INTERVIEW
« Les orages rythmeront l'été »

Le début du mois de juillet a été marqué par de violents orages. Décryptage avec Emmanuel Buisson, docteur en physique de l’atmosphère et directeur recherche et innovation à Weather Measures et Weenat.

« Les orages rythmeront l'été »
Emmanuel Buisson, docteur en physique de l’atmosphère et directeur recherche et innovation à Weather Measures et Weenat. ©Pamac

Le 11 juillet, la grêle s’est abattue sur Vichy et Gannat (Allier), faisant encore d’importants dégâts, à l’instar de l’orage de juin 2022. Comment expliquer que ce secteur ait été une nouvelle fois touché ?

Emmanuel Buisson : il y a en France, un couloir national de grêle qui démarre des Pyrénées jusqu’au Jura et aux Alpes du Nord et remonte jusqu’en Alsace-Loraine (voir croquis). L’Auvergne est au centre de ce couloir. Les statistiques démontrent que la grêle tombe plus fréquemment et violemment dans cette grande bande. Concernant Gannat et Vichy, nous avons pu observer, ce 11 juillet, la cellule orageuse buter contre la Chaîne des Puys et s’évacuer en suivant la Sioule. Elle a contourné les massifs. Pourquoi ? Nous ne pouvons pas l’expliquer parce que parfois, les orages parviennent pourtant à les sauter. Il n’en reste pas moins que Vichy est un point de convergence pour les orages puisqu’ils peuvent s’évacuer par la Sioule ou par le nord Limagne, par Maringues (Puy-de-Dôme). Ce qui s’est produit le 11 juillet, ce sont des orages hyper-localisés.

Les prévisions d’orages violents étaient pourtant bien plus larges sur la région que sur le seul secteur de Vichy ?

E. B. : la prévision était, en effet, très pessimiste sur la localisation avec un territoire très large. Les couloirs de grêle sont connus statistiquement depuis longtemps. En revanche, la fréquence et la violence des orages sont des phénomènes nouveaux, marques du dérèglement climatique en cours. Là encore, les statistiques l’attestent depuis 4 ou 5 ans.

Comment se forment les orages et pourquoi est-il si difficile de les prévoir ?

E. B. : un orage se forme par l’entrée d’une dépression Atlantique, froide et humide, dans les terres françaises, où elle rencontre un anticyclone, chaud et sec. La confrontation est d’autant plus violente lorsque l’écart de température, entre ces deux masses d’air, est important. L’air chaud est alors avalé par la dépression. Il monte en altitude, où il va condenser au contact d’un air toujours plus froid et former des nuages, des gouttes d’eau, des grêlons… Là encore, plus les écarts entre le chaud et le froid sont importants, plus l’air va monter vite. Il peut passer de 1 000 m d’altitude à 8 000 m en moins de 30 secondes ! Puis, cet air va redescendre pour remonter, et ainsi de suite. Il fait le yo-yo jusqu’à ce qu’il parvienne à s’évacuer. À de telles vitesses, il est impossible de prévoir quand et où exactement l’orage va se former. Aucun modèle informatique ne le peut. Nous pouvons seulement suivre les situations en temps réel, via un radar, et voir se former les cellules orageuses. Selon les cas, nous pouvons anticiper 15 minutes à deux heures avant que n’éclate l’orage au sol.

La saison estivale a démarré sous les orages. Va-t-elle se poursuivre ainsi ?

E. B. : les prévisions météo donnaient, jusqu’alors, un mois de juillet et août très secs. Finalement, les modèles nous donnent des prévisions chaudes et orageuses. Le phénomène El Niño*, en cours dans le Pacifique, a un impact indirect sur le climat en France. Il participe à faire remonter de l’air chaud et de l’instabilité sur le Portugal. Indéniablement, il influence les échanges en Méditerranée. Mais dans quelles mesures ? Cela, nous l’ignorons.

Propos recueillis par M.Comte

* El Niño est un phénomène climatique particulier qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l'eau dans la partie est de l'océan Pacifique sud, représentant une extension vers le sud du courant côtier saisonnier chaud éponyme au large du Pérou et de l'Équateur. Les années El Niño ont pour habitude des températures caniculaires au niveau mondial.

Cette carte permet de distinguer différentes régions selon la fréquence moyenne de la grêle d’été, son intensité et les conditions météorologiques favorables à la formation d’orages grêligènes. ©Anelfa