Session chambre agriculture 71
Emploi en agriculture, quelles perspectives ?

Ariane Tilve
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La demande de salariat explose dans le monde agricole. Comment recruter et fidéliser des employés dans un secteur méconnu ? C’est la question qui a été posée lors de la session de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, jeudi 9 mars, à la Ferme de Jalogny.

Une table ronde autour de l'emploi.
Une table ronde autour de l'emploi.

Ce n’est un secret pour personne, le secteur agricole connaît d’importantes mutations avec le vieillissement des actifs et la difficile transmission des exploitations, sur fond de recul de la main-d’œuvre familiale (- 51 % entre 2010 et 2020 en Saône-et-Loire). S’ajoutent à cela la concentration et l’agrandissement des exploitations qui entraînent, mathématiquement, une progression de 25 % du salariat. C’est insuffisant pour combler le besoin de main-d’œuvre. Il est difficile de recruter en raison, notamment, d’une méconnaissance des métiers agricoles et du manque d’attractivité de certains secteurs. « L’enjeu est d’attirer de nouveaux entrants dès la formation, qu’elle soit scolaire ou professionnelle », souligne Sophie Dubreuil, chargée d’études économiques à la chambre d’agriculture régionale. Tous les secteurs ne sont pas égaux face au salariat puisqu’à en croire Pôle emploi, en 2022, le poste le plus difficile à pourvoir est celui de technicien et/ou d’agent d’encadrement d’exploitation (voir graphique). Pour comprendre ce que ce contexte implique au quotidien, la chambre d’agriculture a organisé une table ronde réunissant Bernard Moreau, président de la section employeurs à la FDSEA, Lionel Gelin, éleveur caprin, Clément Lenton, salarié agricole et Sylvain Pasquet, représentant de salariés agricoles.

L’essor du groupement d’employeurs


L’emploi agricole est composé en partie de salariés en CDI mais surtout de saisonniers, notamment en viticulture. « Additionner des saisonniers pour obtenir des ETP est contestable, selon Bernard Moreau, président de la section employeurs à la FDSEA. Il y en aurait 2.000 en Saône-et-Loire. Un chiffre sous-estimé sans doute en raison de travailleurs étrangers ». Ceux issus de l’Union européenne sont comptabilisés, mais pas les autres, qui sont pourtant de plus en plus nombreux.

Bernard Moreau rappelle qu’il existe des solutions pour pallier le manque de main-d’œuvre, à l’instar du groupement d’employeurs qui permet de mettre des salariés à disposition des employeurs dans des conditions d’encadrement facilitées. « Ces groupements connaissent un essor exponentiel et je pense que cela va continuer », estime Bernard Moreau. De plus en plus d’exploitations se lancent dans la transformation et la vente directe, des activités chronophages qui expliquent également le besoin croissant de main-d’œuvre. Si les groupements d’employeurs permettent à plusieurs exploitants de se ''regrouper'' pour embaucher un ou plusieurs salariés, d’autres offrent un service de remplacement. C’est le cas de la structure pour laquelle travaille Clément Lento. Il fait d’ailleurs la différence entre son statut et celui d’un salarié d’exploitation. « L’implication est sans commune mesure lorsque l’on reste sur la même exploitation. Mais pour moi, le travail de remplacement est attractif parce qu’il change tout le temps, qu’on ne voit jamais les mêmes personnes ». Il constate aussi une forte mécanisation des exploitations, notamment pour faciliter la tâche des salariés. Lorsqu’il entend des lycéens agricoles rêver de finir à 18 heures, il se souvient que c’est lui aussi ce qu’il se disait naïvement à leur âge. « Partir à une heure précise, sans se soucier de savoir si le travail est terminé, ne ferait pas de moi un bon salarié agricole. Il faut s’impliquer même lorsque, comme moi, on intègre un service de remplacement. Ce n’est pas évident de s’adapter aux différentes méthodes de travail et aux différents matériels, mais je suis très consciencieux. Si le travail n’est pas fini à 18 heures, je reste, cela me paraît normal et me permettra aussi, je pense, de devenir un bon patron ».

Peut-on faire carrière en tant que salarié agricole ?

Salarié agricole depuis sept ans, Clément Lento, raccroche au mois de mai pour s’installer à son compte. « Je me suis lancé dans le salariat dans l’objectif d’aboutir à une installation. Cela m’a appris à choisir les méthodes de production qui me semblent les plus appropriées ». Une formation salariale, en somme, avant de se lancer dans sa propre exploitation. C’est évidemment différent pour les lycéens qui ont grandi au sein d’une exploitation familiale et disposent déjà d’une base de savoir-faire. Ce qui est sûr, c’est que le nombre de salariés qui se destinent à l’installation est très important, voire trop important pour Lionel Gelin, éleveur caprin à la SCA de la Boisette et employeur de dix salariés. « Selon moi, on associe trop le salariat agricole à l’installation. En ce qui me concerne, j’aimerais avoir des salariés qui évoluent au sein de mon exploitation. D’ailleurs tout le monde ne pourra pas s’installer ». Pour fidéliser ses salariés, Lionel Gelin suggère aux chefs d’exploitation d’être présents, à l’écoute, mais aussi de les former. Il est en revanche plus difficile de faire évoluer les salaires. « Ce n’est pas toujours simple, il faut gérer l’aspect humain », temporise l’éleveur. Pour y parvenir certains mettent en place des temps de convivialité afin d’instaurer une relation de confiance, telle la pause-café. Il se désole de l’image que l’on a parfois du salarié agricole. « Ce n’est pas le dernier de la classe, bien au contraire ! Ses connaissances en robotique, notamment, sont essentielles », ajoute Lionel Gelin.

L’attractivité du secteur en question


Améliorer l’image et la connaissance des métiers agricoles est l’un des leviers pour répondre à la crise de l’emploi du secteur, mais il y en a d’autres. Pour Sylvain Pasquet, représentant des salariés agricoles à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, il faut également revoir la grille de salaire nationale qui comprend six paliers pour les ouvriers agricoles. Le premier est payé au smic, le sixième, pour un ouvrier hautement qualifié est rémunéré 240 € de plus par mois. « Si l’on montre ça à un salarié de n’importe quel autre secteur, comme le BTP, il rigole, insiste Sylvain Pasquet. Et ne parlons pas de la situation des cadres ». Aujourd’hui, comme nous l’avons vu avec Pôle emploi, la demande de main-d’œuvre est telle que le secteur agricole doit aller chercher des candidats sur le marché dit ''classique ''et se met alors en concurrence avec les autres secteurs.

À cela s’ajoute la pénibilité du travail à laquelle les employeurs doivent être particulièrement vigilants. En effet, si un salarié est déclaré inapte au travail, même quelques années seulement avant de pouvoir partir à la retraite, il est licencié. Mais avant d’arriver à l’inaptitude, il peut y avoir incapacité liée au travail. Dans ce cas, Sylvain Pasquet estime qu’il y a un risque que le salarié se retourne contre son employeur, surtout s’il risque de ne pas pouvoir retrouver du travail.

Autre frein à l’embauche en milieu rural, le logement et le manque de logements sociaux pour être plus précis. Une problématique qui touche également les saisonniers. D’autant plus que, comme le rappelle Bernard Moreau, la législation en vigueur interdit à des saisonniers d’être logés sous tente dans le nord de la France, la délimitation entre nord et sud étant celle de notre département. Pourtant, de nombreux saisonniers, surtout chez les vendangeurs, aimeraient pouvoir limiter leurs dépenses et profiter du terrain. « Cette loi remonte à une trentaine d’années et ne tient sans doute pas compte du réchauffement climatique », insiste Bernard Moreau, qui en appelle au Préfet Yves Séguy, qui participe à la session, pour faire remonter l’information.


Quelques pistes à explorer

Pour rendre les métiers agricoles plus attractifs, Pôle emploi suggère d’en faire la promotion, de montrer leur diversité, leur évolution, notamment grâce à la mécanisation. Des métiers qui permettent de grimper des échelons durant une carrière. En clair, informer pour faire tomber les préjugés. Et pour cela, les nouveaux outils de communication, dont les réseaux sociaux, sont essentiels. Les sujets de la mobilité et de l’hébergement sont également à aborder avec les collectivités locales. Pour l’heure, le permis de conduire et la voiture sont obligatoires pour travailler en Saône-et-Loire, ce qui soulève derrière la question du prix de l’énergie.

Quant au logement, financer des hébergements pour des apprentis, comme cela a été fait dans le secteur de Louhans, permet de rendre le secteur attractif. Enfin, le Contrat d’objectifs Métiers des productions agricoles (Copa) en Bourgogne-Franche-Comté a été mis en place par la chambre d’agriculture régionale. Son objectif : travailler sur l’attractivité de la formation et des métiers ; la sécurisation des parcours professionnels ; la formation des employeurs et la fidélisation des salariés.

Le lieutenant-colonel Demousseau aux côtés de Julie Alcaraz, employée de la chambre d'agriculture, pompier volontaire.
Le lieutenant-colonel Demousseau aux côtés de Julie Alcaraz, employée de la chambre d'agriculture, pompier volontaire.

En marge de cette session, le président de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, Bernard Lacour, a reçu un diplôme d’employeur citoyen de la part du lieutenant-colonel Demousseau, du Service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Cette convention engage l’employeur à libérer les salariés en poste, qui sont également pompiers volontaires, pour des formations et d’éventuelles missions. « Nous sommes un département rural et agricole, insiste le colonel en charge de la SDIS 71. En Saône-et-Loire, nous disposons de 60 casernes et on ne trouve des sapeurs-pompiers professionnels que dans neuf d’entre elles ». Le reste des effectifs, soit 80 % des pompiers du département, est composé exclusivement de volontaires. Des équipes qui assument en moyenne 9. 000 interventions par an. « Si nous souhaitons recruter des volontaires c’est aussi pour assurer une disponibilité en journée. C’est à ce moment qu’il y a le plus d’interventions et c’est à ce moment que nous manquons de mains ». D’où l’intérêt d’inciter les employeurs à signer des conventions avec le SDIS. Une convention qui permet donc à ces volontaires de s’absenter pour leur travail ou d’arriver en retard au travail lorsqu’ils ont été engagés sur une opération. Cela leur permettrait en outre de se mettre provisoirement en retrait de leur poste en cas de situations d’urgences, tels que les épisodes orageux de Paray-le-Monial et Digoin, ou encore les feux de forêt qui ont mobilisé 150 sapeurs-pompiers envoyés en Gironde ». Signataire de cette convention, la chambre d’agriculture a une employée pompier volontaire. Engagée depuis 2019 au CIS de Sennecey-le-Grand, Julie Alcaraz veut participer à l’effort collectif afin de « renforcer le maillage territorial pour le secours à la personne mais aussi pour protéger les biens, l’environnement et les animaux. Nous intervenons régulièrement pour des animaux en difficulté, notamment des bovins ou des équins ». Comme le rappelle Bernard Lacour, il existe déjà près de 80 agriculteurs volontaires qui partagent les valeurs de travail, d’engagement, de passion avec le SDIS.