Forêts de Bourgogne Franche-Comté
Face aux scolytes, l'espoir d'un hiver froid et humide

Cédric MICHELIN
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Dans certaines forêts d'épicéas du quart nord-est de la France, les attaques de scolytes, insectes xylophages, sont devenues incontrôlables. Le seul espoir de la filière est lié à l'évolution des conditions météo : le ravageur prolifère en raison des sécheresses qui contribuent aussi à affaiblir les arbres. 

Face aux scolytes, l'espoir d'un hiver froid et humide

Fin octobre, l'Union de la coopération forestière française (UCFF) a tiré le signal d'alarme : face à l'intensification de la crise liée aux attaques d'un insecte ravageur, le scolyte, les professionnels ont décidé de s'organiser mais aussi d'en appeler au gouvernement afin d'obtenir des aides publiques exceptionnelles. D'après le département de santé des forêts du ministère de l'Agriculture, 4,6 millions de m3 de bois auraient été touchés, dont 3 millions en 2019. Les professionnels craignent un doublement des volumes scolytés en 2021. Ils réclament quatre mesures d'aide : un renforcement et une pérennisation de l'aide de l'État pour l'évacuation des bois vers le sud-ouest de la France, à hauteur de 12 millions d'euros par an, a minima pour les deux prochaines années, la mise en place, avec les régions, d'une aide pour le stockage, une aide de l'État à la trésorerie et une simplification de l'accès aux aides. Ce contexte, la Bourgogne-Franche-Comté l'observe de près. 

Population incontrôlable

Notre région est très affectée par les attaques de ce coléoptère, comme le confirme Bruno Vanstaevel, responsable de l'antenne de la Nièvre du Centre régional de la propriété forestière (CRPF-BFC) : « Rien que sur la Nièvre, on compte plus de 2.000 hectares touchés. Nous en sommes à la troisième année difficile à cause de ces attaques de ravageurs sur les arbres. C'est surtout le fait du scolyte typographe, détecté dès les années 1960 dans les forêts du Morvan mais, jusqu'à une date récente, il semblait relativement contenu. Depuis trois ans, sa population est devenue incontrôlable. Auparavant, lorsqu'on détectait une attaque de scolytes, il suffisait de mettre en place des arbres-pièges, d'écorcer, ce qui réduisait la présence des larves réfugiées sous l'écorce ». Un arrêté préfectoral oblige bien à sortir des parcelles les bois scolytés mais la chose est rendue très compliquée par le fait qu'il n'existe pas de marché pour absorber ce bois. Compte tenu des volumes en question, le mal paraît pour l'heure impossible à juguler. Depuis 2018, les dégâts ne font que s'accroître, particulièrement dans le Morvan, avec les épicéas. Une telle virulence s'explique essentiellement en raison des conditions climatiques. « Le scolyte typographe n'aime pas le froid humide, souligne Bruno Vanstaevel. Or depuis trois ans, nous naviguons à 5 degrés au-dessus des normales saisonnières pendant les hivers et les étés sont aussi très chauds. Les températures montent très vite dès le printemps : ce contexte favorise énormément ce coléoptère. Le printemps 2020 a été particulièrement catastrophique de ce point de vue. Les arbres ont débourré dès le mois de mars, du coup, les vols de scolytes ont commencé dès la mi-mars. En temps normal, dans notre région, on avait un vol par an voire, exceptionnellement, deux, mais maintenant, on en a trois, avec des générations sœurs... L'essaimage se fait pratiquement en continu ! ». Autre effet, sans doute, du changement climatique, relevé par le technicien : « jusqu'à présent, on considérait que l'épicéa était à peu près dans son aire naturelle en Bourgogne Franche-Comté, au-dessus de 800 mètres d'altitude. Mais on s'aperçoit dans le Morvan qu'il faudra peut-être revoir ces observations car, en Franche-Comté, on sait à présent que les scolytes peuvent attaquer les peuplements bien au-dessus de 1.200 mètres... »

Conséquences en chaîne

C'est à un véritable phénomène d'emballement en lien avec le changement climatique auquel nous assistons : les insectes attaquent d'autant plus facilement des arbres déjà affaiblis par les sécheresses successives. Comme si cela ne suffisait pas, les scolytes véhiculent également des champignons qui donnent au bois une couleur bleue, le dépréciant d'autant plus. Il ne peut plus être utilisé pour des usages nobles (planches, charpentes, coffrage, caisserie) et ne trouve un débouché qu'en bois énergie, or ce marché est engorgé... parce qu'il ne fait pas assez froid. Dans un tel contexte, il faut tenter, malgré tout, d'exploiter les bois le plus vite possible.

Chacun en est réduit à espérer du froid pour l'hiver et un printemps 2021 froid et humide qui, seul, permettrait de faire baisser la population de scolytes. Grâce à l'aide au transport, des bois ont pu être transportés dans l'ouest et le sud-ouest de la France ce qui a permis de limiter la casse au niveau de la filière, mais ce n'est pas suffisant. Des bois qui valaient 50 euros /m3 il y a peu peinent aujourd'hui à atteindre 10 euros. En juin, les pertes à l'échelle régionale par rapport à ce problème étaient estimée à 200 millions d'euros. On le voit, le scolyte n'a pas fini de faire parler de lui...

Berty Robert

Un processus très rapide

Les scolytes attaquent l'arbre en le forant et dans la sciure qu'ils produisent, ils émettent des phéromones qui attirent tous les autres individus. C'est alors une véritable curée pour l'arbre. Si ce dernier est résistant, il peut émettre de la résine qui engluera l'insecte, mais s'il est affaibli, ce qui est souvent le cas, il ne pourra pas se défendre. Le processus est très rapide : l'arbre peut être totalement couvert de galeries en trois à six semaines, tous les vaisseaux en charge de conduire la sève sont touchés. 

« Des dépérissements massifs »

Richard Lachèze est responsable de l'agence Sud Bourgogne de la Coopérative forestière Bourgogne Limousin (CFBL). Selon lui, sur la région, la Franche-Comté est plus affectée que la Bourgogne parce qu'elle compte plus d'épicéas. « Néanmoins depuis deux ans, précise-t-il, sur la Bourgogne, les épicéas sont aussi victimes des conditions climatiques et des scolytes qui sont venus se greffer sur ce premier problème. On a des dépérissements massifs sur des parcelles d'épicéas. On voit aussi, depuis 2019, des attaques sur les pins sylvestres. Au niveau de la coopérative, on a des marchés pour écouler les bois ce qui nous a permis d'être réactifs au début, losque les problèmes se sont posés. Malheureusement aujourd'hui, même avec nos marchés, cela devient compliqué puisque les usines sont saturées. Nous bénéficions, néanmoins, d'une aide au transport afin de permettre l'écoulement de volumes vers des régions moins impactées, notamment dans l'ouest de la France. Dans ce contexte, les prix de vente du bois sont en forte baisse. Par exemple avant, les épicéas partaient à 50 euros du m3, aujourd'hui, si le bois est scolyté, ce n'est plus que quelques euros et on valorise un peu mieux les quelques bois verts qui restent, mais cela ne va pas au-delà de 10-15 euros »...