Contractualisation
Focus sur le modèle de contrat proposé par la FNB, avec Emmanuel Bernard, vice-président

La Fédération nationale bovine (FNB) et les sections bovines des FDSEA font actuellement circuler dans leurs réseaux le modèle de contrat qu’elle a conçu en vue de l’obligation de contractualisation qui s’imposera à partir du 1er janvier. Emmanuel Bernard, éleveur nivernais et vice-président de la FNB, revient sur cette initiative du monde de la production.

Focus sur le modèle de contrat proposé par la FNB, avec Emmanuel Bernard, vice-président
Emmanuel Bernard intervient actuellement dans plusieurs régions de France afin d'expliquer le modèle de contrat proposé par la FNB. « La France a perdu 600 000 vaches en quatre ans. Il n'y a pas de raison que cela change si la façon de rémunérer les éleveurs n'évolue pas »

Pourquoi la FNB a-t-elle pris l’initiative de concevoir son propre modèle de contrat ?

Emmanuel Bernard : L’article 1 de la loi Egalim 2 vise à faire évoluer la mise en marché, par les éleveurs ou leurs représentants (les Organisations professionnelles – OP) d’un produit agricole, par l’obligation d’établir un contrat, préalablement à la vente. Cette terminologie "Produit agricole" a son importance. Une fois que le contrat est signé par le premier acheteur (un négociant, un abatteur, un boucher, etc.), le produit change de statut : il passe d’agricole à alimentaire. Du coup, le parcours économique de ce produit ne dépend plus du code rural, mais du code du commerce. Pourtant, la loi Egalim 2 stipule que le calcul du prix qui est accepté dans le premier contrat, avec un produit qui a le statut de produit agricole, ne peut pas être remis en cause. Par contre, ensuite, des négociations commerciales interviennent pour ce qui concerne les conditions générales de vente, les impératifs de logistique, ou les prestations de services. La FNB veut faire en sorte qu’il y ait un contrat sur les produits agricoles et elle laisse ensuite les parties se débrouiller pour le reste. Ce que nous voulons, c’est donner aux producteurs les éléments pour qu’ils puissent négocier, individuellement ou collectivement.

C’est une manière de sécuriser le processus pour les producteurs ?

E.B. : Oui, et cela a un effet fondamental en déplaçant une grosse part du risque du producteur vers les gens qui vont transférer le contrat. À partir du moment où un devis aura été signé, celui qui l’aura signé aura autant la charge d’aller défendre le prix du produit que celui qui l’aura produit.

Comment se structure votre modèle de contrat (voir nos explications dans notre précédente édition) ?

E.B. : La FNB s’attelle à formaliser un contrat juridiquement solide, avec toutes les contraintes inhérentes à un produit agricole : la périodicité, la qualité, les caractéristiques. Ensuite, intervient la construction du prix. La loi indique que cette construction doit se faire à partir d’indicateurs. L’interprofession a validé des méthodes de calcul pour un indicateur de coût de production et il y a aussi les cotations. La question c’est de savoir s’il vaut mieux avoir un prix déterminé ou un prix déterminable. Dans le cas d’un prix déterminé, il y a un risque que les discussions de mise à jour soient compliquées, surtout quand on constate la vitesse avec laquelle le marché peut se retourner. Nous conseillons aux éleveurs d’utiliser les deux leviers (coûts de production et cotations) dans le but de calculer un prix déterminable. Avec des critères déterminables, on a un indicateur de coût de production qui est calculé pour six mois, avec des cotations qui changent toutes les semaines. Il y aura donc toujours un effet "marchés". Le prix va certes varier toutes les semaines, mais, avec l’indicateur de coût de production, on aura au moins un des deux indicateurs qui sera connu par les co-contractants.

Pour la FNB, proposer un modèle de contrat, c’est une volonté de montrer qu’elle prend l’initiative sur cette problématique ?

E.B. : Oui, très clairement. La FNB fait le constat que la France a perdu 600.000 vaches en quatre ans et qu’il n’y a pas de raison que cela change si la façon de rémunérer les éleveurs n’évolue pas. Nous pensons que si nous ne donnons pas de perspectives précises aux producteurs, la décapitalisation va se poursuivre et la filière étant constituée de 500.000 emplois, des éleveurs en moins, cela signifie des salariés en moins.

Quel était le but poursuivi en diffusant le modèle de contrat dans le réseau ?

E.B. : Nous avons d’abord essayé d’appliquer ce modèle de contrat dans nos propres élevages, pour voir là où cela pouvait pêcher. Nous avons validé le modèle entre membres de la FNB, avec des gens qui ont une expertise juridique dans le domaine. Le but, en le diffusant, c’est aussi de générer du questionnement, de l’échange. On accompagne l’envoi du contrat par des déplacements (à Écuisses par exemple, lire notre précédente édition). On assure le service après-vente de ce modèle de contrat. C’est une révolution culturelle pour le monde de l’élevage, il ne s’agit pas d’outils que nous maîtrisons très bien, mais, lorsqu’on regarde ce qui se passe dans d’autres filières, des contractualisations existent, elles fonctionnent et permettent à tout le monde d’y voir clair.

Comment peut-on expliquer les inquiétudes liées à cette contractualisation, qui s’expriment malgré tout ?

E.B. : Je pense que c’est lié au fait qu’on a pratiqué la politique contractuelle en filière bovine, il y a presque trente ans. C’était une contractualisation à l’approvisionnement et certains se sont permis de garder les accompagnements financiers que l’État fournissait à l’époque. Aujourd’hui, certains se disent « on nous a déjà vendu la méthode, on ne nous y reprendra plus… » Dans la filière, il y a aussi des gens qui travaillent sur la non-faisabilité de contrats, parce qu’ils sont gagnants. Notre ambition, c’est de défendre les producteurs et de renouveler ce public de producteurs, alors qu’en face, on a des gens qui sont là pour « ramasser gratis » et si ça peut encore continuer quelque temps comme ça, ça leur va bien… Il faut néanmoins garder à l’esprit un élément particulier en ce moment : nous n’avons pas assez d’animaux à tuer pour fournir la filière. C’est un cas de figure inédit ! Ce risque, voilà plusieurs années que nous l’expliquions aux gens de la filière mais, il y a encore six mois, ils nous rigolaient au nez. En plus, on ne peut pas trouver ailleurs, ce qu’on n’a pas chez nous. Ce contexte n’est pas forcément le plus favorable pour convaincre les éleveurs réticents à la contractualisation : certains ne voient pas l’intérêt de s’impliquer dans un tel processus alors que les cours montent. De mon point de vue, il faut justement profiter de cette difficulté d’approvisionnement pour la filière, pour lui dire que, cette fois-ci, on met des conditions qui permettront d’amortir en cas de retournement de marché. Il ne s’agit pas d’« étatiser » le prix de la viande mais, au moins, que l’on mette des amortisseurs et qu’on favorise une vraie politique de l’offre et de la demande, qui n’existe plus depuis quelque temps.

Propos recueillis par Berty Robert