Interprofession bétail et viandes (Interbev)
Des clauses miroir sinon rien !

Cédric MICHELIN
-

Le 15 juillet à Ecuisses dans une exploitation de Charolaises en Saône-et-Loire, l’heure était à l’union sacrée entre groupes politiques Français au sein de l’Europe, accompagné de la Fondation Nicolas Hulot, de l’Institut  Veblen, le tout encadré par Interbev. Le rapport de 64 pages, fruit d’un travail approfondi commun, est un argumentaire complet pour convaincre la Commission, le Conseil et le Parlement Européen de ne plus approuver d’accords internationaux sans l’application de clauses miroir pour de bonnes pratiques réciproques. Avec en premier lieu, la filière bovine, souvent sacrifiée sur l’autel du libéralisme.

Des clauses miroir sinon rien !
Guillaume Perrot faisait visiter sa ferme aux cinq Eurodéputés.

"Comment protéger nos agriculteurs et l’environnement ? Un règlement pour stopper l’importation d’aliments issus de pratiques interdites en Europe », est le titre du rapport de 64 pages daté de mars 2021 et réalisé conjointement par la Fondation Nicolas Hulot, l’Institut Veblen (institut pour les réformes économiques) et Interbev, l’interprofession bétail et viande. C’est l’objectif des clauses miroirs en tout cas.
Alors que la négociation pour la Pac a abouti, que le gouvernement Français présente ses derniers arbitrages dans le cadre du Plan stratégique national (PSN), que les règlements OCM (organisation commune des marchés Européens) sont bouclés, l’heure était donc à l’union sacrée des Eurodéputés Français autour de la marche à suivre concernant les futurs accords commerciaux. Avec forcément en ligne de mire, les deux encore plus ou moins sur la table de l’Europe : Ceta et Mercosur.
Dans la stabulation de Guillaume Perrot à Ecuisses, ce 15 juillet, les eurodéputés Français, Anne Sander (Parti Populaire Européen, PPE ; Les Républicains), Benoit Biteau (Alliance Libre Européenne ; EELV), Marie-Pierre Vedrenne (Renew ; En Marche) et les deux locaux, Jérémy Decerle (Renew ; En Marche) et Arnaud Danjean (PPE ; Les Républicains) sont à l’unisson et ont fait front commun sur le serpent de mer des clauses miroirs. Trois siègent à la Commission de l'agriculture et du développement rural au Parlement Européen ; Deux à la Commission du commerce international.

« Le meilleur miroir est l’œil d’un ami »

« Il faut saluer la qualité de ce travail. C’est le socle robuste pour s’appuyer entre diverses formations politiques et organisations pour défendre ce sujet trans-partisans autour de l’agriculture, de l’élevage, du climat, de la santé, de la biodiversité… et ainsi, nous inciter à avancer », saluait Benoit Biteau. Derrière ses propos, les cinq Eurodéputés réaffirmaient être résolument pro-Européens, voulant faire progresser l’Union en son sein, de l’intérieur, sans affaiblir son socle de libre-échange avec les pays tiers.
Comme le dit un proverbe gaélique : « Le meilleur miroir est l’œil d’un ami », qui ici peut s’appliquer pour les clauses miroirs en terme de commerce international et d’environnement, dans la droite ligne de l’Accord de Paris ou du Green Deal (Pacte vert Européen). Les rapporteurs ont en effet travaillé à un argumentaire fourni sur quatre axes (lire encadré) qui menacent les règles de libre-échanges et provoquent des pratiques irrespectueuses de l’environnement à un niveau mondial. En élevage, la déforestation au Brésil pour alimenter en soja OGM des feed-lots est l’incarnation de cette concurrence déloyale à l’export, destructrice de biodiversité.

Convaincre avec ces nouveaux arguments

Se présentant comme un « vétéran », puisqu’en étant à son troisième mandat d’eurodéputé, Arnaud Danjean tempérait l’enthousiasme ambiant. « Interbev, l’institut Vedren et la Fondation Hulot ont fait un travail remarquable sur le plan technique, économique et juridique pour faire des propositions à nos collègues élus et pays Européens. Cette démarche peut - peut-être - être décisive. Jusqu’à présent en France, nous étions sur les questions d’élevage, plutôt sur la défensive ou perçu comme tel. Là, on construit pour aller voir nos collègues eurodéputés pour aller vers des mesures logiques, qui ont du sens et non, pour s’opposer contre la liberté commerciale chère à l’Europe. C’est nouveau et positif. Mais, il ne faut pas minimiser les difficultés et le chemin qui nous restent à faire. Il nous faut maintenant réussir à convaincre 40% des Eurodéputés pour obtenir une majorité puisque la totalité des eurodéputés Français ne pèse que pour 10% du Parlement. Les autres pays ne sont pas tous d’affreux idéologues, ils ont aussi des agricultures avec des modèles économiques différents du nôtre ». Sa collègue, Anne Sander aussi se réjouissait de voir que l’ensemble des eurodéputés Français, de quasi tous bords politiques, prendront leurs bâtons de pèlerin pour aller porter la bonne parole dans leurs groupes et pays respectifs. « À nous d’aider aussi nos agriculteurs à cette double performance économique et écologique en mettant l’accent sur le revenu. On doit aussi s’organiser en Europe. En tant qu’Alsacienne, on n’a pas le droit de déstabiliser des produits Français alors que nos voisins Allemands utilisent des molécules interdites en France pour les faire ».

L’appel mondial d’Ecuisses

« Cette unité, ici à Ecuisses, doit maintenant se faire ressentir dans toute l’Europe pour défendre notre alimentation et pousser ces idées », appelait de ses vœux Jérémy Decerle. Lui-même éleveur charolais et ancien-président des JA veut que « l’élevage Français et l’alimentation européenne, les plus sains et contrôlés, soit mieux protéger demain sur le libre-marché. L’Europe a trop voulu un libéralisme sans protection, oubliant ses outils de régulation. Nous avons l’obligation de retrouver des règles pour préserver notre modèle agricole. L’environnement, le bien-être animal… ne doivent pas être mis en concurrence », plaide-t-il. Et d’enfoncer définitivement le clou : « Si l’Europe veut être cohérente avec son Green Deal et sa stratégie Farm to Fork (de la Ferme à la fourchette), l’Europe ne peut pas signer d’une main ce Pacte vert et de l’autre main, des accords comme le Mercosur. Il faut arrêter d’être naïf et reconnaître les efforts faits. Les clauses miroirs sont une solution pour éviter aussi une concurrence entre nos entreprises et être plus cohérents ».

Fin de la discussion ? Non, le début plutôt. La fenêtre de tir pour convaincre est fixée : celle de la future présidence Française qui sera à la tête de l’Europe pour six mois lors du premier semestre 2022. Le Président de la République, Emmanuel Macron a déjà évoqué les clauses miroirs. Saura-t-il convaincre ses homologues ? « Avant le Covid, les pays étaient plus grincheux sur ce sujet. Là, la société est pour et les lignes ont bougés avec nos sociétés exprimant une volonté forte de souveraineté pour des produits de qualité ». Les planètes pourrait s’aligner.

Un miroir à quatre faces

Suffisamment rare pour être mentionné, Samuel Leré, de la Fondation Hulot, plaidait « pour maintenir notre filière élevage, nos paysages et tout ce qui fait la France. Les clauses miroir doivent permettre au contraire de continuer à monter en gamme ». Et pour se faire, le directeur général d’Interbev, Marc Pagès veut maintenant que « toute nouvelle norme ne soit plus une charge mais un plus pour permettre aux éleveurs de mieux gagner leur vie. C’est le sens du travail d’Interbev, un travail positif pour les éleveurs, pour les filières viandes et pour les citoyens-consommateurs ». Mais avant, Interbev tord le coup à une idée reçue en France, il n’y a pas de sur-transposition des règles Européennes en filière élevages. Le cas est plus fréquent en cultures... qui impactent l’élevage aussi.
Interbev a donc ciblé les normes – sur quatre axes - que l’élevage Français et Européen veut voir protéger, vis-à-vis d’importations moins disantes. Premièrement, interdire les antibiotiques comme accélérateur de croissance pour la prise de poids des ruminants, bovins notamment. Juste garder les antibiotiques à titre curatif et de façon raisonnée pour ne pas amplifier l’antibio-résistance des virus, vrai sujet de santé publique. « C’est pourtant déjà dans la loi Européenne et il s’agit d’une décision politique mais la Commission freine des deux fers ». Deuxième clause miroir sur la traçabilité des bovins. En Europe, chaque bovin est tracé individuellement de la ferme à l’assiette en passant par l’abattage et transformation. Mais ceci n’est pas imposé à nos partenaires commerciaux comme au Brésil où un audit du Parlement Européen a démontré que les bovins sont « tracés sortis du dernier élevage, feed-lots bien souvent, et l’abattoir uniquement. Sur tout le reste de leur vie on ne sait rien mais on se doute qu’ils proviennent d’élevage responsable de la déforestation de l’Amazonie ». Là encore, la Commission européenne « ferme les yeux sur cette déforestation importée ». Interbev veut maintenant le mettre en application, comme en son temps les hormones de croissance, et ensuite voir qui contrôlera et comment. Idem sur le troisième sujet, celui des farines animales avec des animaux importés dont le doute est fort qu’ils soient nourris avec, comme au Canada avec des farines de sang de ruminants. Une mesure néanmoins difficile à défendre pour la Commission qui veut actuellement ré-autoriser les farines animales sauf pour les bovins. « A la Commission et aux Gouvernements d’assumer après s’il y a une crise sanitaire », telle que la vache folle en son temps. Les éleveurs français les auront prévenus. Dernier axe autour du bien-être animal. L’Europe entend « durcir sa réglementation pour être plus exigeant envers ses éleveurs mais sans rien imposer à nos partenaires commerciaux en retour ». Le transport d’animaux vivants risque d’être interdit en Europe. Interbev propose simplement de respecter les 8h de transport maximum sans pause… impossible depuis l’autre bout du monde.