Association laitière Jura Bresse
Renversement de tendance

Marc Labille
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Après avoir dû faire face à une chute des volumes collectés par Danone il y a cinq ans, l’Association laitière Jura Bresse vit aujourd’hui un renversement de tendance avec un retour de croissance pour l’entreprise de transformation laitière. 

Renversement de tendance
« La démarche Alim France est innovante et elle prend tout son sens dans une recherche de souveraineté alimentaire. C’est un projet auquel nous croyons beaucoup et qui doit nous apporter de la rémunération », estimait Anthony Écoiffier.

Le 13 avril dernier à Serley, l’association laitière Jura Bresse (ALJB) tenait à nouveau son assemblée générale après deux années empêchées par le Covid. Vingt-quatre mois pendant lesquels de nombreux bouleversements ont eu lieu, introduisait le président Anthony Écoiffier. L’inflation induite par « la reprise économique post-covid » n’était qu’un avant-goût au regard de « la flambée sans précédent des prix de l’énergie, des engrais, et de l’alimentation animale » provoquée par le conflit en Ukraine. Et le président d’évoquer aussi « la sécheresse de 2020 ainsi que les inondations exceptionnelles de juillet 2021 » rappelant que le « dérèglement climatique constitue certainement le risque majeur pour la pérennité de nos productions agricoles ». Ces évènements auront au moins eu le mérite de provoquer « une prise de conscience sur l’importance de la souveraineté industrielle, énergétique et alimentaire », se félicitait Anthony Écoiffier. « Nous avons encore la chance pour la production laitière d’être autosuffisant au niveau français, mais pour combien de temps ? Avec près de la moitié des producteurs âgés de plus de 50 ans, le défi du renouvellement des générations est immense », mettait-il en garde.

Une nouvelle dynamique laitière locale

D’où la détermination de l’ALJB à conforter la dynamique laitière locale. D’autant que les exploitations de ses adhérents ont de nombreux atouts à faire valoir. Idem pour la filière régionale forte de son tissu de PME qui, tourné vers des productions sous signe de qualité, est en mesure de répondre à un retour du consommateur vers les produits locaux, analysait Anthony Ecoiffier.

Alors que des laiteries régionales profitent de cet engouement, « les producteurs de l’ALJB sont aujourd’hui fortement sollicités par ces entreprises », informait le président qui évoquait le départ prochain de cinq adhérents rompant avec Danone pour rejoindre la laiterie d’Étrez (01). « Cela démontre que la gestion de la réduction des volumes contractualisés avec Danone engagée depuis 2017 a considérablement augmenté le sentiment de défiance des producteurs vis-à-vis de notre organisation et de Danone », regrettait Anthony Écoiffier.

Danone accroît à nouveau son volume

Tout a pourtant changé depuis. Fin 2021, les besoins de l’usine Danone de Saint-Just-Chaleyssin (38) sont repartis à la hausse du fait de la conversion du site de Villecomtal-sur-Arros (Gers) aux produits végétaux. Tandis que Danone « semble retrouver le chemin de la croissance sur le secteur de l’ultra-frais », l’organisation de producteurs se retrouve dans la situation « de ne pas pouvoir honorer les besoins de l’entreprise », déplorait le président. En prime, courant 2021, le contrat Alim France est venu offrir un moyen de différenciation prometteur aux producteurs pour répondre aux nouvelles aspirations des consommateurs. Cette démarche à la fois éco-responsable et durable vise à « alimenter les troupeaux uniquement à partir de fourrages et de concentrés cultivés et transformés en France. Le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en diminuant la vulnérabilité par rapport aux achats hors des frontières », explique Anthony Écoiffier. 80 % des producteurs de l’ALJB livrant à Danone se sont engagés dès la première année. Ces producteurs bénéficient d’un accompagnement technique financé par Danone.

Revalorisation nécessaire

Dans ce contexte nouveau de manque de volumes, où les producteurs sont approchés par d’autres opérateurs qui rémunèrent mieux le lait, l’inflation du coût des matières premières imposait une revalorisation de prix du lait. Les négociations ont débuté en février dernier pour une révision de la formule de prix. Objectif : la rendre plus réactive ; restaurer l’attractivité et le maintien, voire l’augmentation des volumes ; sans remettre en cause les fondements du contrat et de la formule de prix. Au terme de nombreuses rencontres, un accord a pu être trouvé entre l’ALJB et Danone. Il devrait se traduire par un gain de + 47 €/1.000 litres sur le prix total d’avril à décembre, soit un prix moyen de 436 €/1.000 litres pour 2022. Parmi les neuf mesures obtenues, figure notamment la revalorisation de la prime Alim France de + 10 €/1.000 litres. « Si, comme dans toute négociation, le résultat final n’est jamais à la hauteur de nos attentes initiales, nous avons pu apporter des améliorations à nos indicateurs qui pourront bonifier de manière durable le prix du lait sur nos exploitations tout en maintenant la sécurité que pouvait nous apporter la formule de prix actuelle », concluait Anthony Écoiffier.

 

 

72 producteurs, 45 millions de litres de lait pour Danone

En 2021, les producteurs de l’Association laitière Jura Bresse ont livré 52,4 millions de litres de lait. 72 producteurs ont fourni près de 45 millions de litres de lait à Danone payés 388,50 €/1.000 litres. L’ALJB comprend aussi un groupe de 15 livreurs à la Fromagerie de la Haute Combe (25) pour un volume de 7,5 millions de litres de lait payés 556 €/1.000 litres (transformé en AOP Morbier).

Premiers retours des conversions à Alim France

La zone Jura Bresse est la toute première de France à s’être engagée dans la démarche Alim France, soulignaient les représentants de Danone. Les autres régions n’ont en effet pas été aussi ouvertes à ce changement comme l’ont été les producteurs de l’ALJB, se félicitait l’entreprise lors de l’assemblée générale du 13 avril dernier. Bénéficiant ici « d’un écosystème particulièrement favorable », les responsables de Danone ont immédiatement senti la possibilité d’y déployer la démarche plus rapidement qu’ailleurs. L’industriel sent aussi « des signaux forts de la part de la grande distribution et des consommateurs » avec cette appétence pour le « made in France », le local qui arrive à égalité avec la qualité du produit dans ces nouvelles attentes. Pour Danone, Alim France s’inscrit dans sa démarche d’agriculture régénératrice. Outre la diminution des rejets de carbone, il faut se préparer à une exigence croissante sur la non déforestation, prévenaient les intervenants. Tout cela dans la même veine que les programmes Duralim, Cap protéines qui poussent les exploitations dans le sens d’un retour de la souveraineté alimentaire. « Ce travail que nous faisons avec les OP plaît beaucoup aux grandes enseignes. C’est un point d’entrée très important », indiquait-on à Danone.

Niveau de production maintenu…

Dans les exploitations qui se sont engagées dans le contrat Alim Plus impliquant une alimentation 100 % française, les premiers retours montrent que la production laitière des vaches a été maintenue, révélait Jérôme Bonin d’Acsel Conseil Élevage. En revanche, une légère baisse des taux serait observée, notamment sur le TB, indiquait-il. Cela proviendrait du fait que l’adaptation à ce nouveau cahier des charges passe par une intégration importante de tourteaux de colza, moins favorables aux taux, expliquait le technicien. Le colza prend en effet la place du tourteau de soja d’importation. Plus cher que le soja OGM d’Amérique du sud, le soja français non OGM coûte aujourd’hui 250 à 300 €/tonne de plus, informait Lilian Rochette de Bourgogne du Sud. Sur ce point, avec son usine de trituration des graines de soja Extrusel, la coopérative est avantagée. Mais les autres fournisseurs d’aliments n’ont pas cette possibilité.

Dépendance au colza

Le technicien de Bourgogne du Sud attirait aussi l’attention sur la hausse des prix des matières premières à venir. « De grosses hausses qui sont devant nous : + 200 €/tonne sur les céréales, le colza, la drèche », doit-on s’attendre. Et non seulement, certaines matières premières seront chères, mais encore faudra-t-il en trouver dans un marché en feu ! Du côté du fabricant d’aliment Sirugue, on a désormais un silo de colza français en réserve. L’entreprise effectue par ailleurs un essai de produit à base de colza français et d’extruder de protéagineux, confiait Mathieu Sirugue. La dépendance au colza va sans doute poser problème dans cette démarche vertueuse. La chute de production de tournesol en Ukraine va impacter les cours du colza. Se pose aussi la question des semis de colza à venir, alertait Régis Dumey, représentant Bourgogne du Sud. Les problèmes de disponibilité des engrais pourraient jouer en défaveur de cette culture. Face à ce « grand flou », il faut travailler la piste des fourrages, encourageait-on. D’ailleurs, comme le soulignait le représentant de Danone, il ne s’agit pas seulement de remplacer un tourteau par un autre, mais il faut une réflexion technique globale à l’échelle des exploitations.