Droit à l’essai
Éliminer le risque de mésentente

Françoise Thomas
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Le congrès Gaec & Sociétés se déroule ces 23 et 24 juin à Saint-Jorioz en Haute-Savoie au cours duquel sera notamment abordé le "droit à l’essai". Issu d’une initiative de ce même département, ce dispositif est actuellement testé dans neuf départements, dont la Saône-et-Loire. Franck Royer, éleveur en Gaec à Neuvy-Grandchamp, est l’un des référents au niveau national de la mise en place de cette pratique. Ses associés et lui sont d’ailleurs en train de le tester.

Éliminer le risque de mésentente
L’intérêt du dispositif est de s’occuper du volet humain en permettant de tester l’entente entre tous les futurs associés avant d’aller au bout de la démarche d’installation. Ici, trois des associés du Gaec des Champs Perrin : Franck Royer, Francis Foret et Maxime Gibert.

L’historique du Gaec des Champs Perrin à Neuvy-Grandchamp est ponctué d’intégrations de nouveaux associés en lien, soit avec la construction de nouveaux bâtiments, soit avec le développement de l’activité.
Actuellement, ils sont quatre associés : Franck Royer, Olivier Quinter, Maxime Gibert et Francis Foret. Pour élever leurs 200.000 lapins annuels, ils sont également aidés de deux salariés et d’un apprenti, Florian Bailly. Ce dernier est actuellement en dispositif droit à l’essai, en vue d’intégrer à son tour le Gaec.

De 12 à 24 mois

« L’objectif est que Florian s’installe en remplacement de Xavier Dujardin, parti à la retraite en décembre dernier », présente Franck Royer. Si le dispositif droit à l’essai a débuté avec Florian en juillet 2021, il va se poursuivre jusqu’en décembre 2022, soit sur 18 mois, pour que le test en conditions réelles des cinq futurs associés potentiels s’étale bien sur un an.
Dans le dispositif, une période minimale d’un an est imposée pour que le test soit effectué sur les quatre saisons, « c’est important pour tout voir en élevage ». Une période qui peut donc aller jusqu’à 18 mois, voire 24 mois selon les situations.

Pour ce dispositif, Gaec & Sociétés 71 (commission de la FDSEA71) s’est inspiré d’une initiative haut-savoyarde baptisée "l’année d’essai" et mise en place en 1990. « Depuis 2014, on travaille dessus en Saône-et-Loire », relate Franck Royer sous sa casquette cette fois d’administrateur régional Gaec & Sociétés (il est le trésorier au niveau national). « Nous sommes allés à la rencontre de nos homologues de Haute-Savoie à trois reprises à partir de 2014, dans l’idée de mettre en place un groupe de travail au niveau national ».
Depuis 2020, neuf départements1 testent le dispositif envisagé pour permettre de finaliser cette fois « un cadre reproductible à tous les départements ».

Retrouver un équilibre

Et Franck Royer de rappeler que l’objectif est bien « de tester grandeur nature l’entente entre les associés, vérifier que l’on partage des valeurs communes dans le travail certes, mais aussi qu’humainement on s’apprécie, car le risque principal est la mésentente ». Le départ puis l’arrivée d’une personne dans une équipe bouleversent forcément les équilibres. « Il faut donc voir comment le nouveau groupe fonctionne » … et valider qu’il fonctionne bien !
Durant cette période, les associés bénéficient d’un accompagnement en relations humaines « qui permet d’aider à la mise en place du groupe, faire parler tout le monde et éviter tout non-dit » (voir encadré).
À l’issue de la période d’essai, la décision reste au choix : « installation ou non-installation », car tout reste possible.

Divers intérêts

Si le test actuel se fait essentiellement auprès de Gaec, « l’objectif est de pouvoir étendre ce dispositif à toutes les formes de sociétés ». Cette période d’essai peut en effet s’envisager au moment du départ d’un associé (retraite ou autre), du développement de la structure et de l’activité, ou dans le cadre du rapprochement de deux structures.

Le dispositif a par ailleurs un autre intérêt. Compte tenu de la courbe démographique de la profession agricole, cette phase d’essai peut finir de convaincre des personnes qui hésitaient à se lancer, surtout les "hors cadre familial". Et ainsi contribuer à attirer plus de candidats.

En Haute-Savoie, les chiffres montrent que 60 à 65 % des associés à l’essai s’installent réellement. D’où l’intérêt d’un tel dispositif !

 

1 Saône-et-Loire, Jura, Ain, Haute-Loire, Tarn et les Bretons : Morbihan, Finistère, Ille-et-Vilaine et Côtes-d’Armor.

L’importance des mots

Un autre aspect ressort dans l’exemple de Florian et du Gaec des Champs Perrin, celui du statut du candidat. Entré comme apprenti sur l’exploitation, Florian va garder ce statut pendant un an de juillet 2021 à juillet 2022, puis il va ensuite travailler au sein du Gaec sous le statut de salarié. Actuellement, « différents statuts sont tolérés pour suivre ce dispositif : salariés, stagiaire, aide-familial et apprenti donc, détaille Franck Royer, mais nous souhaitons créer un statut "associé à l’essai" ». Et ce pour chacune des parties : l’implication et la projection du futur associé, de même que le regard et l’accueil du ou des associés déjà en place, peuvent être biaisés lorsqu’on porte le statut de stagiaire, apprenti, ou salarié, etc., laissant sous-entendre un lien de subordination.

La période d’essai pourrait encore ainsi gagner en justesse et pertinence si toutes les personnes concernées ont le même "intitulé". Cependant, la mise en place de ce nouveau statut ne pourra pas se faire très rapidement : « ceci dépend de trois ministères : Agriculture, Travail et Finances », précise Franck Royer. Autant dire qu’il va falloir faire preuve de patience, mais c’est bien l’un des objectifs de l’association.

Test rapide

Le Gaec n’avait pas eu le loisir de tester le dispositif droit à l’essai au moment de l’intégration de Maxime Gibert. Le jeune homme est arrivé par connaissance en 2015 et s’est installé le 1er janvier 2016 après six mois de parrainage. Une formule, très allégée et avant l’heure, du droit à l’essai.
Mais son arrivée s’est cependant déroulée en plusieurs étapes : à l’époque il travaillait par ailleurs et a choisi de venir passer quinze jours sur l’exploitation, sur ses congés. Avant de démissionner, il voulait se rendre compte du travail autour de l’élevage de lapins qu’il ne connaissait pas du tout. Alors effectuée sans cadre légal, cette première approche peut souvent s’avérer très pertinente. Les membres de Gaec & Sociétés ont donc également comme projet de faire aboutir un dispositif "test court". Avant d’entamer une phase d’essai, une présence de quinze jours sur site permet en effet d’avoir une bonne première approche, tant sur la production que sur le mode de fonctionnement du groupe déjà en place.

Durant cette période, aucun investissement financier n’est fait. Un aspect primordial, car parfois, même en cas d’incompatibilité entre les associés, la rupture ne peut se faire, compte-tenu des engagements financiers et bancaires.

Le rôle de l’accompagnateur en relations humaines

Entretien avec Danielle Guilbaud, coach médiatrice et formatrice en relations humaines, référente départementale droit à l’essai.

En quoi l’accompagnement en relations humaines est primordial dans le cadre d’une installation dans un Gaec ?

Danielle Guilbaud : La réussite d’un tel projet, c’est l’humain avant tout. Même si tout le reste est réuni, ça ne va pas suffire si ça ne matche (compatible, N.D.L.R.) pas entre les personnes. Ainsi, l’accompagnement de la partie relationnelle donne de la valeur à tout le projet. Et s’il permet de clarifier les choses sur le coup, il sert aussi d’apprentissage aux futurs associés : des situations de non-dits ou de tensions, il y en aura d’autres. Cette phase d’accompagnement apprend donc aux personnes à aborder les situations délicates, à traverser ces tensions et à accepter d’être aidé par des personnes extérieures.

Qu’y a-t-il de spécifique à prendre en compte dans le cadre du secteur agricole ?

D.G. : Il faut avant tout bien connaître le contexte de travail des agriculteurs, notamment le fait que la vie professionnelle et la vie personnelle sont très mêlées, très souvent aussi la vie familiale. Le fait que l’on travaille avec son conjoint, son père, son frère, etc., complique beaucoup les relations de travail et les tensions professionnelles se répercutent de ce fait sur les relations personnelles.

Par ailleurs, l’une des difficultés est d’accepter de laisser de la place au nouvel arrivant, qui aura très souvent envie d’apporter quelque chose de propre à lui. Or, il n’est pas toujours évident de revoir les choses ancrées depuis longtemps, surtout dans le cadre d’un groupe familial qui s’ouvre à un tiers.

Le niveau d’exigence est aussi souvent élevé. Les agriculteurs savent faire énormément de choses dont ils n’ont pas conscience, et attendent que l’on sache tout faire comme eux, rapidement. La difficulté peut donc être d’accepter de prendre le temps que la personne monte progressivement en compétence. La période d’essai est ainsi souvent aussi une période de formation où il faut faire preuve de patience et de pédagogie.

Comment se déroulent les séances d’accompagnement ?

D.G. : On s’adapte évidemment au cas par cas, mais c’est une animation d’échanges entre les parties prenantes. La première séance sert de prise de contact avec le projet d’installation et d’association. Elle permet de clarifier les objectifs de la période d’essai, les points qu’elle doit permettre de vérifier.

La valeur ajoutée de ces séances est de donner un cadre en termes de temps, de lieu, d’objectifs, fixés pour certains à trois ou six mois. Cela permet aussi de faire émerger les difficultés rencontrées, la façon dont elles ont été gérées, ou pas, les non-dits, les malentendus. On fait le point sur ce qui s’est bien passé, ce qui ne s’est pas bien passé, ce que cela nous apprend sur le fonctionnement du groupe.

La troisième réunion sert de bilan global pour définir si la période d’essai a été concluante ou pas. Car la finalité du dispositif n’est pas de réussir l’installation à tout prix, mais bien que les personnes qui s’engagent aient pris le temps de réfléchir.