EXCLU WEB / « La gestion des risques climatiques enfin opérationnelle »

Propos recueillis par Christophe Soulard
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Le 9 septembre, aux Terres de Jim, le président de la République Emmanuel Macron a confirmé  l’arbitrage sur l’assurance récolte. La FNSEA a joué un rôle de catalyseur avec ses associations spécialisées et l’ensemble du Conseil de l’agriculture française (Caf) pour aboutir à cette réforme tant attendue.

EXCLU WEB / « La gestion des risques climatiques enfin opérationnelle »
La réunion au Sommet le 9 septembre entre le CAF et le président de la République.

Quelle est votre première réaction après que le chef de l’État a annoncé la mise en place de l’assurance récolte sur la base de vos demandes ?

Christiane Lambert : Un sentiment de soulagement après une rude bataille que la FNSEA, JA et l’ensemble du Caf ont menée depuis une quinzaine d’années. Cette annonce résonne en nous comme la marque d’une volonté sans faille de la part du monde agricole qui, depuis des années, alerte sur les conséquences du changement climatique sur l’économie des exploitations. Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il aura fallu que le climat nous rattrape ces quinze derniers mois pour que les pouvoirs publics accélèrent le mouvement et en viennent à (enfin !) entériner cette réforme il y a quelques jours. Je salue le soutien efficace du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, dès sa prise de fonction.

Le Fonds des calamités n’était donc plus suffisant ?

CL : Non, il était devenu obsolète car lent, administratif et partiel. Lent parce que les agriculteurs attendaient des mois avant d’être indemnisés ; administratif parce qu’il fallait des validations à n’en plus finir au plan départemental, national, etc. Enfin partiel parce qu’il ne concernait qu’une partie des productions. Depuis trop longtemps, on parlait beaucoup d’assurance et peu de mécanisme de solidarité nationale qui d’ailleurs ne jouait que pour les risques majeurs. Ce sont des sujets que nous avons traités à notre congrès de Biarritz en 2014. Nous avions proposé une couverture assurantielle à plusieurs niveaux (base, complémentaire, optionnelle), grâce à des fonds mutualisés plus étendus que ceux qui existaient alors. Nous avions aussi abordé la sécurisation des revenus par l’assouplissement de certains dispositifs fiscaux comme les déductions pour aléas (Dpa), alors peu utilisés, devenus depuis épargne de précaution, épargne qui permettra de supporter les risques de premier niveau.

Cependant, malgré vos appels du pied, peu de ministres vous ont suivi…

CL : C’est bien regrettable. Certains n’ont pas mesuré à sa juste valeur l’importance du sujet. Plus encore après que le député européen Michel Dantin a fait évoluer, en 2016, le règlement Omnibus, avec la volonté d’attirer plus d’agriculteurs vers le système assurantiel. Mais faire bouger les mentalités reste un exercice délicat car les agriculteurs n’ont pas tous les mêmes facultés contributives ni les mêmes approches face aux risques. Il a fallu que les éléments climatiques se déchaînent, en 2018, contre des productions fruitières pour qu’un ministre de l’Agriculture prenne conscience que ce sujet était vital pour les agriculteurs, mais sans véritables suites. De notre côté, à la FNSEA, nous avons poursuivi nos travaux, cherchant des voies de progrès, des solutions qui puissent convenir au plus grand nombre. Je tiens ici à saluer le travail tenace et efficace réalisé par la Commission gestion des risques de la FNSEA présidée par Joël Limouzin, épaulé par Luc Smessaert et Jérôme Volle. Ce groupe de travail, avec l’appui sans faille des associations spécialisées, n’a jamais capitulé,  et le conseil d’administration de la FNSEA, par un vote à l’unanimité, a montré sa détermination pour des dispositifs pertinents et efficients.

Selon vous, quel a été le facteur déclencheur, celui qui a fait basculer l’opinion du gouvernement ?

CL : Très objectivement, le gel tardif du 7 avril 2021 dont l’ampleur a été inédite et qui a mis à mal non seulement de nombreuses exploitations mais aussi une partie de nos exportations pour le premier secteur stratégique français : le vin. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie qui avait touché du doigt le problème assurantiel quand il était ministre du Logement à travers l’effondrement d’un immeuble à Marseille, a prêté au monde agricole une oreille attentive. Devant l’ampleur des dégâts et la détresse des agriculteurs qui se sont retrouvés démunis, il a missionné le député Frédéric Descrozaille. Son rapport parlementaire, étoffé, argumenté, circonstancié est allé, sur le champ de la solidarité nationale, au-delà de ce que le gouvernement envisageait. J’en profite d’ailleurs pour saluer le travail précieux des parlementaires, députés et sénateurs, sur ce sujet. Avec Jérôme Despey, nous sommes allés convaincre le chef de l’État que le changement climatique ne s’arrêtait pas au gel et qu’il fallait passer la vitesse supérieure. Sensible à nos arguments, Emmanuel Macron a donc décidé l’installation du Varenne de l’eau et du changement climatique en juin 2021 avec les trois thématiques : la gestion des risques ; la résilience et l’adaptation de l’agriculture et enfin la gestion et l’accès aux ressources en eaux.

Ces conclusions de ce Varenne sont-elles, selon vous, suffisantes ?

CL : Je tiens tout d’abord à souligner le travail de titan réalisé par les responsables agricoles qui ont participé aux trois thématiques et qui, de manière unanime, ont contribué à ce que les débats aillent au bout. Ils ont été, j’en suis convaincue, de précieux atouts pour que le Varenne débouche sur des principes mais aussi des propositions concrètes. L’objectif de ces débats est que tous les agriculteurs puissent accéder à une assurance dans les meilleurs conditions, en tenant compte des spécificités de chaque exploitation. Il faut maintenant accélérer l’application du Varenne.

C’est-à-dire ?

CL : L’arbitrage politique rendu par le chef de l’État et le cadrage technique obtenu auprès de la Première ministre sont une première étape. Il était inenvisageable que le système d’assurance récolte français ne soit pas aligné sur les règles européennes de l’Omnibus. Une énième surtransposition qui pénalise les agriculteurs français aurait été, je pense, mal vécue. Le "20-70-90" est donc une sage décision. Concrètement, le seuil de déclenchement de l’assurance est fixé à 20 % de pertes, tandis que l’Etat subventionnera à hauteur de 70 % les polices d’assurances des agriculteurs. Enfin, la solidarité nationale compensera 90 % des pertes les plus élevées au-delà d’un seuil : 30 % pour les prairies et l’arboriculture ; 50 % pour les grandes cultures et la viticulture. Conformément à la réglementation européenne et dans le but d’encourager les agriculteurs à s’assurer, le taux d’indemnisation pour les non-assurés sera de 45 % en 2023 avec une dégressivité progressive. Au regard des différents épisodes que nous traversons depuis la dernière décennie, ce système paraît équilibré, incitatif, et attractif. Il faut aussi remarquer le travail de Groupama et Pacifica qui ont été les chevilles ouvrières qui ont aidé à construire ces solutions. Les agriculteurs comptent sur eux pour que cette réforme structurante aboutisse enfin à des contrats attractifs et acessibles.

Et qu’en est-il des deux autres thématiques ?

CL : L’ensemble des filières s’est engagée à conduire le déploiement de techniques et pratiques innovantes pour réussir ces nécessaires atténuation et adaptation. Le temps de la recherche n’est pas le temps politique ni le temps climatique. Nous pressons les instituts de recherche publics et privé d’accélérer les solutions disponibles pour l’agriculture.

En ce qui concerne la gestion de la ressource en eau, les conclusions du Premier ministre à l’issue du Varenne de l’eau, à la fin du mois de janvier 2022, sont dans toutes les têtes, « il n’y a pas d’agriculture sans eau ». Il faudra naturellement trouver de nouvelles ressources loin des propos idéologiques et partiaux. N’oublions pas que l’eau de l’agriculture, c’est celle au service de l’alimentation de tous.