Logistique agricole et rurale
L’écueil du dernier kilomètre

« Quelle place pour les entreprises de la logistique dans la gestion des flux de produits agricoles locaux ? ». Tel était le sujet d’une table ronde organisée par l’École de management de Normandie (EM). Un sujet d’ampleur à l’heure où les circuits courts se développent. 

L’écueil du dernier kilomètre
Le bilan carbone d'un produit est souvent "plombé" par le transport final, surtout pour des produits vendus à l'unité ou petite quantité...

« Il n’est pas facile d’objectiver la demande des produits locaux car nous possédons peu de chiffres sur le sujet. Cependant, avec la crise sanitaire que l’on connaît depuis un an, on sent qu’il existe une appétence particulière pour le B to C (entreprises vers les clients finaux, NDLR). De plus la Loi ÉGAlim va donner une accélération aux produits locaux », a affirmé Roland Condor, professeur associé en entreprenariat à l’EM et titulaire de la chaire “modèles entrepreneuriaux en agriculture”. Or cette demande croissante « se heurte à la sous-efficience des circuits logistiques pour les produits locaux », a souligné Romain Lambert, professeur à l’EM. Il regrette que la problématique du prélèvement des produits à la ferme soit sous-estimée et même « délaissée » par les scientifiques. Car cette logistique détient un double enjeu : écologique et économique.

Bilan carbone

Or cet enjeu est parfois contradictoire comme l’a souligné Jérôme Lenormand, agriculteur et cofondateur “Le producteur local” car les agriculteurs « sont sur plusieurs circuits : marchés de plein air, ventes directes, distributeurs automatiques, restaurateurs, etc. ». Ce qui génère une multiplication des flux et rend la logistique plus délicate et moins écologique, a en substance indiqué Roland Condor. Romain Lambert l’a d’ailleurs reconnu : « la vente directe à la ferme n’est pas forcément le système le plus vertueux ». Car en fonction du nombre de clients qu’attire l’agriculteur, le rapport entre les kilomètres parcourus et la quantité emportée émet beaucoup plus de CO2. « Ce n’est pas parce qu’on limite le nombre d’intermédiaires qu’on est écologiquement vertueux », a-t-il souligné. Or le bilan carbone est une donnée qui devient de plus en plus prégnante et qui « nous oblige à effectuer une évaluation objective de l’ensemble de la chaîne », a certifié Renaud Dilasser, responsable commercial dans l’entreprise Stef.

« Qui paie qui ? » 

Chacun des intervenants s’est accordé sur la nécessité d’optimiser la chaîne logistique pour casser l’écueil du dernier kilomètre qui désigne l'étape finale du processus de livraison des marchandises vers le lieu de destination indiqué par le client (lire encadré). Or plus le produit approche de sa destination plus le coût de transport augmente. La chambre régionale d’agriculture de Normandie (CRAN) essaie de planifier, de massifier et de mutualiser les tournées afin de réduire les coûts de transport. « La solution dite de la tournée du laitier semble la plus efficace », a expliqué Anne Hurand, conseillère “alimentation de proximité et circuits courts” à la CRAN. Si elle reste efficace dans le sens où « elle ne crée pas de rupture de charge supplémentaire, la question reste de savoir qui pilote, qui réalise et qui paie qui ? », a-t-elle insisté.

Décloisonner les acteurs 

Une autre piste, en lien avec la loi ÉGAlim, serait de pouvoir structurer l’offre locale auprès de la restauration scolaire, notamment auprès des lycées qui ont des internats. L’écueil principal reste l’accès des agriculteurs à ces marchés publics, souvent complexes : « Un vrai travail de fourmi. Les agriculteurs ne sont pas toujours au fait des contraintes administratives, notamment sur la partie logistique ». De plus, la plupart des collèges et lycées demandent généralement d’être livrés en produits frais le matin même pour être cuisinés dans la foulée. L’organisation est tout aussi compliquée pour les épiceries fines et les primeurs, a témoigné Vincent Grenet du Box Fermier Normand : « Les créneaux d’envoi sont très réduits. En gros, je dispose de moins de 24 heures, entre le mercredi 14 h 30 et le jeudi midi ». Sans doute faudrait-il parvenir à « décloisonner les acteurs, faire dialoguer les logisticiens et les agriculteurs, afin de développer un raisonnement et une organisation par filière », a proposé Lucile Audièvre, cheffe de projet à l’association Logistique Seine-Normandie. « Il faut casser le raisonnement en silos, collaborer tous ensemble, pour alimenter la ville en produits de la ferme et faciliter le travail de tous les acteurs de la chaîne alimentaire locale », a plaidé Roland Condor. Autrement dit « réussir à mutualiser pour optimiser les coûts », a résumé Vincent Grenet.

Raccourcir les délais de livraison

D’après une étude de la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance (Fevad) réalisée en 2016, on compte en moyenne 5,3 jours entre la commande et la réception d’un colis. Ce délai moyen varie selon la destination, le volume du colis, le mode de réception de la commande (point relais, livraison à domicile) et représente un élément crucial dans la décision d’achat. Ainsi, on considère que plus de 50 % des consommateurs français ont déjà abandonné leur panier à cause des conditions de livraison insatisfaisantes. Or, selon les observateurs de la Fevad, l’amélioration de la supply chain passe impérativement par une meilleure gestion de la logistique du dernier kilomètre. Cette problématique vaut autant pour la logistique urbaine que pour la logistique rurale.