EXCLU WEB / ENQUÊTE / Simili viande : comment l’origine France fait recette

Cédric MICHELIN
-

Les substituts de viande à base de végétaux colonisent les rayons des magasins, les cartes de la restauration. Si leurs ventes restent modestes, proches de 100 millions d’euros l’an dernier en grande distribution, leur croissance à deux chiffres aiguise les appétits. Mais les sojas, pois, lentilles et autres blés français en bénéficient-ils pleinement ? Tout dépend des stratégies marketing et industrielles des entreprises agroalimentaires. Garden Gourmet (Nestlé), le leader du marché, ne voit pas d’intérêt à s’approvisionner dans l’Hexagone plus qu’ailleurs. Au contraire, le pionnier Olga (ex-Triballat Noyal) est « 100 % origine France », et la start-up HappyVore en fait une priorité à atteindre rapidement. Notre enquête auprès de fabricants et fournisseurs d’ingrédients montre que l’origine France fait plus ou moins recette, parfois aussi faute d’être performante.

EXCLU WEB / ENQUÊTE / Simili viande : comment l’origine France fait recette

Les similis viandes offrent de belles perspectives aux productions végétales. C’est un marché porteur. NielsenIQ l’évalue à 105 millions d’euros de chiffre d’affaires en grande distribution, soit une progression de 16 % sur un an (entre novembre 2020 et novembre 2021). À titre de comparaison, l’industrie de la viande et préparation à base de viande pèse 32,3 milliards d’euros. Autant parler d’une niche, mais à fort potentiel.

De nouveaux intervenants s’y pressent d’ailleurs encore. Le 6 avril, la « jeune pousse » francilienne Umiami a annoncé une levée de fonds inédite de 26,5 M€ pour son « filet de volaille 100 % végétal » prévu en 2023. Reste à savoir d’où viendra son approvisionnement. Pour l’heure, il varie fortement d’un industriel à un autre. Tour d’horizon.

Rassurer le consommateur

Dans cette filière, le plus vertueux semble être le précurseur. Le breton Olga (ex-Triballat Noyal) revendique le premier « steak de soja », lancé en 1998. « On est 100 % origine France, à la fois sur les premiers ingrédients et leur transformation », souligne le président Olivier Clanchin. Le soja n’est pas le seul concerné. De nouvelles matières premières ont intégré les recettes, comme le blé, l’avoine, le chanvre, également tricolores.

Avec une marque intitulée Sojasun, l’industriel est particulièrement sensible à la question des OGM, auxquels la culture de soja est souvent associée. Dans ce contexte, l’origine France s’impose comme une garantie aux yeux des consommateurs inquiets. « Depuis 1995, nous avons mis en place une filière d’approvisionnement de nos graines de soja ainsi que des analyses à chacune des étapes de transformation, afin de garantir l’absence d’OGM dans les produits Sojasun » (boissons, desserts, plats & ingrédients), explique la marque sur son site internet.

Les emballages arborent « le logo "filière soja français sans OGM" qui assure de cette garantie ». Et l’industriel va jusqu’à présenter sur une carte ses différents sourcing, de la Charente-Maritime jusqu’à l’Aude, du Cher au Haut-Rhin, en passant par les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne Franche-Comté.

Manque de transparence

D’autres fabricants se montrent moins transparents. Le leader du marché Nestlé, qui affiche 54 % de parts de marché du « traiteur végétal », n’a ainsi pas donné suite à notre demande d’interview. Seule une visite à l’improviste nous a permis d’obtenir des informations, sur son stand au salon Sandwich & Snack Show à Paris mi-mars. « En soja, notre approvisionnement vient de Serbie ou d’Amérique du Nord », indique Eva Geissler, chef de produit Garden Gourmet (ex-Le Bon Végétal). Le blé est européen, de pays variables selon les prix et les volumes proposés.

« Nos deux usines sont en République tchèque et en Israël, explique-t-elle. Les produits sont distribués dans toute l’Europe ». Quel intérêt pour la marque de se focaliser sur l’origine France ? Cela représenterait des kilomètres pour fournir l’usine, alors que Nestlé vise zéro émissions nettes à moyen terme. Sa feuille de route prévoit notamment de « faire en sorte que 20 % de nos ingrédients prioritaires aient une empreinte carbone plus faible d’ici 2025 ».

Usine à l’étranger, pois français

Mais "usine implantée à l’étranger" ne signifie pas forcément "ingrédients non tricolores". L’exemple de Beyond Meat le montre. Certes, « pour eux, l’origine des ingrédients n’est pas un sujet, reconnaît cependant Morgan Tsihlis, chargé du développement de la marque californienne dans l’Hexagone. Beyond Meat garde une liberté de se fournir ici ou là : leur gamme de produits vise tous les pays, l’origine des ingrédients n’est pas utilisée comme argument de vente ».

Pourtant, le pois jaune utilisé dans les recettes provient de France, l’américain ayant noué un partenariat avec le leader des ingrédients Roquette. « C’est vrai qu’ils ne communiquent pas dessus, note Morgan Tsihlis. D’une part, ça leur arrive peut-être d’acheter ailleurs. D’autre part, les produits qui sortent des lignes de fabrication aux Pays-Bas ont un emballage pour plusieurs pays à la fois ». La priorité de Beyond Meat est tout autre. Leader des viandes végétales aux États-Unis, la marque veut être en Europe mieux qu’un challenger.

Manque de production nationale

Sur un marché en pleine croissance, la protéine végétale origine France doit suivre le rythme. Roquette a des arguments pour cela. Le nordiste fait valoir « plus de quarante d’ans d’expérience » dans ce domaine, d’abord en blé. Il est aujourd’hui leader mondial de la fourniture d’ingrédients à base de pois jaune. Son usine de Vic-sur-Aisne en est depuis 2005 le fer de lance. En outre, 11 M€ viennent d’y être investis dans un centre d’expertise R & D sur les protéines végétales.

« L’approvisionnement en pois jaune s’effectue au plus près du site de production, déclare Cécile Duputel, chargée des Affaires publiques. Une majorité est d’origine française », issue d’un bassin allant de la Normandie aux Ardennes, en passant par l’Ile-de-France et jusqu’à la Charente. Pourquoi pas 100 % ? La faute au manque de volume, répond l’industriel : « Les rendements du pois ne sont pas toujours au rendez-vous ».

Appel à cultiver davantage

« Cultivons plus de légumineuses bio en France ! » C’est l’appel lancé au dernier Salon de l’agriculture par Hari & Co. La start-up, qui en fait la base de ses recettes, affiche une provenance 100 % française. Elle utilise principalement du pois chiche, des lentilles vertes, pour ses galettes, boulettes et autres nuggets. Aussi des haricots rouges, lentilles corail, dont le sourcing repose sur des partenariats avec des coopératives parmi lesquelles la Cavac en Vendée, Qualisol dans le Tarn-et-Garonne.

D’où certaines difficultés en cas de mauvaise récolte. « On manque de lentilles corail françaises, leur production faisant défaut à cause des pluies tardives en 2021, signale le cofondateur Emmanuel Brehier. Pour la première fois cette année, il va nous falloir expliquer sur les emballages que l’origine est à la fois France et UE ». Soucieuse de compléter son approvisionnement, l’entreprise développe sa propre filière depuis 2021. Une douzaine d’agriculteurs, autour de son usine de Donzère (Drôme), lui livre des légumineuses bio.

Objectif 100 % français

Sur un créneau fourmillant de start-up, l’origine France est parfois une stratégie qui émerge au fil du temps. HappyVore (ex-Les Nouveaux Fermiers) vient d’ouvrir un poste dédié. « Tous nos ingrédients, sauf les épices, seront 100 % français d’ici 12 ou 18 mois, promet le cofondateur Guillaume Dubois. C’est déjà le cas en pois. Concernant le soja, la féverole, nos achats viennent de l’UE. On ne trouve pas toujours en France de bonnes protéines sur le plan organoleptique : leur goût est parfois trop prononcé ».

Or, la marque attache une grande importance à ce critère. Elle a même recours aux services d’Éric Bouchenoire, Meilleur Ouvrier de France, pour l’élaboration de certaines recettes comme les merguez, chipos et aiguillettes végétales. Le chargé de projet origine France doit mener un « état des lieux des productions végétales », pour s’assurer qu’elles collent aux projections d’activité de l’entreprise. HappyVore envisage de nouveaux ingrédients, par exemple, le lin et le quinoa.

Une culture relancée

Le sucrier Tereos, qui possède un atelier viande végétale dans son amidonnerie de Marckolsheim (Bas-Rhin), participe à la relance du chanvre en Alsace. « On essaie de s’approvisionner au plus proche de l’usine », explique le chef de projet Bertrand Huberty. Cela vaut pour le chanvre, utilisé comme huile, l’un des cinq ingrédients de base d’Epi & Co (nom de la gamme). Pas pour une autre source de matière grasse, la courge, originaire d’Autriche. Le blé vient lui d’au maximum 100 à 150 km autour de l’usine. Côté légumineuse, tout le pois chiche arrive du sud de la France, faute de quantité et de qualité suffisante en Alsace, d’après l’industriel.

Epi & co est vendu à 80 % en restauration collective, où les viandes (bœuf, porc, volaille, agneau) ont une obligation d’étiquetage de l’origine depuis le 1er mars. Leurs imitations végétales, elles, n’ont pas ce devoir. D’ailleurs les produits de Tereos ne mettent eux pas en avant leur provenance. « L’origine figure dans nos fiches techniques de produits, signale-t-il. Personne n’en demande plus ».

Levée de fonds record pour une start-up française

La start-up francilienne Umiami réalise, avec 26,5 M€, la plus grosse levée de fonds (en série A) en Europe sur le marché de la simili viande, a-t-elle annoncé le 6 avril. Pour son « filet de volaille 100 % végétal », elle prévoit « d’ouvrir une usine en France d’ici 2023, de recruter près de 200 personnes, et de produire 15 000 tonnes par an », d’après un communiqué. Un produit qui est destiné à l’industrie agroalimentaire et à la restauration « sur tous les continents », avec une commercialisation en marque blanche. L’originalité du projet tient à l’« umisation », un procédé inédit qui imite la texture fibreuse de la viande. Umiami promet une recette avec moins de dix ingrédients (dont la farine de pois) « contre une trentaine en moyenne sur le marché des viandes végétales ». D’ici à 2025, l’objectif est de « diversifier nos ingrédients en ouvrant des programmes de recherche sur les sources de protéines alternatives émergentes, comme les protéines d’algues ou de mycélium », indique la directrice R & D Sylvie Breton, citée dans le communiqué. La start-up projette à cette fin l’ouverture d’un centre de R&D en Ile-de-France dès le mois prochain.

 

Protéagineux : difficultés à financer la recherche variétale

Semae (interprofession des semences et plants) a appelé le 7 avril au financement collectif de la recherche protéagineuse. Il s’agit d’« améliorer la compétitivité de ces cultures », a déclaré Thierry Momont, président de la section céréales à paille et protéagineux. « Cela passe, entre autres, par plus de moyens dans la recherche, l’amélioration variétale ». Leurs montants sont « dérisoires », d’après lui. En cause, la faible part de semences certifiées, « moins d’un hectare sur trois », qui participent au financement de la recherche. Dans le secteur des céréales à paille, un accord interprofessionnel est en place autour d’une Criv (Contribution recherche et innovation variétale). Un modèle non transposable en protéagineux, d’après Thierry Momont : la cotisation serait quatre fois plus élevée. D’où l’appel à « partager les efforts » de recherche : « Il n’est pas normal que seuls les agriculteurs la financent ». « Tous ceux qui bénéficient du progrès génétique » sont concernés, a estimé Thierry Momont, imaginant un système de « financement abondé ». Et de viser les transformateurs, en particulier les amidonniers.

Quand l’Europe de l’Ouest dépasse l’Amérique du nord

Selon le rapport annuel de l’organisation américaine Good Food Institute (GFI), qui promeut les imitations végétales de la viande, les ventes de ces produits ont progressé de 19 % en Europe de l’ouest, pour atteindre 2,3 milliards d’euros. Un chiffre désormais supérieur à celui observé en Amérique du nord (1,9 milliard d’euros), selon ce rapport paru le 14 avril. L’Europe de l’est est également dynamique ; les ventes d’imitations végétales y progressent de 17 %, à 176,6 millions de dollars, selon GFI citant les chiffres d’Euromonitor. À travers le monde, le chiffre d’affaires des entreprises du secteur progresse de 17 % (à 5,15 milliards d’euros). Et déjà plus de 100 entreprises proposent des imitations végétales de viande, selon le décompte de GFI, dont une vingtaine sont apparues en 2021.