Vinosphère 2023 du BIVB
Des « transformations choisies et subies »

Cédric Michelin
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Invitée d’honneur du dernier Vinosphère, le rendez-vous annuel technico-économique de la filière vitivincole de Bourgogne, organisé le 23 février dernier par le BIVB, Valérie Masson-Delmotte était venue porter la bonne parole face au changement climatique. Infatigable pédagogue, la paléo-climatologue, coprésidente depuis 2015 du Groupe 1 du Giec – qui a livré un nouveau rapport ce 20 mars - a expliqué scientifiquement et simplement pourquoi l’heure est grave pour l’Humanité et la biodiversité et notamment pour la viticulture, culture pérenne.

Des « transformations choisies et subies »

Directrice de recherche au CEA, et coprésidente du groupe de travail 1 du GIEC, Valérie Masson-Delmotte a été classée parmi les cent personnalités les plus influentes en 2022 par le magazine américain Time. À l’été 2022, elle « formait » même le gouvernement Français – à sa demande – sur les enjeux climatiques. En ce 23 février à Beaune, la salle de Vinosphère n’a pas reçu une leçon, mais bien un important avertissement. Personne ni rien ne va échapper au changement climatique, pas même la Bourgogne et ses vignobles. Cela va être dur, très dur !

Entamant son propos par un « code-barres » illustrant le réchauffement à la surface de la terre depuis 1850 jusqu’à aujourd’hui, la température moyenne a augmenté de 1,15 °C. « Donc nous avons vécu avec un climat qui change », ne nie-t-elle pas pour bien faire comprendre que ce degré supplémentaire en 173 ans, va largement s’accélérer voire s’emballer, posant bien des questions en termes d’adaptations réalisables ou irréalistes. Le scénario intermédiaire du Giec prévoit +2 °C en 2050 et +3 °C en 2100. Oui mais voilà, la tendance est plutôt sur le scénario le plus noir et la flambée des thermomètres pourrait malheureusement encore plus s’envoler dans nos zones continentales. Une « rupture depuis 800.000 ans, inédite depuis plus de 2 millions d’années » est là.

Malgré son envie de ne pas être « anxiogène » ou « négative » (n’excluant pas des scénarios de fortes baisses des émissions de Gaz à effet de serre GES ou d’absorption supérieure par la Nature), on comprenait que son souhait serait de voir des « sursauts » et de « fortes actions pour réduire les émissions de GES dans le monde » pour simplement « réussir à stabiliser le réchauffement ». Et encore, à condition que ces efforts le soient pendant plusieurs décennies.

Le Giec critique des fausses neutralités carbone

Au vu de la géopolitique actuelle, tous les pays ne sont pas alignés sur ces efforts et elle invitait à « se préparer en termes de gestion de risques et stratégies d’adaptation ». Elle plaidait pour être « acteur vers des émissions tendant vers zéro », saluant ainsi le projet d’Objectif climat de la filière viticole des vins de Bourgogne voulant être neutre en 2035. Valérie Masson-Delmotte soulignait que le Giec surveille « l’intégrité des engagements de neutralité carbone », ouvrant la voie à critiques si greenwashing* il y a en réalité.

Parlant de « transformations choisies » et de « transformations subies », le changement climatique n’épargnera personne, expliquent les centaines de scientifiques et recherches « solides » de par le monde. Les membres du Giec, outre les indigestes rapports scientifiques, font œuvre (ils sont bénévoles, NDLR) de pédagogie en multipliant les rapports simplifiés, les données personnalisables (cartes géographiques en ligne) et fiches scolaires… « mais plus souvent, on est sensibilisé après avoir été affecté par un événement météorologique nouveau que vous intégrez. Vous vous préparez alors s’il doit revenir », ne jetait-elle pas la pierre. « Mais vous n’êtes pas préparé à l’ensemble des problématiques qui vont s’intensifier dans les décennies à venir », mettait-elle douloureusement en garde.

Une riche Bourgogne à décarboner

Elle rappelait qu’en France, les émissions de notre pays ont baissé lors de la dernière décennie de -1,7 % à -1,9 % par an, importations comprises, sous le feu des actions politiques, réglementaires, industrielles…

Ne plaidant pas pour une décroissance, Valérie Masson-Delmotte encourageait à amplifier les transitions, énergétiques en premier lieu avec les renouvelables amenées à se développer, le stockage électrique en batteries. Si la France bénéficie d’énergies décarbonées – nucléaire et hydraulique en tête -, le secteur qui pèse le plus en GES est bien le transport. Pour les vins de Bourgogne, elle illustrait le transport pour « vos productions ou activités touristiques », ce que confirment les bilans carbones du BIVB, après les bouteilles en verre.

Et « 10 % d’humain sont responsables de 40 % des émissions mondiales » en raison de leurs styles de vie « consommateur extrême d’énergies fossiles ». Valérie Masson-Delmotte les cinglait donc : « capacité à agir, responsabilité historique, empreinte carbone largement supérieure à la moyenne planétaire », l’auditorium de Beaune n’en menait pas large sur « les réflexions éthiques qui concernent chacun d’entre nous dans chacune de nos pratiques ». Ou celle de ses fournisseurs, clients, familles et proches…

À l’inverse, « la moitié de la population mondiale émet moins de 15 % des GES ». Injustice, ces 3,5 milliards d’habitants sont et seront les plus frappés par les catastrophes à venir, « notamment des agriculteurs et pêcheurs affectés la variabilité du climat », accélérant les famines et migrations à venir.

« Malgré cela, nous sommes dans la situation où les émissions mondiales de GES continuent à augmenter ». Tous les gaz ne se valent pas en pouvoir à effet de serre, paramètre auquel il faut rajouter les volumes émis. Les centrales à charbon arrivent alors en tête, suivi par le pétrole, suivi par la déforestation. Sans oublier les fuites de méthane lié aux extractions d’énergies fossiles justement et par l’augmentation du cheptel de ruminants pour nourrir la population mondiale. Industries, secteur du bâtiment et agriculture se tiennent ensuite en termes d’émission en France, bien que la dernière soit vitale et source aussi de captation. « On a beaucoup désindustrialisé en France et délocalisé dans des pays qui utilisent des énergies (charbon…) multipliant par 1,4 fois les émissions territoriales », pour arriver à une moyenne par Français et par an, de 9 t de dioxyde, « avec un facteur quatre en fonction des déciles de revenus ». Le vignoble de Bourgogne est dans son ensemble un des plus riches au monde, saura-t-il être aussi le plus durable… pour 2000 ans encore ?

 

 

 

* Le greenwashing (ou « écoblanchiment », « verdissage » en français) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique de manière trompeuse pour améliorer son image. Les informations transmises sont ainsi une présentation déformée des faits et de la réalité.

Les vendanges comme indicateurs climatiques

Alors que les océans et mers accumulent la chaleur et rajoutent à l’inertie globale, Valérie Masson-Delmotte détaillait les conséquences sur la biosphère. « Certains indicateurs de l’état du vivant font l’objet d’un patrimoine culturel, historique avec des chroniques sur plusieurs siècles » et parmi les deux séries les plus longues, figurent les dates de floraison des cerisiers au Japon et les dates des vendanges à Beaune, « un des meilleurs indicateurs de la variabilité du climat, notamment pour les températures maximales du printemps à l’automne sur plusieurs siècles », félicitait-elle. Avec d’autres données, a été prouvé que pour 1 °C de plus dans le monde, « c’est 1,7 °C de plus en France » ! Imaginez donc avec le scénario à +4 °C au niveau mondial, cela ferait près de +7 °C « plus prononcé en été encore » ! Année record de chaleur pour l’heure, 2022 sera « l’année moyenne » entre 2050 et 2060, dans le cadre des scenarii intermédiaires du Giec (+2°C en 2050). « Je vous laisse imaginer les années extrêmes pour cette période, avec les années les plus froides étant proches de celles les plus chaudes des années 2000 ».

Elle prévenait donc que ces « extrêmes chauds et sécheresses agricoles » sont inévitables et vont s’intensifier. « La moitié des espèces étudiées sur terre comme en mer se déplacent juste pour suivre leur aire climatique qui monte vers le nord ou en altitude », avec au passage « une augmentation de la mortalité des arbres par stress hydrique » et feux de forêt.

En France, l’activité agricole est déjà « affectée » avec un démarrage plus précoce des sécheresses, avec plus d’évapotranspiration au printemps, renforcement des sécheresses estivales avec des « événements composites » d’hiver doux et de printemps humides renforçant les maladies et affectant la floraison… sans oublier, des hivers doux qui provoquent débourrement précoce avec risque de gel « tardif » toujours présent. Cette longue liste à la Prévert ressemblait déjà aux dernières campagnes viticoles, se remémoraient tristement les vignerons dans la salle. « Et une expansion des pathogènes moins limités par des hivers rigoureux et qui se multiplient plus ».

Même sans certitude scientifique prouvée, elle craint que « l’atmosphère pouvant contenir 7 % d’humidité en plus par degré supplémentaire », les futurs épisodes de grêles soient plus violents encore, où même des inondations comme à l’été 2021. « Ce qui était rare dans une vie humaine va devenir de plus en plus fréquent », appelait-elle à se préparer à des vagues de chaleur à 50 °C ou des sécheresses partout en France. « C’est le plus important pour vous, une intensification du cycle de l’eau et de sa variabilité, avec des saisons comprenant plus d’événements très humides et très secs », principaux facteurs qui affectent les récoltes.

« Des risques de plus en plus difficiles à gérer », finissait-elle ce triste constat. « Dans vos pratiques, dans vos vies, dans votre travail… vous serez affectés par un climat qui change tout le temps jusqu’à la fin de ce siècle et le siècle suivant ».