EXCLU WEB : « Nous demandons une véritable régulation des prédateurs »

A l’appel de la FNSEA, de JA , de la Fédération nationale ovine (FNO), de la Fédération nationale bovine (FNB) et de la Fédération nationale du cheval (FNC), de nombreux agriculteurs ont manifesté le 15 octobre dans la quasi-totalité des départements de France contre la prédation qui menace les élevages de montagne et de plaine et traumatise les éleveurs et leur famille. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, nous en dit plus sur les attentes des éleveurs sur ce dossier.

EXCLU WEB : « Nous demandons une véritable régulation des prédateurs »

Pourquoi une telle manifestation contre les prédateurs ?

Patrick Bénézit : La situation des éleveurs devient intenable. Ils n’en peuvent plus des attaques à répétition sur leurs troupeaux. Leur travail n’est ni considéré ni respecté. Ils sont démunis et on sous-estime l’impact de ces agressions sur la santé des éleveurs et de leurs familles. Rien que l’an dernier, on recense plus de 12 000 victimes de prédation que ce soit du fait du loup, de l’ours et des vautours. Ces attaques de prédateurs, dont l’Etat ne contrôle plus l’évolution des populations, se sont multipliées ces dernières semaines. Les agriculteurs viennent par conséquent exprimer leur ras-le-bol auprès des préfets de leurs départements. Je me réjouis de la mobilisation y compris des départements qui n’ont pas connu d’attaque. Ils ont en effet pris conscience que les événements que subissent les territoires de l’Arc alpin, du Massif central, du Jura, des Vosges et des Pyrénées va très certainement les concerner demain. Aujourd’hui, ce n’est pas le loup ou l’ours qui est menacé ce sont les éleveurs  et leur  animaux domestiques. Notre activité économique et nos territoires sont en très grand danger et clairement menacés d’extinction si l’on ne fait rien. On assiste presque impuissants à l’ensauvagement du territoire. Pour la FNSEA, ce n’est plus tenable.

Les espèces contre lesquelles les agriculteurs manifestent sont des espèces protégées et certaines en voie de disparition. Au moment où se déroule la COP 15 en Chine, n’avez-vous pas l’impression d’être en décalage avec le sens de l’histoire ?

PB : Absolument pas. Il y a environ 150 000 loups en Europe dont près de 2 000 en France contrairement aux chiffres de l’Office français de la biodiversité (625, ndlr) que nous contestons. De telles statistiques nous font penser que le loup n’est pas et n’est plus une espèce menacée. C’est pourquoi nous demandons un plan de régulation des prédateurs comme il en existe pour le grand gibier : sangliers, chevreuils, etc. Le plan de régulation du loup existe mais il est mal appliqué. Le Plan loup prévoit entre 18 % et 20 % de prélèvements basés sur des comptages aujourd’hui contestés. Autrement dit, le Plan loup pourrait être efficace s’il partait d’un comptage qui reflète la réalité des populations lupines.

Craignez-vous la fin pastoralisme ?

PB : Très clairement oui. Les éleveurs ont des sentiments très mêlés d’angoisse, d’impuissance, de désespoir et de colère. Leur situation est indescriptible et ils ne se sentent pas soutenus par les pouvoirs publics. Certains territoires sont devenus invivables  sur le plan humain et notre plus grande crainte est que les éleveurs abandonnent les estives, les alpages, les piémonts et dans certains cas les plaines et qu’ils laissent leurs troupeaux dans la bergerie. Ce qui va à l’encontre même du cœur de leur métier et des attentes de la société ! C’est un comble. L’impact économique serait important, sans compter les conséquences écologiques qui se révèlent déjà désastreuses. Dans un contexte de réchauffement climatique, bon nombre de forêts ou de landes qui étaient autrefois entretenues par le bétail,   s’enfrichent, s’exposant à des feux puissants traitées par les Canadairs et des compagnies de pompiers. La sécurité des personnes et des biens est en jeu. Que dire aussi des stations de skis qui ne pourraient pas vivre sans le pastoralisme l’été…et de la biodiversité qui s’appauvrit d’année en année.

Qu’attendez-vous du gouvernement  et des instances européennes ?

PB : Je le dis et le répète. Il faut une régulation efficace et honnête du loup avec une stabilisation de sa population en deçà de 500 individus. Au-delà, tout doit être prélevé. Il faut également prévoir de règles de régulation pour les autres prédateurs qui aujourd’hui sont préjudiciables à notre activité économique : ours et vautours en particulier. Ces derniers inquiètent par leurs comportements déviants. Leur population augmentant et les charognes se faisant rares, ils s’attaquent dorénavant à des animaux fragiles ou aux nouveau-nés.

De plus, conformément aux engagements du chef de l’Etat, l’éleveur confronté au loup doit disposer d’un droit prioritaire pour défendre  son troupeau de manière automatique, à tous moments et par tous moyens de défense, y compris avec des armes dotées de lunettes de visée nocturne, après une formation naturellement. Il est aussi indispensable que la responsabilité juridique des éleveurs soit écartée du fait des conflits d’usages entre randonneurs et chiens de protection des troupeaux alors que ces derniers sont imposés aux éleveurs par l’Etat. Il est en effet inadmissible que des éleveurs se retrouvent pénalement condamnés parce que leurs chiens de protection n’ont fait que leur travail en repoussant des personnes qui se sont approchées du troupeau. Cette situation est ubuesque. Il faut y mettre un terme en reportant la responsabilité des conflits d’usage sur l’Etat.

Seriez-vous tenant du land-sparing, c’est-à-dire une séparation stricte des terres agricoles qui pourraient être à haut rendement et de l’autre des habitats naturels sanctuarisés où l’homme ne pourra pas intervenir et donc laisser la biodiversité se développer ?

PB : Je ne pense pas que le land-sparing soit la configuration la mieux adaptée à notre territoire qui est petit au regard des grands pays comme les Etats-Unis, la Russie ou l’Australie. L’ensemble de nos territoires ont été façonnés par l’élevage et les autres cultures agricoles. La quasi-totalité de nos campagnes sont habitées avec une densité plus ou moins importante. Le pastoralisme existe depuis des siècles. L’homme et la nature y cohabitent. Cette situation doit perdurer, à condition que la prédation ne soit pas un problème pour l’équilibre des territoires. Tous les textes qui encadrent la gestion des prédateurs ne sont plus adaptés à la situation d’aujourd’hui. Ils doivent être profondément revus pour parvenir à zéro attaque des troupeaux nourris à l‘herbe en plein air.