Fromagerie Delin
La culture d'une stratégie régionale très porteuse

Confrontée au Covid-19 et au bouleversement du marché de la fromagerie qui en fut la conséquence, la fromagerie Delin, en Côte-d'Or, a su s'adapter afin de préserver sa source de matière première : les producteurs laitiers avec lesquels elle collabore. L'entreprise voit aussi son choix de promouvoir un lait régional conforté.

La culture d'une stratégie régionale très porteuse
Pour Philippe Delin, la crise du Covid-19 aura aussi donné l'occasion de renforcer la relation étroite et suivie avec les laitiers auprès desquels il se fournit.

Le cinquantenaire de la fromagerie Delin, célébré le 20 septembre 2019 au siège de l'entreprise à Gilly-lès-Cîteaux, près de Nuits-Saint-Georges, ne fut pas que l'occasion d'un anniversaire. Ce jour-là, on fêtait aussi l'arrivée sur le marché d'un lait UHT Bourgogne Franche-Comté. Une idée que l'entreprise, dirigée par Philippe Delin, nourrissait et faisait mûrir depuis 18 mois. Personne ne se doutait, à cette époque pourtant pas si lointaine, que ce lait allait prendre une importance toute particulière face à la crise sanitaire du Covid-19, pour le secteur agroalimentaire et plusieurs producteurs laitiers, fournisseurs de la fromagerie. Ce produit, dont les briques arborent aujourd'hui la photo de certains des exploitants laitiers, a fait l'effet d'un véritable amortisseur de la crise, alors que le marché fromager s'est trouvé quasiment paralysé du jour au lendemain, avec la crise sanitaire, le confinement et les fermetures en cascade d'un bon nombre de débouchés commerciaux pour les fromages estampillés Delin. 

Un point quotidien sur la production de lait

Au lancement de ce lait UHT, la production se montait à 25.000 litres toutes les trois semaines. Le rythme était monté à la même quantité, mais tous les quinze jours avant le Covid-19 et depuis, Delin en est pratiquement à 25.000 litres par semaine. « Par rapport au problème que la crise du Covid-19 a pu poser sur notre production fromagère, souligne Philippe Delin, cette solution nous a permis de passer du lait. Au plus fort du confinement, nous sommes parvenus à en passer 100.000 litres par semaine. On livrait jusqu'à Belfort, Montceau-les-Mines ou Sens ». Cette crise sanitaire, Philippe Delin l'avait vue arriver une quinzaine de jours avant et il avait alerté la filière. Chaque semaine, il a envoyé un mail à tous ses producteurs fournisseurs afin d'avoir une vision claire de la situation et aussi pour les informer de ce qui était fabriqué, des quantités de lait UHT régional et de lait autre qui partaient, et pour leur demander de baisser progressivement leur production. Ainsi, un lien fort a été maintenu pendant au moins six semaines. « Durant cette période, précise le dirigeant de la fromagerie, nous sommes parvenus à un compromis puisqu'on payait toujours le lait à 400 €/1.000 litres mais qu'on en vendait à 150 €/1.000 litres. Par rapport à ces différents laits, on a donc trouvé un accord faisant porter l'effort pour moitié aux producteurs, et pour moitié à nous. Cela a été bien perçu par l'ensemble des producteurs. Nous avons défini un prix « B » de l'ordre de 380 €. Quand je vois aujourd'hui les prix du lait, nationalement et dans des grands groupes qui sont à 330 €, et avec un prix « B » à 280, voire 250 €, je pense que nos producteurs ne sont pas mal lotis. L'idée c'est aussi pour nous d'en intégrer plus, en cohérence avec notre objectif d'augmenter la production. » Car au-delà de la crise du Covid-19, Philippe Delin développe de longue date une stratégie économique autour de ce lait UHT régional, qui suppose notamment un important investissement sur le site industriel de Gilly-lès-Cîteaux. 

Une nouvelle ligne de production envisagée

Pour l'heure, le lait collecté est traité (stérilisation et conditionnement) par un prestataire de service pour le compte de Delin, en l'occurrence la fromagerie Gérentes, située à Araules, dans le département de la Haute-Loire, ce qui induit des coûts de transport, en amont et en aval, relativement importants. Pour la fromagerie côte-d'orienne, la logique économique voudrait donc qu'à terme, cette activité soit rapatriée sur son propre site, mais ceci implique un investissement évalué à 4 millions d'euros. Gilly-lès-Cîteaux dispose de l'espace nécessaire à l'implantation d'une ligne de conditionnement. Une donnée importante lorsqu'on sait que la Bourgogne Franche-Comté ne compte plus de faiseur de lait UHT ou stérilisé. « Le but, poursuit Philippe Delin, c'est de diminuer le coût final pour le consommateur, d'être en dessous d'1 euro, en supprimant les surcoûts liés au transport, ce qui nous placerait au niveau des prix des laits régionaux, qui représentent environ 6 % du marché français. Aujourd'hui, nous sommes plutôt entre 1,08 et 1,20 € ». Le dirigeant de la fromagerie a en tête un objectif de 5 à 6 millions de litres de lait d'ici deux ans et près de 10 millions d'ici cinq ans. « Aujourd'hui, poursuit-il, nous en sommes à 1,3 million de litres, mais en Bretagne, ils sont parvenus à 15 millions de litres. Pour qu'une ligne telle que celle que nous envisageons soit rentable, il nous faut aux alentours de 10 millions de litres de lait. Sur cette ligne, nous ferons bien évidemment notre lait régional UHT, mais aussi d'autres laits départementaux, notamment bio. Le but est aussi de devenir, à notre tour, prestataire de service pour le compte d'un confrère dans le nord de la Bourgogne, qui ferait du lait de l'Yonne ou de l'Aube ». Pour le conditionnement de ces laits, l'entreprise Delin envisage d'avoir recours à des briques sans aluminium, presque entièrement recyclables. Le dossier sur cette future ligne n'est pas encore totalement finalisé. Un soutien de la Région est notamment espéré. « On sent que les laits régionaux sont porteurs, remarque Philippe Delin, et que les consommateurs poussent à cela. Ma volonté c'est vraiment de mettre en avant les producteurs de lait, parce que je suis conscient que sans eux, nous ne sommes rien. Il faut les remettre sur le devant de la scène ». Si Delin fait aujourd'hui appel à 19 producteurs laitiers, l'entreprise pourrait s'appuyer, à terme, sur 30 ou 35. De plus l'entreprise en accompagne certains dans leur conversion bio, là encore, afin de répondre à une vraie demande.

Berty Robert

Une politique volontariste envers les producteurs

La fromagerie Delin se fournit auprès de 19 exploitants agricoles laitiers, dont trois en bio, pour les fromages produits à Gilly-lès-Cîteaux, mais aussi pour les morbiers, raclette au lait cru et brie de Melun qu'elle fabrique sur d'autres sites. Ces producteurs sont essentiellement situés dans un triangle à la jonction des départements de Côte-d'Or, de Saône-et-Loire et du Jura, qui couvre une partie de la plaine de la Saône. Certains sont également dans le pays de Montbéliard, dans le Doubs. Depuis cinq ans, en moyenne, Delin payait 375 euros les 1.000 litres de lait, toutes qualités confondues, à ses fournisseurs. Mais depuis plusieurs années également, l'entreprise réfléchissait à la possibilité de sortir un lait UHT Bourgogne Franche-Comté, notamment en raison de ses besoins en matière grasse. « Il y a deux ans, explique Philippe Delin, lors de la dernière crise de la matière grasse, je me suis dit qu'il fallait qu'on franchisse cette étape. J'ai donc proposé à nos producteurs de lait de passer à 400 euros les 1.000 litres ». En moyenne, aujourd'hui, les 1.000 litres sont rémunérés 407 euros et, pour certains producteurs, le prix peut atteindre 420 euros. Un lait régional à base de nourriture sans OGM, avec de bonnes pratiques d'hygiène.