Saône, Seille, Bresse…
Des crues « catastrophiques »

Cédric MICHELIN
-

Le 19 juillet à Marnay et Ouroux-sur-Saône, la FDSEA a réuni le Préfet et le Département pour faire un premier point sur les crues « catastrophiques » qui frappent le val de Saône et la Bresse. Selon les premières estimations, plus de 8.000 ha de cultures sont sous l’eau. Et 4.000 ha de prairies seront aussi longtemps impraticables. 

Des crues « catastrophiques »
La Saône est montée à 6,08 m le 20 juillet.

C’est les vacances ! Enfin pour les EPTB (établissements publics territoriaux de bassin) et les Voies navigables de France (VNF) puisque aux abonnés absents visiblement depuis le début des crues, aux dires du monde agricole, qui lui à la tête sous l’eau. Un peu à l’image du titre du JSL : « Sassenay : la digue a cédé, la voie bleue est inondée ». Question de priorités ! Alors que les Français sont émus par les ravages causés par l’eau en Allemagne et en Belgique, pas la moindre pensée pour les agriculteurs Français sacrifiant leurs terres et voyant parfois leurs bêtes se noyer tout cela pour sauver Lyon des eaux. À croire que la crise du Covid est terminée et que les Français ont déjà oublié d’être reconnaissants envers les agriculteurs locaux qui les nourrissent.

Nourrir les animaux

Car si les images sont moins impressionnantes qu’à la TV, sur le pont à Marnay, on se rend vite compte du drame qui se joue. « C’est catastrophique », décrit Benoit Regnault, le président de la section Grandes cultures à la FDSEA de Saône-et-Loire. Jumelles en main, ils scrutent et montre au Préfet de Saône-et-Loire, au Président du Département et aux élus, l’étendue d’eau boueuse à perte de vue. « Ce sont des milliers d’hectares de cultures de printemps (maïs, soja…), qu’on ne pourra pas ressemer. Et ici, avec les contraintes réglementaires environnementale de Natura 2000, des puits de captage, des zones vulnérables (directive nitrates)…, les fauches des prairies ne pouvaient pas être faites avant », s’agace Rémi Petit de Saint-Loup-de-Varenne. Tous réclamaient qu’il n’y ait pas en plus des pénalités Pac pour des MAE non faisables.
Regardant du côté Bresse, en direction de chez lui à Baudrières, Cédric Tissot sait qu’il va falloir au moins un mois pour remettre les bêtes dans les prés inondés, souillés par la vase charriée, et qui vont pulluler de moustiques. L’éleveur a du, comme nombre de ses collègues, rentrer ou concentrer ses animaux. Ce qui implique de les « nourrir comme en hiver ». « Et si en plus on ne peut pas faire de foin ni d’ensilage, on coure vers de gros soucis » cet hiver justement, puisqu’après trois années de sécheresse, les stocks étaient au plus bas. Heureusement, le printemps avait été bon.

Gestion indigne

Très présentes sur le secteur, les équipes de Bourgogne du Sud ont commencé à faire un premier bilan : 1.600 ha de blé ; 1.900 ha de soja ; 4.500 ha de maïs ; 3.500 ha de tournesol ; 4.000 ha de prairies non fauchées… « Soit environ 8.000 ha de cultures sur les 110.000 ha des surfaces pour la Saône-et-Loire, soit près de 10% déjà », alertait le président de la coopérative, Lionel Borey, cultivateur dans le val de Saône à Crissey, qui tentait de retenir sa colère. Car lui comme tous les agriculteurs du secteur sont excédé par la mauvaise gestion de cette catastrophe annoncée et le manque d’information, c’est un euphémisme. « Je suis très remontée contre la gestion des inondations. Jeudi encore, le tronçon Saône-Lyon était vert alors que l’on voyait l’eau monter de 5 cm/h. Vendredi, sur Vigicrue.fr, on est passé en jaune mais on aurait du ouvrir les vannes avant. Pourquoi avoir attendu ? », questionnait à charge Hélène Doussot, agricultrice à Gergy. Les conséquences sont graves comme en témoignait Jean-Pierre Bon, éleveur à la Charmée et dans le val de Saône. « C’est indigne. On surveille nuits et jours nos bêtes dans nos prés et pourtant. Sans la moindre alerte, l’eau monte soudain de 2 m et les pompiers tentent de sauver mon troupeau dans un pré inondé. À tous les coups, je vais en plus être trainé au tribunal pour maltraitance et les pompiers veulent me facturer l’intervention. Ça fait mal au cœur ».

Climat de suspicion

En plus de la colère légitime des uns et des autres, des doutes s’installent créant un « climat de suspicion ». « Veut-on encore de l’agriculture ici ? Il faut nous le dire ? Arrêtez vos contraintes pour nous permettre d’entretenir les fossés, nos digues… », demandaient plusieurs agriculteurs présents dans la salle d’Ouroux-sur-Saône. « En 1983 et en 1985, c’était déjà la même situation (en mai-juin) avec les mêmes réunions et les mêmes promesses qu’aujourd’hui » (lire encadré), dénonçait Jean-Yves Chaumont, de Saint-Sernin-du-Plain, pensant à son jeune fils installé « qui boit le bouillon » car les digues sont là-bas les plus basses du secteur. « Il faut aussi homogénéiser les hauteurs de digues », réclamait le conseiller départemental, Jean-Michel Desmard. « Et nous aider à les entretenir correctement. On nous a interdit de stocker de la terre l’été, pour se préparer à réparer la digue de Saint-Germain-du-Plain et après, on est dans l’urgence et cela ne tient jamais », rouspétait Cédric Tissot qui pointait comme d’autres les incohérences réglementaires. « L’érosion les abîme. On a des brèches sur la digue à Varenne et comme on est en zone Natura 2000, on nous interdit de réparer », fustigeait un agriculteur. La question de l’utilisation de la taxe Gemapi était clairement posée sur la table.

Des pertes et des charges

Les pertes indirectes inquiètent également. Avec des maïs en fleurs, ces derniers pourraient avorter et ne pas donner d’épis. Peut-être pire, être déracinés par le vent à la décrue. Déjà que les blés commençaient à germer et avaient en partie verser suite aux mauvaises conditions météorologiques, une part de plus en plus importante pourrait être déclassées en blés fourragers. Au confluent des trois rivières, Laurent Bernard, maraicher à Bragny-sur-Saône, exprimait son désarroi voyant, comme ses collègues de Louhans et ailleurs, 70.000 salades sous l’eau, 3ha de carottes, ses maïs semences… « Si l'eau reste une semaine, tout sera mort. Qu’est-ce que je ferais de mes quatre salariés ? Ce sont aussi des emplois en moins pour les 25 jeunes pour la castration et épuration », expliquait-il, faisant bien comprendre les impacts financiers pour lui et pour le territoire. À la question des assurances, « pas sûr que les experts prennent en compte correctement ce stress jamais vu en fin de cycle et le déclenchement de l’assurance sera faible et sans réelles mesures avec les pertes réelles », craint déjà Benoit Regnault. Après la sécheresse les trois dernières années, l’excès d’eau en été est une nouvelle calamité. Avec le gel, c'est décidément une année bien noire pour les cultures.

Vers une aide d’urgence et les calamités

Vers une aide d’urgence et les calamités

Après avoir écouté les témoignages des uns et des autres, le préfet, Julien Charles en venait à la conclusion qu’il « faut résonner à double échéance : l’urgence du constat de l’ensemble des dégâts et à moyen terme, revoir les systèmes d’alerte et d’information ». Plus largement, il promettait de s’employer « à remettre du dialogue entre les professionnels et VNF et EPTB pour avoir une vision globale des ouvrages hydrauliques ». Quant aux aides d’urgence ou fonds de calamité, le Ministre de l’Agriculture a sollicité les départements en vigilance météo orange ce weekend pour connaitre les dégâts. « Il faut plutôt des aides d’urgence comme pour les arboriculteurs ou les viticulteurs suite au gel d’avril », débutait Christian Bajard, « car les seuils du fond de calamité vont - encore une fois - exclure trop d’agriculteurs », ne veut pas le président de la FDSEA de Saône-et-Loire. Message entendu par le Préfet et le DDT. Le président du Département, André Accary aussi « proposait la même méthode que pour le gel : compléter l’intervention de l’Etat et à plus long terme, se revoir ». Nul doute qu’il échangera avec Frédéric Brochot et Michel Duvernois sur le « problème des digues ». D’ailleurs, « il se disait surpris et va demander des comptes à l’EPTB, que nous finançons, pour voir comment remettre les choses en ordre ». Il proposait également de regarder pour un accompagnement en ingénierie. Le maire de Chalon et conseiller régional, Gilles Platret indiquait ne pas avoir plus d’information des EPTB ou VNF mais avoir le responsable des risques à la ville de Chalon, Emmanuel Gaffier qui l’alerte régulièrement pour analyser la situation. Il plaidera à la Région pour débloquer une indemnisation et regarder à donner une meilleure « place aux agriculteurs dans la politique publique de l’eau qui concerne les milieux ruraux et urbains. Que les villes prennent leurs responsabilités ». Dans la salle, une petite voix faisait remarquer que « les Maires sont frileux d’entretenir les fossés par peur de la police des polices de l’eau, l’OFB ». Pour le maire d’Ouroux-sur-Saône, Jean-Michel Desmard « avec la taxe Gemapi, les élus communautaires devraient tout gérer pour protéger autant les populations que les terres ». Christian Bajard invitait à « bien associer et écouter les agriculteurs car eux savent ce qui se passe à tel niveau d’eau pour leurs prairies ou champs ». Ce que les prévisionnistes ne sont pas en capacité de faire et de donner pour l’heure. « La gestion de l’eau sur ce secteur du val de Saône et ailleurs est totalement à revoir. Mais les collectivités qui ont les compétences ne les comprennent pas d’un point de vue rural. C’est facile de rendre constructible des zones inondables en inondant plutôt des prairies mais ces mêmes élus nous privent des taxes Gemapi qui prévoient pourtant le curage des fossés… », concluait Benoit Regnault. Décidément, il devient urgent de mieux gérer l’excès ou l’absence d’eau dans ce département.