Mai d'oeuvre
L’épineuse question de l’emploi viticole et agricole

Ariane Tilve
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Plus qu’une question, c’est une série de questionnements que pose l’emploi, et plus particulièrement en viticulture et en agriculture dans notre département. Réunis une nouvelle fois pour faire le point sur la situation mardi 9 mai, dans le cuvage du lycée de Davayé, représentants de l’État, du département, des collectivités locales mais aussi acteurs du secteur ont partagé leurs expériences.

De droite à gauche, Marc Sangoy, Jean-Philippe Lachaize, sous-préfette, Yves Séguy, Christine vice-présidente du conseil départemental en charge de l'emploi et la formation, Christophe Morel de la Bangque de France et Christophe Gay directeur territorial Pôle emploi.
De droite à gauche : le directeur de la cave de Lugny, Marc Sangoy ; le directeur du lycée de Davayé, Jean-Philippe Lachaize ; la sous-préfette, Agnès Chavanon ; le préfet Yves Séguy ; la vice-présidente du Conseil départemental en charge de l'emploi et la formation, Christine Robin ; Christophe Morel de la Banque de France et Christophe Gay, directeur territorial Pôle emploi.

Actuellement en France, 7 % des actifs sont à la recherche d’un emploi, 6,5 % en Saône-et-Loire. Proche du plein-emploi, qui est en réalité un taux de chômage toléré de 5 %. L’Hexagone est en tension dans tous les secteurs et, force est de constater qu’agriculture et viticulture ne sont pas privilégiées par les demandeurs d’emploi, en raison notamment d’une image erronée de la réalité et de la diversité des postes à pourvoir.

Dans le même temps, la demande ne cesse de croître. En une décennie (2010 – 2020), le nombre de travailleurs agricoles en ETP a reculé de 8,9 % alors que les SAU moyennes ont augmenté de 27,4 %. Il y a de moins en moins d’exploitations, mais elles sont de plus en plus grandes et ont besoin de main-d’œuvre.

Si la pandémie n’a rien arrangé, les chiffres récents confirment cette tendance, avec une forte variabilité saisonnière du fait notamment de l’activité viticole, horticole et maraîchage : plus de 7,4 % d’embauches au troisième trimestre 2022. Ce constat, déjà maintes fois posé, doit évoluer.

À la recherche de bras

Pour y remédier, plusieurs initiatives ont vu le jour. Christine Robin, vice-présidente du Département en charge de l’insertion sociale et professionnelle, de l’emploi et de la formation interpelle : « les difficultés à embaucher mettent quelques fois en péril les exploitations concernées ». Selon elle, il y a notamment une opportunité pour les 45.000 allocataires du RSA* qui pourraient, à certains de ces postes et après formation, retrouver le chemin de l’emploi en agriculture et/ou en viticulture. « Des allocataires que Pôle emploi a décidé d’aller chercher, en partenariat avec le Département, pour tenter de les convaincre de se réinscrire en tant que demandeur d’emploi », explique Christophe Gay, directeur territorial de Pôle emploi. Autre initiative, celle des 116 réfugiés ukrainiens sollicités pour les vendanges. 23 d’entre eux ont accepté d’y participer, ou plutôt d’entre elles puisque la plupart sont des réfugiées avec leurs enfants, les hommes sont restés au front. Difficile dans ces conditions de pouvoir travailler. Celles et ceux qui le pouvaient ont parfois refusé en raison d’un examen de français qui se déroulait au même moment. Autre initiative, celle de Vita Bourgogne, plateforme de recherche et d’offres d’emploi dédiée au monde viticole. Une plateforme qui a pris l’initiative, à l’instar d’autres acteurs du secteur, de remédier au problème de l’image du salarié agricole ou viticole qui est très loin de la réalité.

Les vendanges, un outil de communication

Si le monde agricole de Saône-et-Loire souffre d’un manque d’attractivité, la première des réponses est l’information. Là où l’imaginaire collectif imagine un garçon de ferme lorsque l’on évoque le salariat agricole, il y a en réalité des chefs de chais, des tractoristes, du personnel administratif qualifié… Ce qui est une évidence pour le secteur agricole ne l’est pas pour le grand public vers qui il faut se tourner pour espérer embaucher. L’un des outils mis en place par Vita Bourgogne est la création de vidéos d’une minute en moyenne expliquant, par exemple, le métier de tractoriste. Diffuser des contenus adaptés pour promouvoir le secteur sur les réseaux sociaux, dans les médias, mais aussi organiser des évènements, voilà certains des leviers pour améliorer l’image du travail agricole et, in fine, recruter.

C’est d’ailleurs sur l’évènementiel que la mission locale de Mâcon a misé en lançant ″Action vendanges″ en 2021. L’objectif de ce plan d’action est d’accompagner des personnes de 16 à 25 ans faisant partie du dispositif Garantie Jeunes, sans expérience professionnelle, et en phase d’élaboration de projet. Cinq bénéficiaires ont visité un Gaec à Montbellet en avril. Ils ont pu découvrir les métiers, les opportunités d’emploi et de formation en ce qui concerne, notamment, la plantation d’arbustes. Aile Sud Bourgogne (nom de la mission locale de Mâcon) organisera ensuite, en juin ou juillet, une visite du Lycée de Davayé et d’une exploitation dans le but de faire découvrir les secteurs agricoles et viticoles avant de lancer un job dating. Puis l’association devrait permettre à 20 bénéficiaires de faire les vendanges. La FDSEA gérera les contrats et les démarches administratives. Il s’agit également de sensibiliser les domaines pour qu’ils acceptent, de leur côté, d’accueillir les publics de l’Aile. Faire les vendanges n’est pas uniquement une expérience de vie, c’est aussi une première expérience professionnelle qui pourrait se transformer en vocation viticole pour certains. Reste le problème de la mobilité, comme le confirme la mission locale de Mâcon. « Nous avons voulu réserver des bus pour l’occasion mais ils sont déjà tous réservés sur le secteur par les Domaines eux-mêmes. C’est la mission locale du Charolais qui nous a finalement prêté un véhicule », remercie Malika Bouchelaghem, directrice d’Aile Sud Bourgogne. Dans l’Autunois, c’est Pierre Dinet, directeur du Centre d’Information Local sur l’Emploi et les Formations (Cilef) Bourgogne, qui dirige les opérations : « On identifie les besoins, en l’occurrence 11 domaines sur les 19 que compte l’Autunois, puis on identifie les publics cibles avant d’organiser les équipes et le covoiturage ». En 2022 le dispositif a permis de créer 74 emplois saisonniers, dont 90 % de primo-arrivants dont de nombreux Bulgares. « Nous aimerions, comme Aile Sud Bourgogne, transformer l’expérience des vendanges et professionnalisation viticole ». Il avoue qu’à l’avenir, il préférera travailler avec de petits domaines. « Nous avons eu des déconvenues avec de grands domaines qui s’étaient engagés à embaucher des équipes de vendangeurs et ont changé d’avis au dernier moment parce qu’ils avaient trouvé ailleurs ». Si la mission locale du Chalonnais reconnaît que la mobilité reste l’un des principaux freins, Ibrahim Bathili a pu partager une magnifique histoire. Celle d’un jeune homme venu de Martinique sans aucune qualification viticole et qui n’avait même pas le permis. Un vigneron lui a fait confiance pour un CDD de 36 mois. Il s’est formé, a passé son permis et s’est vu offrir un CDI. Cette relation quasi filiale a donné lieu à la reprise de l’exploitation par ce jeune Martiniquais d’origine.

Quid de l’emploi agricole ?

Convié à la table des discussions, le président du Service de remplacement départemental, Pierre Villard, avoue que le SR 71 est peu sollicité pour les remplacements viticoles, plus orienté vers les filières généralistes. Lui pointe avant tout le manque de formation dans ces filières justement. « Avant, plusieurs de nos employés nous rejoignaient pour apprendre le métier sur le tas. Ce n’est plus du tout le cas puisque cela sous-entend un tuilage que la grande majorité des chefs d’exploitation n’ont plus le temps de faire ». Le SR 71 est victime de son succès, comme nous l’indiquions dans notre numéro du 28 avril 2023. Les demandes affluent mais il n’y a pas assez de salariés pour contenter tout le monde. « On pourrait faire 10 à 15 % de remplacements supplémentaires », insiste Pierre Villard. D’autant plus que les exploitants ont besoin maintenant d’ouvriers parfois hautement qualifiés. D’où l’importance de se rapprocher des établissements de formations pour les fidéliser. De son côté, Alexandre Saunier se fait, lui, l’avocat du salarié. L’éleveur ovin a toujours eu des salariés par le biais d’un groupement d’employeurs constitué avec quatre voisins il y a près de 30 ans. Ils ont actuellement un salarié en ETP qui travaille pour chacun des employeurs. L’éleveur a également un autre salarié. « Il gagne plus que moi de l’heure et ne fait que 35 heures par semaine. Mais voilà, c’est mon choix. J’ai choisi d’être épaulé dans mon exploitation parce que je veux vivre et profiter de ma vie privée ». Alexandre Saunier estime qu’avoir un salarié est un objectif, un choix de vie, mais en aucun une façon d’augmenter son rendement. Une fois cet état de fait admis, il ne reste plus qu’à trouver le bon candidat.

*Chiffres Pôle emploi, mars 2023.