EXCLU WEB / Ukraine-Russie : Vers un nouvel équilibre agroalimentaire mondial ?

Christophe Soulard 
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Le ministère de l’Agriculture et Business France organisaient début avril un webinaire sur les conséquences de la guerre russo-ukrainienne sur le commerce agricole mondial. Le conflit en cours devrait laisser des traces durables dans les économies mondiales. 

EXCLU WEB / Ukraine-Russie : Vers un nouvel équilibre agroalimentaire mondial ?

« La Russie qui a mis en place une doctrine de sécurité alimentaire entend rester indépendante sur des produits comme la viande, le lait et le vin », a indiqué le conseiller agricole de l’ambassade de France en Russie. Dans ce dernier secteur, le fait que la législation russe impose désormais aux vignerons champenois d’utiliser l’appellation "vin effervescent" et non plus "champagne", réservé aux producteurs russes peut être interprété à rebours comme un signal faible de cette reprise en main de son agriculture par Moscou.

Pour s’affirmer encore plus sur le commerce international et passer le message qu’il pèse véritablement, le gouvernement russe a explicitement demandé à stopper les exportations d’engrais, envers les pays « inamicaux ». En 2021, la Russie était le « premier exportateur d’engrais azotés et le deuxième fournisseur d’engrais potassiques et phosphorés », rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La Russie fournit plus de 10 % des volumes des engrais azotés et phosphatés consommés en France. D’une manière ou d’une autre, ces exportations deviennent compliquées voire impossibles depuis la Mer d’Azov et la Mer Noire. En effet, de nombreuses zones sont minées et les compagnies d’assurances rechignent à couvrir les risques sauf en demandant aux affréteurs de payer des surprimes importantes. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’à l’issue du conflit, la Russie « restera aussi forte sur le marché mondial », a avancé le directeur du Club Déméter, Sébastien Abis.

« Réarmer nos entreprises »

Pour Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales, ce conflit est l’occasion « d’être plus innovant et plus compétitif et de réorienter nos produits vers d’autres pays ». Surtout, il demande à faire tomber le tabou du « produire plus ». C’est possible selon lui « tout en respectant le cadre de la neutralité carbone et la protection de la biodiversité ». Mais tout cela aura forcément un coup : « Oui, il doit y avoir une juste répercussion du coût des matières premières et des autres éléments (carburants, emballages, etc.) dans l’alimentation », a-t-il asséné appelant à « réarmer nos entreprises agricoles et agroalimentaires » et à investir dans le continent africain « en codéveloppement ».

Prenant un peu plus de hauteur, Sébastien Abis, a estimé que le monde redécouvre les « insécurités physiques, alimentaires et militaires » et que la question agroalimentaire a recouvré une part centrale dans la géostratégie. Pour lui, on redécouvre même que « l’agriculture n’est pas un secteur marginal ». En tout état de cause, ce conflit russo-ukrainien devrait « créer un nouvel équilibre agroalimentaire mondial » qui se forgera aussi à l’aune du changement climatique. Mais compenser la chute des importations de céréales par une augmentation de 30 à 50 % de la production en France et en Europe n’ira pas de soi. « Aujourd’hui, on est loin du compte », a-t-il souligné concluant sur le fait qu’aujourd’hui, à travers les âges, « le premier déterminant du développement agricole a toujours été la paix ».

Les besoins des agriculteurs ukrainiens

Les semis de printemps sont la priorité des agriculteurs ukrainiens, a indiqué un conseiller agricole auprès du Quai d’Orsay. Les agriculteurs locaux sont également en manque de produits vétérinaires, de pièces détachées, de financements pour acheter les intrants qui deviennent rares dans cette région. Ils continuent néanmoins leurs emblavements mais ne réaliseront pas de récolte normale : « Entre 40 et 70 % selon les zones », a précisé le conseiller agricole.