Maladies du bois
Et si on taillait autrement ?

Thibault Laugâa - Chambre d'Agriculture du Rhône
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La période hivernale est traditionnellement consacrée en grande partie à la taille. Les études réalisées dans le cadre du Plan national dépérissement du vignoble (PNDV) ont montré que les pratiques de taille avaient un impact non négligeable pour lutter contre les maladies. Retour sur quelques bonnes pratiques de taille et des résultats d’expérimentation dans le cadre du PNDV. 

Et si on taillait autrement ?

L’Esca perturbe le fonctionnement des vaisseaux de la vigne…

Les travaux menés par l’Inrae dans le cadre du projet Physiopath du PNDV ont démontré que les symptômes de l’esca (feuilles) ne sont pas liés à de l’embolie gazeuse (présence de bulles d’air dans le xylème) mais à des occlusions (thylloses et gels) dans l’appareil vasculaire des feuilles et tiges. Les études par imagerie aux « rayons X » ont clairement mis en évidence la présence de ces occlusions dans les vaisseaux des feuilles symptomatiques (cf. schéma ci-contre). Ces occlusions (ou zones de nécroses) perturbent ou empêchent le trajet de la sève brute ce qui peut entraîner un épuisement prématuré du cep.

 

Mode de taille, cônes de dessiccation et circulation de la sève…

Ces zones de nécrose (ou cônes de dessiccation) apparaissent au niveau des plaies de taille lors de la cicatrisation. La formation du cône de dessiccation est due à deux phénomènes : en hiver, la production de gels ; en été l’apparition de thylloses (excroissance de cellules). Gels et thylloses contribuent tous deux à obstruer les vaisseaux conducteurs et donc à perturber les trajets de sève parcourant le cep. Il est donc nécessaire de chercher à limiter la profondeur du cône de dessèchement dans le courant de sève si l’on veut optimiser les réserves et préserver la viabilité de sa vigne. La profondeur et la forme du cône varient en fonction de la sévérité de la plaie, de sa position, de sa proximité avec une autre branche et même du cépage.

Des essais ont été menés à Bordeaux par l’ISVV (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin) pour comparer l’influence de trois modalités de taille sur la formation des cônes de dessiccation (cf. schéma ci-contre). Les trois modalités étudiées sont : une taille rase, une taille non rase avec chicot taillé sous le premier nœud et enfin une taille non rase avec chicot taillé au-dessus du premier nœud et ébourgeonné (dite "avec diaphragme"). Au bout de six mois, dans le cas de la taille non rase « avec diaphragme », la nécrose ne s’est quasiment pas étendue au niveau de la zone vasculaire laissant une partie des zones de circulation de sève fonctionnelle. La moelle est desséchée jusqu’au diaphragme qui sert alors de barrière à la poursuite de l’installation nécrotique. Le diaphragme permet de conserver une zone de bois vivant au-dessus de la zone d’insertion du bois de l’année et d’assurer ainsi son alimentation.

En complément, l’étude de l’ISVV a montré qu’il y avait probablement aussi un effet « cépage » dans la mise en place des cônes de dessiccation et donc la sensibilité à l’esca.

Gestion des maladies du Bois : les trois grands principes d’une taille durable

La taille respectueuse des flux de sève ou taille durable est souvent citée comme une des solutions préventives permettant de lutter contre les maladies du bois. Voici les trois grands principes essentiels de ce mode de taille (Source : carnets du Plan Dépérissement – Novembre 2021 – F. DAL - SICAVAC).

 

1/ Respecter l’équilibre du cep

Afin d’assurer une production régulière et pérenne, il est important d’évaluer et de respecter la charge et la vigueur du cep. Le nombre de bourgeons laissés à la taille définira la charge du cep tout en régulant la vigueur. Lorsque la vigueur d’un cep est forte, augmenter la charge en bourgeons permet de diminuer sa vigueur. À l’inverse, sur des vignes peu vigoureuses, il faut diminuer le nombre de bourgeons afin de garantir un bon développement des sarments.

Enfin, l’entassement des grappes lors de la période estivale doit être limité dès la taille. Une bonne répartition des bourgeons à la taille (et lors de l’ébourgeonnage) limite les maladies cryptogamiques.

 

2/ Éviter la taille mutilante.

Comme évoqué précédemment, la taille peut occasionner des nécroses dans le bois de la vigne qui perturbent la circulation de la sève. Une taille rase et mutilante risque ainsi d’entraîner la mort d’une partie importante du bois du cep. Il faut conserver des cônes de dessèchement (ou chicots) dont la hauteur correspond au diamètre du bois coupé pour les bois de 2 ans ou plus. Pour les gourmands de l’année, il ne faut pas supprimer l’empâtement mais couper au niveau des yeux de la couronne.

On peut aussi limiter la dimension des plaies de taille en ébourgeonnant au printemps lorsque les pousses ont environ 5 cm.

 

3/ Respecter les flux de sève

Le respect les flux de sève est le troisième principe à garder en tête lors de la taille. Les vaisseaux conducteurs de sève brute (ou xylème) transportent l’eau et les minéraux des racines vers les bourgeons et les feuilles. Leur préservation est essentielle au bon fonctionnement de la vigne. La position du premier œil est un élément important de la taille. Celui-ci doit être orienté vers le bas ou vers l’extérieur du cep. Les plaies de taille doivent être toujours positionnées au-dessus du courson pour préserver le flux de sève. Ce principe permet de garder un flux de sève sain sur la partie inférieure du pied et évite ainsi des inversions des flux de sève.

 

Équilibrer sa taille et la position de ses sarments limite le risque d’entraver les flux ce qui contribue à assurer à sa vigne un développement pérenne. Idéalement, ces principes de taille selon les flux de sève doivent être mis en œuvre dès la taille de formation dans les plantiers.

Plus un cep est jeune, plus la plaie de taille aura de l’importance sur la vie du pied.

 

Retrouvez plus d’informations sur le plan dépérissement sur : https://www.plan-deperissement-vigne.fr/

Formation taille : améliorer la taille pour respecter les flux de sève de la vigne

Vous souhaitez améliorer vos techniques de taille (gobelet, guyot, cordon, …) afin de renforcer la durée de vie de vos pieds de vigne et limiter les maladies du bois. Cette formation d’un jour et demi associe une partie théorique et une partie pratique avec mise en application dans les vignes !

Une dernière rencontre sur le terrain quelques jours après permettra de reprendre vos questions après la pratique dans votre domaine.

Date et lieux : 1,5 jour
- 1er février et 7 février 2023 après-midi : Beaujolais

Intervenant : Guillaume Paire - Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire

IFV – Sicarex Beaujolais : une influence confirmée de la taille sur l’eutypiose

Dans le cadre des expérimentations sur la modification des modes de conduite en Beaujolais menés par l’IFV Sicarex Beaujolais, des observations ont été réalisées pour mettre en évidence un impact éventuel de la taille sur le développement de l’eutypiose et de l’esca BDA. Deux expérimentations ont ainsi été suivies par Jean-Yves Cahurel de l’antenne de Villefranche de l’IFV. Un essai a été conduit sur Liergues de 1995 à 2015, au sein duquel cinq modes de tailles ont été testés : guyot avec baguette 4 et 8 yeux, cordon simple, cordon double et gobelet monté. Un autre essai a été mené sur la même période sur Odenas, là aussi avec cinq modes de taille : une modalité palissée sur échalas en gobelet et quatre modalités palissées sur fil (gobelet éventail, gobelet monté, cordon simple et double). Les résultats obtenus sur ces différents essais ont permis de mettre en évidence l’influence des pratiques culturales et notamment la taille. Ainsi, la taille cordon (simple ou double) apparaît comme plus sensible à l’eutypiose que d’autres modalités de taille, ce qui est confirmé par des résultats obtenus dans d’autres régions.

Et ailleurs on teste quoi ? 

Dans le cadre du PNDV, le projet DepGrenache piloté par la chambre d’agriculture du Gard et l’IFV a montré qu’il y avait moins d’expression de maladies du bois avec la taille mécanique ou la non-taille. Un premier essai a été mené sur une parcelle de Sauvignon plantée en 2006 et conduite selon trois modes de taille : Royat classique, TMP (taille mécanique "de précision") et taille minimale ou non taille. Les observations réalisées depuis 2015 démontrent un effet significatif du mode de taille sur l’expression de symptômes foliaires de maladies du bois avec trois fois plus de pieds symptomatiques en taille manuelle qu’en taille mécanique et trois fois plus en taille mécanique qu’en non-taille. Si ces solutions ne sont pas forcément transposables en Beaujolais, elles démontrent également l’importance de s’interroger sur ses pratiques de taille pour lutter contre les maladies du bois.