retrouver pour la fête des conscrits pour partager de bons moments ! », explique-t-il.

Sur la commune du haut Beaujolais, une organisation bien ficelée s’est mise en place il y a une quinzaine d’années. « Ce sont les conscrits de l’année à venir qui proposent d’abord un bal et une buvette puis un repas dansant en novembre et un saucisson-pommes de terre en mars afin de récolter des fonds pour la fête à venir. Plusieurs réunions sont prévues en amont pour préparer l’événement et recenser les conscrits de l’année qui sont ensuite contactés par courrier. Un appel est aussi lancé via la presse locale et via un affichage dans les commerces du village. Au moins un mois avant, chaque classe prépare un char sur le thème choisi. Huit jours avant, les chapeaux et cocardes sont distribués et des visites chez les personnes handicapées ou malades se mettent en place. Les forains arrivent au début de la semaine précédant la fête. Le vendredi, on va couper des crêtes d’arbres pour décorer le village, le samedi on s’occupe de la salle, on finit les chars, on met en place les tables… », détaille Paul Martin.

La fête des conscrits démarre le samedi soir avec le défilé des classes de l’année précédente en fanfare et tous les conscrits sont déguisés et maquillés. La buvette et le bal viennent chauffer l’ambiance. Le dimanche matin, rendez-vous est donné à 9 h pour la photo de groupe, le début de la vague emmenée par la fanfare qui passe par le cimetière pour rendre hommage aux conscrits disparus, la messe, la suite de la vague, le vin d’honneur, le banquet. Les convives se retrouvent ensuite pour trinquer chez eux ou au bar du village avant de rejoindre éventuellement la salle des fêtes pour le buffet et la soirée dansante. Des premiers préparatifs au rangement et nettoyage après l’événement, la convivialité est le maître-mot. « Et s’il reste du budget, un retinton est organisé un an après. Une sortie entre conscrits a lieu en général au bout de cinq ans. La fête des conscrits est l’événement phare de Claveisolles que beaucoup ne rateraient sous aucun prétexte ! », selon Paul Martin.