Coopération internationale
De Mâcon à l’Afrique… et de l’Afrique à Mâcon

Françoise Thomas
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Quelque part au bord d’un champ tchadien, en plein Sahel, un panneau arbore, parmi d’autres, le logo de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Rien d’incongru ni d’étonnant à cela : les informations affichées sur le panneau font état de l’implication de tout un ensemble d’acteurs pour la formation de jeunes dans un bassin de production semencières… parmi lesquels la CA71. Christophe Masson est le coordonnateur des programmes à l’international pour la chambre, il nous présente ces engagements aux bénéfices réciproques.

De Mâcon à l’Afrique… et de l’Afrique à Mâcon
En plein Sahel, la CA71 s’investit auprès de la population locale pour relancer la filière semences qualité et redynamiser tout le secteur agricole.

Forcément au départ, c’est une histoire d’hommes, de rencontre et d’envie de faire avancer les choses. Lorsqu’en parallèle, il est possible d’obtenir une enveloppe budgétaire, le projet peut alors se concrétiser.

Ainsi, de la passion de Christophe Masson pour l’Afrique et de sa rencontre à Paris avec un Sénégalais puis à Marseille avec un élu tchadien, la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire (CA71) a pu s’impliquer dans le projet Al Bouzhour au Tchad, puis dans celui tout juste lancé Goungué Niambi au Sénégal, respectivement autour de la production de semences et de la culture de manioc.

Cette implication de la CA71 dans ces deux pays relève tout autant de la solidarité internationale que d’une collaboration bénéfique à tous. « Tout ceci se déroule dans l’esprit du compagnonnage, insiste le responsable des programmes internationaux à la CA71. On agit et on avance tous ensemble, pas de façon unilatérale. Cela permet d’exprimer les compétences de la chambre dans d’autres territoires qu’au niveau départemental ou régional et cela est intéressant aussi d’ouvrir le réseau de la chambre à l’international », ainsi qu’aux savoir-faire et expériences de ces pays.

Des graines à faire germer

Le Tchad a récemment été au cœur de l’actualité après la mort sur le terrain des combats de son président depuis plus de 30 ans, Idriss Déby Itno. Cet événement n’est qu’un épisode de plus dans l’histoire tourmentée de ce pays, classé 187e sur 190 pays au classement de l’IDH, l’indice de développement humain.

C’est dire si les besoins alimentaires sont nombreux dans ce pays grand comme deux fois la France, comptant 16 millions d’habitants dont 80 % vivent en milieu rural et dans une extrême pauvreté.

Pour aider efficacement le monde rural, c’est la politique des petits pas qui a été privilégiée. Christophe Masson le rappelle, il s’agit bien ici d’aider « la population à aller chercher son propre avenir par l’engagement dans l’activité agricole et la professionnalisation de celle-ci ». Et c’est ainsi que le projet Al Bouzhour « qui signifie la graine qui germe », a été lancé en janvier 2020 à N’Djamena. « La Cciama* a choisi de travailler sur la production de semences certifiées, qui sont jusqu’à présent très majoritairement importées et qui constituent la base de la relance de l’agriculture », détaille le responsable de la coopération internationale. « L’idée est de la remettre en route en nous basant sur la génétique. Les semences concernées sont celles du mil, du maïs, de l’arachide, du niébé, qui est le haricot africain, du sésame. Il y a beaucoup d’emplois à la clé pour les jeunes et les femmes notamment », poursuit-il.

L’Europe en soutien

Le projet Al Bouzhour, prévu sur trois ans, est financièrement soutenu par le programme européen Archipelago**, ce qui permet de bénéficier d’un budget global de 600.000 €.

« Ce projet est tchadien, nous sommes là en soutien », insiste Christophe Masson. La CA71 aide ainsi à la formation des jeunes sur les questions de production, de transformation, de commercialisation ; à renforcer et guider les structures pour, à terme, déboucher sur une chambre consulaire nationale agricole autonome ; à créer le mécanisme de financement des entreprises.

Le défi est grand, la route compliquée, mais le principe consistant à s’appuyer et innover avec la base fonctionne pour l’instant.

Sensibiliser au travail d’excellence

Sur place, la « première promo a concerné 150 personnes ». Les parcelles implantées dans les provinces du Hadjer Lamis et du Lac Tchad vont de 0,2 à 0,5 ha. Les premières récoltes ont lieu en ce mois de juin et le challenge est grand : « ces semences sont vendues deux fois plus cher que les semences habituelles ! ». Le revenu sera assuré par la vente des graines d’une part et des tiges et des feuilles pour le fourrage d’autre part (115 millions de têtes de bétail à nourrir…).

Le tout dans un contexte où « tout est très communautaire. Il y a un très gros travail de préparation en amont auprès des responsables des villages pour qu’un maximum d’entre eux accepte le changement ».

Pour la CA71, cet accompagnement est un formidable partage d’expérience, que ce soit dans l’organisation du travail, dans le recrutement, sur le transfert des connaissances et l’acquisition des compétences.

Lorsque l’on sait que l’ambition est notamment de faire pousser du maïs en plein Sahel, on ne peut que comprendre que de tels enjeux seront forcément intéressants à terme pour nos cultures soumises au réchauffement climatique.

 

* la Cciama est la chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture, des mines, de l’industrie et de l’artisanat tchadienne. Une seule chambre consulaire pour tous ces secteurs…

** Archipelago est un programme africain-européen qui vise à améliorer l’employabilité des populations vulnérables (les jeunes, les femmes, les migrants en retour, les déplacés) pour les aider à se « fixer au pays ». Sur les 125 projets déposés, celui de la CA71 et de la Cciama a fait partie des dix retenus.

Le concept charté Al Bouzhour

Le concept charté Al Bouzhour

Le concept Al Bouzhour est entièrement consigné dans une charte et repose sur cinq grands principes.

- Développer l’esprit entrepreneurial grâce à une alphabétisation et un niveau scolaire suffisants. À partir de là, le secteur privé doit prendre en main son propre avenir et se professionnaliser.

- Se convaincre des ressources humaines présentes sur place. Celles-ci se développent d’autant mieux avec des investissements « soft » (très bien ciblé et pas forcément important) qui permettent de révéler naturellement les talents.

- Impliquer collectivement les acteurs et les bénéficiaires dès la conception des solutions, le principe phare est celui du co-développement par la base, pour la base.

- Ne jamais perdre de vue qu’il est toujours possible de faire, même avec très peu. Ainsi, même imparfaitement, il convient de toujours avancer.

- Contribuer aux objectifs de développement durable, ce qui correspond aux attentes du marché.

Les concepteurs de cette charte rêvent de la voir reprise par d’autres et appliquée dans d’autres régions du monde…

Accompagnons le manioc

Le deuxième programme soutenu par la CA71 concerne cette fois le Sénégal et a été baptisé Goungué Niambi (signifiant Accompagnons le manioc, en wolof). Il démarre tout juste et est prévu sur cinq ans, de 2021 à 2024. « Une nouvelle fois, l’idée est de contribuer à la sécurisation du système alimentaire local et à la création d’emplois locaux, cette fois en développant la filière manioc, explique Christophe Masson. Et là non plus, il n’est pas question de faire à la place de, mais bien d’apporter un soutien à la professionnalisation, le tout dans une logique de développement local et durable et sur fond de compagnonnage ».

Ceci dans un contexte d’évolution climatique auquel un pays comme le Sénégal est particulièrement soumis ; une dépendance très (trop) importante vis-à-vis des importations de blé et de riz ; et une population jeune qui pourrait doubler d’ici 30 ans…

Le programme se décline en quatre modules convergents : l’interprofession manioc du Sénégal a besoin d’être renforcée ("Mouv’"). La filière doit se structurer, se former, protéger ses cultures ("Pro’"). Le manioc doit retrouver toute sa place dans l’alimentation locale ("Food’").  

Le Vinipole et Vitilab seront plus spécifiquement mis à contribution sur le quatrième objectif ("Lab’") en venant partager leurs expériences au centre de ressources interprofessionnel sur le manioc (Cirma), notamment en effectuant les recherches propices et en mettant en place des collections variétales.

Entretien avec Bernard Lacour, président de la CA71 : « Les mêmes yeux qui brillent »
Bernard Lacour, le président de la CA71, a passé quelques jours au Sénégal fin 2019 pour s’imprégner un peu plus de cette coopération et rencontrer les acteurs sur place.

Entretien avec Bernard Lacour, président de la CA71 : « Les mêmes yeux qui brillent »

« Ce qui est très important de rappeler en préalable c’est que ce ne sont absolument pas les agriculteurs de Saône-et-Loire qui financent ces actions, et qu’en parallèle, la chambre d’agriculture n’en tire aucun bénéfice financier.

L’intérêt de ces coopérations est de se rappeler que l’agriculture va au-delà de produire de l’alimentation. Si la France a ses richesses, c’est notamment grâce à sa position géographique. Ainsi, s’engager dans ces coopérations c’est aussi une question géopolitique : personne ne se déracine de son pays par plaisir, et l’agriculture a forcément un rôle à jouer dans toute la problématique des migrants…
Je me suis rendu trois jours au Sénégal. J’y ai vu les mêmes paysans que chez nous, avec les mêmes yeux qui brillent, la même envie de développer des choses. 
Si ce ne sont pas les mêmes productions, ils vivent aussi l’évolution climatique et se posent aussi des questions autour de l’optimisation de l’eau. Ils rencontrent aussi la problématique de la transformation des produits. Donc l’idée est vraiment de voir avec eux, au Tchad et au Sénégal, ce que l’on peut faire ensemble, dans un esprit de compagnonnage.

Et puis c’est une véritable richesse intellectuelle pour nous de nous ouvrir à d’autres pays, de se rendre compte des difficultés auxquelles ils sont soumis eux aussi.

On n’y va pas pour le folklore, le but est de créer des relations sur la durée. À terme, il faudra donc mettre sur ces sujets les compétences de la chambre nécessaires. Tous ces projets sont encore en devenir et on apprend en marchant. »