Fermages viticoles 2022
Un compromis qui fera date !

Cédric Michelin
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C’est un sujet peu médiatisé, mais au combien important pour la viticulture qui a fait l’objet d’un arrêté préfectoral la semaine dernière. Le mode de calcul des fermages viticoles évolue en 2022. Après d’âpres négociations, bailleurs et preneurs ont trouvé un accord qui prend en compte les rendements réels des déclarations de récolte du produit fini. L’accord voté de façon strictement paritaire et repris intégralement par l’arrêté préfectoral est spécifique de la Saône-et-Loire, il se traduit par une évolution des méthodes de calcul. Explications.

Un compromis qui fera date !

Les fermages viticoles sont calculés à partir d’un mode de calcul qui varie rarement. L’impact du climat - et ses conséquences, notamment sur la baisse de rendement qu’il entraîne -, rendait nécessaire une véritable évolution. Après avoir déjà lissé les fermages en 2013, la possibilité de mettre dans la méthode de calcul la notion de rendement a progressivement fait son chemin en commission. L’année 2021 a relancé le dossier de la méthode de calcul, en raison des fortes pertes de récoltes due à un gel printanier historique. Les cours ayant augmenté à des niveaux exceptionnels du fait du dynamisme des marchés des vins de Bourgogne.

Les cours du vrac sont basés sur la moyenne du prix des ventes réalisées avec le négoce. Mais avec le millésime 2021, extrêmement rare, les volumes échangés étaient « à peine représentatifs » des marchés, notamment pour les domaines et coopératives faisant de la vente directe, analyse avec recul Patrice Fortune. Le président de l’Union viticole 71 le sait d’autant plus qu’il produit majoritairement des vins du Beaujolais et qu’un autre objectif était d’harmoniser l’évolution des fermages – « déjà plus élevés en Saône-et-Loire » - avec les départements viticoles voisins. Des fermages qui rappelle-t-il ont « doublé » en l’espace de dix ans, qui ont suivi l’évolution des cours du vin.

Éviter les à-coups brutaux

Comment concilier les attentes légitimes des locataires et de leurs propriétaires, souvent les parents ou la famille dans le département ? Tel est « l’exploit à atteindre » alors que les aléas climatiques extrêmes entraînent une véritable perte de repère ? « Nous avions pris l’engagement de ne pas baisser les fermages », débute Patrice Fortune, tout en cherchant un nouveau calcul pour éviter « des hausses insupportables de 5, 10 et même plus de 20 % » sur certaines appellations.

Dans un contexte « normal » la demande des viticulteurs pourrait s’entendre plus facilement, mais à l’heure de l’inflation galopante, c’est un « effort considérable » des bailleurs en faveur des preneurs, insiste Robert Martin qui défendait « la solution la moins défavorable pour les propriétaires » sur le moyen terme. L’évolution ne touche pas aux mini et maxi. Le bail reste librement négociable entre chaque bailleur et son preneur pour déterminer la location individuelle. Intervenant au titre du Syndicat de la propriété privée rurale (SDPPR71), Denis Chastel Sauzet salue cet accord qui « suit une méthode économique adaptée à la réalité des prix du terrain et en phase avec la fiscalité des bailleurs et preneurs ». La nouvelle formule de calcul est partie aussi de l’idée d’incorporer la baisse structurelle des rendements constatée et des aléas climatiques exceptionnels se rajoutant.

Pour aboutir à une solution acceptable par tous, les services du préfet de Saône-et-Loire ont proposé d’introduire la notion de rendements « réels » en se détachant du rendement des cahiers des charges de chaque appellation. « Nous nous appuyons sur les données des déclarations de récolte collectées par les Douanes », indique Laurent Charasse, de la DDT 71. Après de nombreuses simulations, de nouvelles négociations ont débuté sur ces nouvelles bases, « avec l’engagement de ne pas baisser les fermages », souligne Marc Sangoy qui participait au titre de la Chambre d’agriculture. Après le lissage** mis en place en 2013, c’est donc un ratio en lien avec la récolte constatée qui est introduit dans la nouvelle méthode de calcul des fermages. La Commission consultative paritaire des baux ruraux (CCPBR) considère que cette méthode permet des « hausses maîtrisées » et qu’elle a le mérite d’être solidement adossée aux rendements réels généraux par appellation. Elle « n’est pas faite pour baisser les fermages, mais pour mieux suivre la réalité des rendements », et ainsi éviter les effets de ciseaux et de décalage dans le temps, d’une année à l’autre. Les exploitants devant, eux aussi, faire face à l’inflation – « l’explosion » même - de leurs coûts de production actuellement. Le coefficient ne pourra pas descendre en dessous de 0,6 mais pourra être peut-être légèrement « au-dessus de 1 » l’an prochain avec le millésime 2022 ?

Un accord équitable

Il ressort donc un sentiment « d’équitabilité » entre bailleurs et preneurs, estime Patrice Fortune qui se satisfait aussi de voir « se rapprocher » les fermages de Saône-et-Loire avec ceux des autres départements.
« Notre accord tient la route juridiquement et, avec la récolte 2022 pleine, les fermages vont monter mécaniquement l’an prochain ». En effet, le lissage des cours va incorporer les mercuriales 2021, mais à un moment où les exploitations viticoles connaîtront aussi une hausse de leurs chiffres d’affaires, ce sera, normalement, plus facile de régler la facture aux propriétaires.
Avec cet accord, l’ensemble des négociateurs tirent un bilan plus large. Les représentants des fermiers et bailleurs de Saône-et-Loire restent maîtres de leur destin, puisque seuls votants en commission. « La FDSEA a la chance d’avoir en son sein deux sections bailleurs et fermiers qui négocient », défend toujours Robert Martin. « Ce travail de l’ombre va éviter les à-coups trop brutaux », comme l’appelait de ses vœux Patrice Fortune. Un travail de l’ombre qui nécessite travail, écoute et humilité, bien loin de s’attribuer les mérites comme d’autres sont tentés de le faire maladroitement. L’important est aussi que le travail et le temps ont permis à chaque partie de s’approprier le sujet et ainsi d’éviter une décision unilatérale ou prise d’autorité par l’administration. En conclusion, le véritable défi qui attend le monde viticole, c’est « l’adaptation au changement climatique avec des aléas qui se multiplient ». De quoi poser nombre de questions entre propriétaires et fermiers et ouvrir de nouvelles négociations.

 

*Le prix des denrées est issu des mercuriales données du BIVB pour les bourgognes et mercuriales de l’Interbeaujolais pour les vins du Beaujolais produits en Saône-et-Loire. Il est établi à partir des prix des trois derniers millésimes au cours de la campagne écoulée, pondérés par les volumes enregistrés sur la campagne en question.

**Le lissage, en vigueur depuis 2013, prend en compte les prix des denrées des 5 dernières années.

***Les rendements réels impactent ce prix en lui appliquant, un ratio entre le rendement de la récolte N-1 (2021 cette année) et le rendement moyen décennal. À noter enfin, que par suite d’un changement de logiciel des Douanes, seules les données depuis 2014 ont pu être incorporées pour le calcul de la récolte 2021, soit sept années. De quoi arriver très vite aux dix années de référence.

La nouvelle méthode de calcul des fermages viticoles

Sans rentrer dans les détails, il est important d’avoir à l’esprit que l’arrêté préfectoral fixe le prix des denrées par appellation qui s’appliquera aux hectolitres par hectare prévus au bail, eux-mêmes encadrés par des minimas et maximas.
En Saône-et-Loire, ce prix des denrées sera dorénavant déterminé en pondérant le prix des denrées* (en euros/hl) par un coefficient*** issu du rapport entre le rendement du dernier millésime et la moyenne des rendements des 10 années précédentes.

Qui sont les membres de la Commission ?

La Commission consultative paritaire départementale des baux ruraux, parfois abrégée, est fixée par arrêté préfectoral : le Préfet ; le Directeur DDT ; le président de la chambre d’Agriculture ; le président de la FDSEA 71 ; le président de la section des bailleurs de la FDSEA ; le président(e) des JA71 ; le président du Syndicat de la section départementale des fermiers et métayers ; le président de la chambre des Notaires ; le président de la Coordination rurale ; le président de la Confédération paysanne. Seuls, les représentants de droit des preneurs et des bailleurs, ayant le droit de vote.
Plusieurs autres personnes peuvent être invitées, sans droit de vote, pour fournir des données, notamment lors de groupe de travail en amont de la Commission consultative. On retrouve à titre d’exemples en Saône-et-Loire, la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne (CAVB) et l’ODG des crus beaujolais qui fournissent les tableaux des rendements d’appellations (AOC), la DGFiP.

Réussir une négociation, c’est quoi ?

Contrairement à une idée reçue, une négociation réussie n’est pas une victoire sur un partenaire. C’est plutôt un dialogue parfois direct et même dur ou chaque partie a fait valoir ses arguments, écouté ceux des autres, défendu ses positions et accepté librement des concessions et contreparties.
Ainsi, l’art de la négociation est celui de trouver un accord où chaque partie est à la fois satisfaite et déçue à la fin. Mais surtout où personne n’a perdu, il n’y a donc pas de vainqueur. Le plus important étant de pouvoir se retrouver pour traiter ensemble du sujet suivant. Et dans le cas de l’application du statut du fermage, ils ne manqueront pas.