Organisées par la Fondation Carasso, les 3e rencontres de l’alimentation durable se sont intéressées, en février, au thème de la reterritorialisation et de la résilience, c’est-à-dire favoriser notamment le développement des circuits courts. Mais ces derniers sont-ils suffisants pour assurer la sûreté alimentaire des populations ? 

Une fausse bonne idée ?

Reterritorialiser pourrait être défini comme la manière de produire localement afin d’assurer les besoins alimentaires d’une population et la résilience comme la capacité du système alimentaire à maintenir une alimentation saine et suffisante pendant les crises. « L’idée de reterritorialiser a germé dans l’esprit des aménageurs de la ville de New York dans les années 1920 quand ils s’inquiétaient de savoir, si une crise devait survenir, comment ils pourraient nourrir cette population », rappelle Yuna Chiffoleau, directrice de recherche en sociologie à l’Inrae. Seulement, cette sûreté alimentaire « n’est aujourd’hui plus prise en compte par les collectivités territoriales », s’inquiète Arthur Grimonton, co-fondateur des Greniers d’Abondance, en référence aux greniers construits au 18e siècle pour conserver le blé nécessaire à l’alimentation annuelle des quelque 120.000 Lyonnais de l’époque. Cependant, lui-même reconnaît que le système agricole « dépend de trop nombreux acteurs (…) pour vivre et produire en autonomie : nous importons les 2/3 de notre azote et la quasi-totalité du phosphate. La France ne possède plus de constructeur de tracteurs et l’agriculture dépend beaucoup des énergies fossiles », précise-t-il.

Générateur de valeur

Il existe cependant des exemples de réussite de reterritorialisation à l’exemple la coopérative des Fermes de Figeac (Lot) créée en 1985. « Nous n’étions qu’une poignée et nous avions l’ambition de redonner de la valeur à ce territoire en améliorant le revenu de nos adhérents », explique Dominique Olivier, qui a été directeur de cette coopérative jusqu’au 31 décembre dernier. Se disant « prudent » sur la notion de circuit court, il explique cependant avoir développé, en 1995, au sein de la coopérative, des rayons pour des produits locaux. L’objectif était alors de faire un million de francs (150.000 €) de chiffre d’affaires. « Maintenant, nous sommes à 6 millions € », dit-il. Interrogé sur le terme de résilience, il explique que « le produit est secondaire. La résilience est le lien qui existe dans le lien avec le consommateur. C’est lui qui est générateur de valeur ».

Des normes inadaptées

Il est également vrai que les crises sanitaires qui ont secoué le milieu agroalimentaire depuis l’affaire de la vache folle « ont suscité un regain d’intérêt pour le local auprès des consommateurs », rapporte Yuna Chiffoleau. Mais convaincre les élus de s’intéresser au sujet est compliqué « car ils sont souvent en concurrence les uns les autres. Chacun veut sa légumerie, son maraîcher », poursuit-elle. Il arrive en effet que les enjeux électoraux prévalent sur la résilience, et sur la mise en place d’une véritable stratégie comme les projets alimentaires territoriaux (PAT). De plus, la relocalisation de la production se heurte parfois à des législations trop tatillonnes. C’est le cas pour les abattoirs qui doivent répondre aux mêmes exigences techniques et sanitaires en France alors que dans d’autres pays, « il y a un règlement pour les petits abattoirs et un autre pour les gros », précise-t-elle. Enfin reterritorialiser et ancrer la résilience nécessitent de renouveler les générations, car la moitié des agriculteurs vont partir à la retraite d’ici 2030. Il faudra aussi éviter que le concept de « local » ou de circuit court soit récupéré par la grande distribution. « Leur fonctionnement est antinomique avec la reterritorialisation mais elle reste incontournable », concède Arthur Grimonton. Faire sauter ce verrou ne sera pas facile sachant que les grandes enseignes concentrent à elles seules 90 % des achats alimentaires des Français. « Et même quand elles achètent local, elles ne changent pas leurs règles, notamment le “zéro défaut” pour les fruits et légumes », se désole Yuna Chiffoleau.