Assises de l'eau
Assises de l'eau et déclinaison du plan eau national : des mesures concrètes ?

Florence Bouville
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Les interrogations vis-à-vis de la disponibilité de la ressource en eau ne cessent pas. Le 14 avril, le préfet et les acteurs départementaux se sont réunis pour les Assises de l’eau, dans la continuité des réflexions menées par le Comité de la ressource en eau. Une nouvelle fois, les élus ont fait le point sur la sécheresse en cours. La définition et le calibrage de mesures locales sont, maintenant, nécessaires. À la fois victime et motrice de la question de l’eau, l’agriculture fait donc partie des leviers d’action du Plan eau, au niveau national.

Assises de l'eau et déclinaison du plan eau national : des mesures concrètes ?
Une partie de l'assemblée réunie dans le cadre des Assises de l'eau, le 14 avril, à la préfecture de Saône-et-Loire.

Les saisons se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Déjà entrée en état de vigilance, la Saône-et-Loire pourrait bien endurer un été aussi chaud et sec que celui de 2022. « La situation est extraordinairement fragile, et bien réelle », constate le préfet, Yves Séguy. « Dans les semaines et mois à venir, on va gérer cette contrainte », ajoute-t-il. Face à cette dernière, nous devons tous faire preuve d’exigence vis-à-vis des mesures de sobriété. Exigence allant bien au-delà d’une simple préoccupation.

Une gestion maîtrisée de TOUS les usages

La dimension "concertée" de la gestion de l’eau est essentielle. Elle est la base du caractère "maîtrisé". Les Assises de l’eau ont d’ailleurs été mises en place à cet effet. Le Plan eau du Gouvernement prévoit d’atteindre 10 % d’économies d’ici 2030. Cela passera par des restrictions d’usage, en cas de déclenchement d’alerte et/ou de crise, mais pas que. La prévention, la recherche de fuites, la réutilisation des eaux, sont autant de pistes d’amélioration que le gouvernement a l’intention de développer. Marie-Claude Jarrot, présidente de l’association des maires 71, rappelle également le travail de longue haleine mené, depuis des années, avec les Agences de l’eau et les Voies navigables de France. Du côté des maires ruraux, le président de l’UMCR71, Jean-François Farenc, met l’accent sur un point peu abordé dans les comités : l’absence de quantification des réseaux secondaires (fontaines, lavoirs…), présents dans de nombreuses communes. Or, ces réseaux intéressent de plus en plus les acteurs de l’eau. Mais personne n’en connaît précisément le nombre ou l’état. Une des possibilités serait de réattribuer ces volumes à la profession agricole. Encore une fois, il s’agit du conditionnel. Dans tous les cas, la demande est là. En matière de sobriété, Yves Séguy insiste sur « la volonté d’accélérer notablement le pas ». Il faut « s’organiser, relancer certains investissements… », poursuit-il. Le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) a bien en tête ces recommandations. Tous se préparent activement face aux risques accrus de feux de forêt.

Dans la conscience collective, les agriculteurs apparaissent souvent comme les principaux préleveurs d’eau. Alors qu’en réalité, les plus gros volumes proviennent, au total, des particuliers et des industries. Sur le département, l’activité industrielle utilise 10,2 % du réseau d’eau potable tandis que 4,2 % sont dédiés à l’irrigation. Toutefois, l’abreuvement n’est pas comptabilisé dans les données d’AEP (Alimentation en eau potable). Les millions de mètres cubes nécessaires au bétail sont donc, soit prélevés dans le milieu naturel, soit issus du réseau d’AEP.

Attention, comme le souligne Thierry Lorre, responsable HSE (Hygiène sécurité environnement) dans l’usine Michelin, il faut bien différencier les "prélèvements", des "consommations". En effet, une quantité d’eau prélevée dans la ressource est rejetée après utilisation, alors qu’un volume consommé est réellement absorbé. Si on applique cette distinction à l’élevage, on se rend compte que seule une partie de l’eau captée est véritablement consommée.

Question de l’abreuvement abordée, problème du stockage non réglé

Concernant l’abreuvement, la Saône-et-Loire est le premier consommateur de la région (environ dix millions de litres). En introduction, le préfet déclare qu’il faut « s’interroger et s’organiser pour l’abreuvement du bétail ». Une fois ces propos dits, on constate qu’il n’y a, pour l’instant, pas de programme d’action spécifique à ce sujet. Bien sûr, les agriculteurs, les techniciens et les conseillers n’ont pas attendu cette réunion pour penser à demain. « Plus personne ne remet en cause le changement climatique », déclare Christian Bajard, président de la FDSEA, qui lance un appel à la réflexion collective. C’est exactement ce qu’avait dit Christian Morel, vice-président en charge de l’agriculture, de la viticulture et de l’agroalimentaire à la région Bourgogne-Franche-Comté, lors de la journée technique organisée par l’Agence de l’eau, le 9 mars dernier. « Les agriculteurs sont les premiers acteurs, mais aussi les premières victimes », ajoute Christian Bajard. D’où leur réel pouvoir d’action. Contrairement à certaines idées reçues, « l’agriculteur ne s’accapare pas l’eau », poursuit-il. Une production sans eau (et non pas sans économies d’eau) sera, pour le moins, compliquée. Laurent Bernard, maraîcher irriguant à Bragny-sur-Saône, évoque le problème émergent du stockage. Notamment au regard des épisodes hivernaux de crues, au niveau de la Saône et du Doubs, comme à l’été 2021 par exemple. La question d’une potentielle retenue de volumes et utilisation en période estivale, reste complètement en suspens. Pourtant, à un moment donné, il faudra bien trancher, car « nous ne sommes plus en situation d’abondance », déclare le président.

Les milieux seront-ils capables de supporter les prélèvements jugés indispensables ? « La ligne de crête entre respect des zones humides et abreuvement du bétail est fragile », souligne Jean-Marc Frizot, vice-président à la communauté urbaine de Creusot Montceau. Il n’empêche que pour les cheptels, certains besoins demeurent incompressibles. Cela n’est en rien incompatible avec la protection et la préservation des zones humides. En parallèle, l’OFB maintient, bien sûr, le suivi des cours d’eau du département et de leur niveau d’étiage.

Dès qu’on parle du manque d’eau, il arrive que les esprits s’échauffent. Il serait dommage d’en arriver à des situations de conflits, entre filières agricoles. Désigner un coupable peut, certes, soulager sur l’instant, mais il existe des solutions collectives. Espérons donc que les tensions survenues, par exemple, dans le cadre du dispositif viticole antigrêle Arelfa, soient loin derrière nous.

Les prochaines Assises de l’eau auront, a priori, lieu courant septembre 2023. Des ateliers de travail seront mis en place, dans les mois à venir, en fonction des différents secteurs. L’enjeu majeur est également d’assurer un suivi quantitatif des mesures de sobriété mises en œuvre. « Profitons de cet élan pour tenter d’offrir un meilleur avenir aux jeunes générations », conclut Yves Séguy.

Eau et production de viande : méthode de calcul

Fréquemment cité, le chiffre de 15.000 litres d’eau consommés, pour produire 1 kg de viande, est-il juste ? L’Inrae a la réponse. L’institut précise bien que ce dernier est obtenu via une méthode de calcul englobant, à la fois, l’eau bleue (eau réellement consommée par les animaux et l’irrigation des cultures), l’eau grise (eau utilisée pour dépolluer les effluents et les recycler) et l’eau verte (eau de pluie). Cependant, cette méthode ne prend pas en compte les cycles biologiques. En réalité, 95 % de cette "empreinte eau" correspond aux précipitations. L’eau de pluie est captée dans les sols et évapotranspirée par les végétaux, et retourne, de fait, dans le cycle de l’eau. La communauté scientifique considère, ainsi, qu’il faut entre 550 et 700 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf. En "eau utile", 20 à 50 litres par kg sont nécessaires. Par eau utile, on entend volume consommé, pondéré par un facteur de stress hydrique régionalisé.

Industries et particuliers : quelles consommations ?

En France, la consommation d’eau domestique s’élève, en moyenne, à 148 litres par jour et par habitant. À ce chiffre, il faut ajouter les utilisations collectives : écoles, hôpitaux, lavage des rues, arrosage des espaces verts, utilisations dans le cadre du travail etc. Quelques données clés : 300 litres par jour pour un lit d’hôpital ; 10 à 20 litres par jour et par repas préparé en restauration collective. Une chasse d’eau qui fuit, ce sont 25 litres par heure, soit 220 mètres cubes par an.

Hors hydroélectricité, le secteur de l’énergie est à l’origine de 64 % des prélèvements d’eau douce. Contre 17 % pour les particuliers, 10 % pour l’industrie et 9 % pour l’irrigation.