Grand site de Solutré
Les murets, pierre angulaire d’un patrimoine

Françoise Thomas
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Le Grand site de Solutré s’est lancé dans une vaste opération de recensement du petit patrimoine bâti en pierre sèche de son territoire. Dossier particulièrement transversal touchant tout autant le tourisme, le patrimoine, l’environnement que la viticulture, il concerne ainsi tout un ensemble d’acteurs sur le terrain, et au premier rang desquels les viticulteurs.

Les murets, pierre angulaire d’un patrimoine
Dossier aux nombreuses ramifications, Laurent Richard rappelle qu’à une époque « la question des murets de pierre sèche était abordée en cursus viticole, ce qui n’est plus du tout le cas », fait-il remarquer. Parmi les projets à terme, celui de proposer à nouveau une formation spécifique aux jeunes en études viticoles, ainsi qu’aux viticulteurs installés, en fait partie.

La première phase état des lieux est achevée. Cet inventaire qui s’est étalé sur 2019-2020 a concerné toutes les communes du grand site : « les six communes membres, détaille Laurent Richard, le directeur du Grand site, et les quatre communes associées ». Pour autant, ce n’est pas l’entièreté de ces territoires qui a été balayée : « nous nous sommes concentrés au départ sur les 1.500 ha du site classé, puis nous avons un peu élargi à chacune des autres communes ».

Au final, « cela doit représenter entre 70 et 80 kilomètres-linéaires de murets en pierre sèche répertoriés, précise de son côté Bettina Blasquez, l’architecte chargée de mission pour le Grand site. L’idée n’étant pas de tout recenser mais d’identifier les zones où il y avait matière à relever ». C’est-à-dire les murs encore présents sur tout le linéaire, ceux peu modifiés, ou présentant une technique de mise en œuvre ou une esthétique particulière.

Les sources de dégradation

Ce premier inventaire des constructions parmi les plus intéressantes va servir de base solide pour l’ensemble de la démarche. Cela a permis aussi de les géolocaliser et d’en donner l’état global. « L’énorme majorité d’entre eux est en mauvais état, n’a pu que constater l’architecte, il faut dire que ces murs de pierre sèche constituent un maillage : toutes les pierres sont liées les unes aux autres », dès lors qu’il y a une faiblesse, il faudrait donc intervenir rapidement.

Récupérées pour servir ailleurs ou érodées par le temps selon leur constitution, nombre de pierres manquent à l’appel. Le manque d’entretien de beaucoup de murs laisse gagner la végétation qui dégrade d’autant plus l’édifice.

Or, ces murets de pierre sèche font partie intégrante du paysage et sont même mentionnés dans les cahiers des charges des AOP saint-véran et pouilly-fuissé (voir par ailleurs). Façonnant et organisant le territoire, ils participent à son identité. Et remplissent de nombreuses fonctions : soutènement, limite de propriété, séparation, etc., ils ont aussi un rôle important vis-à-vis de la biodiversité car « ils créent un microclimat qui profite à la vigne, servent d’abri à un écosystème riche d’espèces végétales et animales ». « Complémentaires des arbres et haies présents, ils participent au corridor écologique », poursuit Laurent Richard. Laissant passer l’eau, ils ont également une fonction drainante qui limite l’érosion.

Des viticulteurs intéressés

Et si au fil du temps, ils ont souvent été considérés comme des obstacles, le regard sur ces ouvrages a désormais changé.

« Sur le terrain, j’ai eu un accueil très positif de la part des viticulteurs, souligne Bettina Blasquez. La plupart ont bien conscience qu’énormément de murs ont disparu, mais ils ne savent pas comment faire ». Ils ont exprimé aussi redouter de nouvelles contraintes qui découleraient de cette étude, « les remarques étaient : est-ce que cela va apporter une nouvelle complexité à notre quotidien ou serons nous aider dans les démarches ? ».

Comme toujours dans de tels dossiers, les questions à la fois du financement et du savoir-faire de la technique restent les deux grandes problématiques à résoudre.

C’est pour cela que la deuxième phase du projet de réhabilitation va, elle, être consacrée à dix chantiers pilote : « un par communes concernées, spécifie Laurent richard, et avec des natures de projets différentes ». Ainsi l’un permettra de peaufiner les connaissances sur la problématique mur de soutènement, quand un autre sera en lien avec l’agroforesterie, les autres concerneront la gestion de l’eau, les réseaux routiers, ou encore les monuments historiques.

Ces projets permettront de se rendre compte des problématiques de savoir-faire des professionnels du secteur et d’approvisionnement en pierres.

Qui paie ?

Viendra ensuite la phase financement, mais sans doute pas avant 2024, l’expérience des chantiers pilotes permettant de peaufiner l’appel à projets pour le financement de ces réhabilitations. Parmi les financeurs, se trouveront bien évidemment le Département et la Région, cette dernière gérant notamment les fonds européens mobilisables dans de tels cas.

« Ce genre de dossier peut paraître long, mais ce sont des projets d’envergure sur lesquels nous sommes obligés d’avoir une bonne connaissance avant de se lancer », d’où les phases d’état des lieux-diagnostic et désormais de chantiers pilote. « Nous devons avancer organisés pour associer tout le monde », insiste le directeur du Grand site.

 

L’ODG Pouilly-Fuissé partie prenante
Aurélie Cheveau, la présidente de l’ODG pouilly-fuissé, concerné par le recensement du petit patrimoine bâti en pierre sèche, comme l’ODG saint véran.

L’ODG Pouilly-Fuissé partie prenante

Inscrit noir sur blanc dans le cahier des charges de l’appellation pouilly-fuissé depuis décembre 2011, « la destruction dans les vignes des cadoles, murgers et murets en pierre sèche est interdite ». Peu à peu, il y a une prise de conscience de l’intérêt de ces murets de pierre sèche : « il y a un vrai intérêt pour la biodiversité, reconnaît Aurélie Cheveau, présidente de l’ODG pouilly-fuissé, et comme les haies, les murets participent à l’écosystème en servant de gîte aux auxiliaires et en limitant l’érosion, puisqu’ils font beaucoup plus passer l’eau que les murs bétonnés ».

Mais pour autant, la présidente de l’ODG pouilly-fuissé ne nie pas le rôle de la profession dans la disparition de bon nombre de ces petits édifices : « ils ont beaucoup été détruits pour une question d’organisation parcellaire, pour gagner de la place pour avoir plus de plantations, des chaintres plus spacieuses ».

L’affaire de tous

Et si le passage des tracteurs peut être préjudiciable, l’entretien des fossés par la fauche et l’utilisation de l’épareuse a aussi ses conséquences. « D’autres s’effondrent aussi par le passage de promeneurs » indisciplinés et pas assez conscients de leur impact. Et effet, même si la marche est vue par ses pratiquants comme un loisir vert puisque sans moteur, « il y a quand même nécessité de civiliser les visiteurs et faire en sorte que les touristes soient respectueux des sites ». Juste équilibre à trouver donc entre faire vivre le territoire et ne pas subir un tourisme trop important.

« Des premiers panneaux informant sur nos métiers ont été élaborés en lien avec le Grand site », rappelle Aurélie Cheveau.

Convaincus

Au sein de la profession, « on est de plus en plus conscient qu’il faut trouver un système conjoint avec le Grand site pour préserver au mieux les murets en place et pourquoi pas réhabiliter ceux qui sont effondrés ».

Et pour ce qui est du financement, la suite du projet permettra de déterminer les subventions possibles. En revanche, la profession viticole devra se pencher sur la situation de fermage et de métayage : entre viticulteurs et propriétaires, lequel devra assumer le reste à charge ?

Si la gestion de ce petit patrimoine de pierre sèche nécessite encore réflexions et discussions, l’ensemble de la profession comprend peu à peu que « le grand site c’est un tout, pas uniquement limité aux deux roches, et ce territoire comprend aussi les murets », insiste Aurélie Cheveau. Ainsi c’est un savoir-faire, dans son ensemble, qui est classé.